Article d’Antoine Bordier :
Il est arrivé en France dans les années 90. Né au Liban en 1950, ses parents ont dû fuir la Turquie au moment du génocide arménien de 1915. Avec le recul et le silence nécessaire qu’il s’est imposé pour bien la connaître, il revient longuement sur son histoire familiale et sur sa vocation. Nous le retrouvons dans les bureaux de la cathédrale Sainte-Croix de Paris où il officie comme vicaire général.
A 70 ans, le père Joseph Kelekian est intarissable. Doté d’une mémoire redoutable, il raconte comme s’il les avait vécus les évènements tragiques qui ont frappé sa famille au début du siècle dernier. Sa famille, originaire de Turquie, vit à Everek, dans le centre, près de l’ancienne Césarée de Capadoce, près de Kaseri. Son père a un an, quand il fait partie de la seconde vague partie en exode afin d’échapper aux massacres méthodiques orchestrés par les hordes génocidaires ottomanes. Entre 1915 et 1918, les massacres et les déportations d’Arméniens firent plus d’un million de morts. A la sortie de la Première Guerre Mondiale, l’Empire Ottoman est démantelé. La République Turque est fondée. Son fondateur, Mustapha Kemal, reconnaîtra du bout des lèvres ces années de barbarie en parlant d’un « acte honteux ». Il y a des peuples martyrs, qui portent le lourd fardeau de l’humanité. C’est le cas des Arméniens, qui sont aujourd’hui 10 millions. 3 millions vivent encore en Arménie, et, 7 millions font partie de la diaspora disséminée dans le monde entier. « Mon papa, s’appelle Haraoutioun, raconte le père Joseph. Son prénom signifie la Résurrection. On l’appelait Arthur. Quand il fuit avec ses 3 frères et ses parents, il n’a qu’un an. Toute la famille arrive au Liban en 1919. L’un de mes oncles a par la suite émigré en France. A son tour, à l’âge de 15 ans, mon père émigre en France. Il retrouve son frère qui a réussi dans l’immobilier à Lyon. » Intarissable, il se souvient encore de la phrase que répétait souvent son père : « Tu ne pourras jamais gagner de l’argent par le fil de l’aiguille ». Fini, donc, le métier de tailleur. Arthur se lance dans le commerce alimentaire et devient épicier.
Il apprend aussi le Russe. En 1939, il participe à un concours de chant à la radio, et, remporte le premier prix. « Il a interprété Ignace, la fameuse chanson de Fernandel. Après son prix, il a reçu de nombreuses propositions de producteurs. Il se lance, alors, dans le monde du spectacle. Mais la France entre en guerre en 1939. Il décide de rentrer au Liban ».
Son entrée au petit-séminaire de Jounieh
Il se marie en 1946 avec Serpouhi Oughourlian. Elle a 18 ans, lui en a 28. En 1950, après quelques difficultés, Joseph nait. Il vit toute son enfance à Beyrouth. Aîné d’une fratrie de 3 garçons, il a l’habitude de servir la Messe. Il n’a pas 10 ans lorsqu’il rencontre plus personnellement le Seigneur et décide de se donner totalement à Dieu. « A 8 ans, j’ai dit à mon père : je ne veux plus aller à l’école. Je veux rentrer au couvent des Arméniens à Bzommar (NDLR : qui se situe au Mont Liban, père du sanctuaire marial de la Vierge d’Harissa). » Finalement, le jeune Joseph devra attendre un an. A 9 ans, le 1eroctobre 1959, il fait son entrée au petit séminaire arménien catholique de Jounieh, qui se situe à 20 km au nord de Beyrouth. Pendant 6 ans, il suit ses études. Il voit sa famille une fois par mois. A 15 ans, il part pour Rome et continue ses études de philosophie et de théologie. A 21 ans, il termine son cursus. Mais, il ne peut pas être ordonné, « car je suis trop jeune, explique-t-il. A l’époque, en 1971, le Droit Canon n’autorisait les ordinations qu’après 24 ans. » Il poursuite, donc, ses études et fait du droit. Quelques années plus tard, il deviendra juge. Il est, finalement, ordonné prêtre le 9 décembre 1973. Il n’a pas encore 24 ans. La cérémonie de son ordination a lieu dans la très belle cathédrale Saint Grégoire-Saint Elie de Beyrouth. Il devient vicaire du curé de la Paroisse de l’Annonciation du Patriarcat, à Beyrouth. Entre 1978 et 1990, il devient vice-recteur, puis, recteur du couvent de Bzommar, près de Jounieh.
La France, Rome, puis l’Arménie
Le 29 septembre 1990, après une péripétie qui le conduit au Canada, où se sont installés ses parents, le père Joseph atterrit finalement en France. Il arrive à l’Eparchie de Paris. Dans le 3è arrondissement, la cathédrale arménienne catholique Sainte-Croix, passe inaperçue. Elle ressemble à une simple église d’arrondissement. Elle est située à l’angle de la rue Charlot et de la rue du Perche. Tous les dimanches, elle accueille des Arméniens qui vivent, principalement, dans le 15è arrondissement et la proche banlieue. L’éparchie est, en fait, l’évêché pour toute la France et pour toute l’Europe de l’Ouest de la communauté arménienne catholique. Le père Joseph explique qu’il y a en France près de « 500 000 Arméniens, dont 30 000 sont catholiques. Dans le reste de l’Europe, il y a très peu d’Arméniens, quelques milliers. C’est pour cela que l’Eparchie est en France, à Paris. » Mgr Elie Yéghiayan en est l’actuel éparque. Entre 2007 et 2010, le père Joseph s’envole pour Rome, où il devient recteur du grand séminaire. Puis, il passe un an en Arménie. « J’ai été envoyé pour faire des missions d’évangélisation dans le nord du pays. A l’époque, la tension entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh était retombée. Je pense que ce qui s’est passé l’année dernière avec cette reprise guerrière de nos terres ancestrales par le pouvoir Azerbaïdjanais, soutenu par la Turquie, résulte de la responsabilité de nos dirigeants actuels. Il y a eu des erreurs inexplicables. »
Article réalisé par Antoine BORDIER