Allez savoir pourquoi ? L’article du Figaro du 16 septembre consacré à l’audition, le 15 septembre, du Professeur Raoult par la « commission sénatoriale d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion » était assez acerbe à son endroit :
« L’audition s’est poursuivie dans son style désormais caractéristique, mélangeant les précisions techniques inutilement détaillées (pour impressionner son auditoire néophyte ?), la fausse modestie (« je ne suis qu’un pauvre humain », « je suis un être très pragmatique et pratique », « vous n’avez qu’un pauvre professeur marseillais devant vous », etc.) et les accusations, à la fois vagues et sévères (souvent légitimes) sur la gestion de la crise sanitaire par les autorités (en particulier le retard pris dans les capacités de dépistage).
La recette est ensuite un peu toujours la même : prétendre qu’il est le seul en France (voire dans le monde…) à avoir observé vraiment les malades, à disposer de chiffres fiables sur l’épidémie et la symptomatologie, et à essayer de soigner les gens… ; »
Pourtant, au-delà du fait qu’il est probable que le Professeur Raoult n’ait pas exigé d’être entendu par une nouvelle commission et qu’il n’ait donc fait qu’obéir à une convocation, ce qu’il a dit était, comme toujours, fort intéressant, à commencer par le fait que cet homme est fondamentalement constant dans ses analyses et ses diagnostics.
Il se réfère d’abord et toujours à des sources et à des chiffres. Par exemple, sur la situation de la médecine en France, il se réfère à une publication annuelle de l’OCDE « Health at a Glance » (La santé en bref) de laquelle il retire que si la France est un des pays à mettre le plus d’argent dans son système de santé, elle est aussi celui où le nombre de médecins rapporté à la population est un des plus faibles, où ces médecins ont la moyenne d’âge parmi les plus âgées et qu’au final le niveau d’équipement technique y est parmi les plus faibles.
Il se réfère à l’INED pour comparer d’un côté le niveau d’anxiété créé dans le pays (« Vous admettrez que l’anxiété n’est pas de mon côté. Je n’affole pas les populations… cette énorme anxiété, monstrueuse…») et l’effet de la pandémie sur l’espérance de vie : une perte estimée actuellement à 0,2 année en 2020 par rapport à 2019, soit moindre qu’en 2015 en raison de l’épidémie de grippe. Il rappelle encore que 50% des morts ont plus de 85 ans et 82% plus de 80.
Il cite aussi ses études, rappelant ainsi que dans les EPHAD ayant pratiqué un traitement à l’hydroxychloroquine (avant son interdiction), le taux de mortalité était de 50% inférieur (14 vs 27%) à ce qu’il était dans les EPHAD n’ayant pas utilisé ce traitement.
Et puis il ne cherche pas à faire des ronds de jambe pour complaire à quiconque :
- De la même façon qu’il parle des « polichinelles » qui ont rédigé cette publication insensée dans The Lancet (et qui a été quasi immédiatement retirée) ou qu’il rappelle que « ce n’est pas moi qui ai raconté des balivernes sur la toxicité d’un médicament qui est donné à 2,5 milliards de personnes », il dit sur le Conseil scientifique présidé par l’impressionnant (!) Delfraissy : « Le comité scientifique n’a jamais rien piloté à propos de la recherche sur le covid. Rien…. Ce comité scientifique n’était pas fait de gens qui étaient capables de mener une politique scientifique… »
- Il s’étonne qu’à Paris (« où il n’y a pas de patron»), ce soit le Directeur général de l’Assistance publique qui donne les consignes de santé : « C’est étrange. C’est [pourtant] un truc de professionnels de médecine ».
- A propos des tests, il constate benoîtement : « le délai moyen de rendu de test à l’IHU Méditerranée est de 8h. Aucun résultat n’est donné en plus de 24 heures».
- Sur les masques, il reste mesuré. Apparemment pour lui, ils ne sont vraiment efficaces que dans le cadre de soins. Pour le reste « le masque, c’est une question de message social». Et de rappeler que « ce sont les mains qui sont la clé ».
Pour enfin rappeler sans ménagement aux sénateurs qui lui demandaient encore des informations :
« On a testé 79 000 personnes. Les gens n’ont qu’à venir voir ce qu’on fait. Quand le ministre est venu à Marseille, il n’est pas venu voir ce qu’on fait à l’IHU. SI vous voulez savoir comment on fait, il n’y a qu’à venir voir ».
Enfin, le professeur Raoult insiste sur d’autres points déjà évoqués :
- Il rappelle ses préconisations anciennes pour une duplication de son institut en France (il pensait pour Paris à un « infectiopôle Necker-Pasteur»), pour permettre une structure de recherche en nid, et non pas en réseau : avec la présence de tous les spécialistes (et ils sont nombreux), pouvant échanger quotidiennement de visu.
- Il précise aussi de façon très intéressante que le débat sur l’hydroxychloroquine, quoi qu’on en pense, n’est pas un débat franco-français: pour lui, c’est un débat qui oppose l’Europe de l’Ouest et une partie des USA qui ont géré en courant après des molécules nouvelles, faites par des laboratoires (et il constate maintenant que les mêmes pays courent après les vaccins), avec une autre partie du monde qui a géré de façon très pragmatique.
- Pour rappeler enfin à plusieurs reprises : ce n’est pas une commission parlementaire qui tranchera ce débat : ce sont les chiffres qui trancheront et pour cela, il faudra du temps.
Il y avait quand même quelque chose de bien jugé dans l’article du Figaro, c’était son titre : « Devant le Sénat, Raoult persiste et signe ». Et c’est peut-être bien l’origine des inimitiés que s’est créé le Professeur. Dans ces huit derniers mois caractérisés par la perte profonde et prolongée de sens et de bon sens de la part d’une bonne partie de ceux supposés être capables de diriger la France (comment expliquer par exemple que le ministère de la Santé a pris en 24 heures une décision drastique concernant l’hydroxychloroquine sur la base de la fameuse étude du Lancet ?), il a conservé tout à la fois ses convictions (le refus des essais randomisés : il est là pour soigner), ses connaissances (fondées sur la profondeur de son expérience et sur des lectures scientifiques multipliées), ses capacités de déduction et celles de son équipe, et aussi son tranchant. Comment voulez-vous qu’un progressiste macronien s’y retrouve ?