Le Père Toufic Eïd, curé de Maaloula (Syrie), signe une tribune dans Valeurs Actuelles :
"Maaloula n’est pas mort. Deux ans après le début des violences et des persécutions antichrétiennes, ce village ô combien symbolique, puisqu’on y parle encore l’araméen, la langue du Christ, reste une lumière chrétienne dans la nuit islamiste. Pour l’avenir même de la France et de l’Europe, il faut prier — et agir — pour qu’il le reste encore longtemps.
À Noël 2012, alors que la guerre sévissait en Syrie depuis presque deux ans, l’armée syrienne s’est retirée de Maaloula, dont je suis le curé. À cette époque, notre village, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Damas, très majoritairement chrétien, fut pris entre les terroristes islamistes et l’armée arabe syrienne, bien qu’aucune des deux forces ne fût présente parmi nous.
Dès février 2013, quelques habitants musulmans (issus de la minorité sunnite qui représente un quart des villageois) ont pris les armes et manifesté contre le gouvernement. Ils n’avaient pas encore de revendications islamistes, mais j’ai rapidement compris que la situation s’envenimait : depuis quelque temps déjà, certaines familles musulmanes avaient un comportement étrange, voire agressif, et nombre d’entre elles étaient devenues, de manière assez mystérieuse, beaucoup plus riches qu’avant.
Quelques jours plus tard, ces musulmans ont pris la partie haute du village, dans laquelle se trouve le couvent Saints-Serge-et-Bacchus, où j’habitais. Par prudence, je suis descendu rejoindre les villageois. Rapidement, les événements ont malheureusement donné raison à mon pressentiment : ces musulmans avaient rejoint le camp des terroristes !
L’autorité musulmane du village a tenté une médiation, sans succès. Le 4 septembre 2013, un islamiste jordanien se faisait exploser dans sa voiture au niveau du barrage militaire à l’entrée de Maaloula. Dans l’après-midi, l’immense majorité des habitants était partie : seules quelques personnes âgées avaient tenu à rester, défendues par les gardes chrétiens. Quelques heures plus tard, les djihadistes entraient et tuaient trois de nos jeunes.
Ils ont pris Maaloula et les derniers habitants ont été obligés de fuir, parfois par les égouts : rester, c’était mourir. Il a fallu attendre huit mois pour que l’armée arabe syrienne reprenne nos terres. Certains sont rentrés immédiatement, dans un village dévasté par d’intenses combats. Les maisons étaient brûlées, la plupart pillées, et nos églises vandalisées… Maintenant, notre mission est “simple” : rester et être le sel de ce pays souffrant. L’espérance est dans nos coeurs, car tout est à reconstruire et nous le ferons, malgré l’horreur. Nous resterons parce que c’est notre devoir, nous sommes chrétiens et nous acceptons la croix : seul le Seigneur décide de notre heure.
Dans ces épreuves, nous avons heureusement reçu le soutien des jeunes chrétiens de l’ONG française SOS Chrétiens d’Orient, qui ont fait le pari fou de nous aider sur place. Grâce à eux, nous rebâtissons les églises, construisons des écoles, apportons une aide d’urgence à ceux qui ne veulent pas émigrer en Europe ou aux États-Unis.
Je suis déçu que les musulmans n’expriment pas clairement leur opposition à ces horreurs, mais cela leur appartient. Quelques-uns se sont réinstallés dans le village. Cela n’a pas été simple mais, s’ils acceptent de nous laisser vivre, alors nous vivrons ensemble. Nous avons prouvé que nous pouvions vivre avec d’autres, à eux de le choisir également. Nous, chrétiens, savons que notre terre, berceau du christianisme, a plus que jamais besoin de son message de paix et de convivialité. La Syrie mérite la paix et les Syriens méritent de vivre !
C’est aussi entre vos mains européennes qu’est notre avenir. Ce sont des puissances étrangères qui ont alimenté cette guerre, qui ont fermé les yeux sur notre calvaire et l’ont parfois même permis. Ne restez pas passifs : que les chrétiens prient et que tous les hommes de bonne volonté agissent. Vous ne pouvez imaginer notre joie de recevoir l’aide des jeunes humanitaires à Maaloula : quel soulagement de découvrir qu’au-delà de la politique menée par votre gouvernement en Syrie, certains Français ne nous ont pas oubliés ! Vous venez malheureusement de comprendre, au coeur de Paris, ce dont étaient capables ces rebelles que vos médias appelaient “modérés” : ce que vous venez de subir, le peuple syrien l’endure depuis quatre ans. Il est urgent de dire la vérité, pour l’avenir de la Syrie, comme pour le vôtre."