Collaborateur de Margareth Thatcher, observateur de la vie politique en Europe, John O’Sullivan est fondateur et président du Danube Institute, basé à Budapest. Pour Conflits, il revient sur le discours de JD Vance sur la liberté d’expression en Europe. Extraits :
[…]
Dans son discours, M. Vance a cité des exemples britanniques de personnes qui ne sont pas autorisées à prier devant les cliniques d’avortement ou à s’exprimer franchement dans les médias, et il a mis l’accent sur le silence qui entoure les gangs de toilettage sud-asiatiques. Il semble suggérer que la Grande-Bretagne est à l’avant-garde de la suppression de la liberté d’expression en Europe. Qu’en pensez-vous ?
Tout d’abord, les exemples qu’il a donnés sont réels. Il ne les a pas inventés. Ces problèmes – des personnes arrêtées pour avoir prié silencieusement près de cliniques d’avortement, ou la réticence à s’attaquer au problème des gangs de jeunes filles d’origine sud-asiatique – se sont réellement produits. Nous devons décider, en tant que société, de la manière d’y répondre. Lorsque nous prenons du recul et que nous observons la Grande-Bretagne, nous voyons les deux faces opposées d’une même pièce :
Les problèmes liés à l’immigration de masse. La Grande-Bretagne est confrontée aux mêmes problèmes d’immigration de masse que la France, l’Allemagne, la Suède et d’autres pays. Nous connaissons des niveaux de violence plus élevés, certains crimes sexuels et des désordres sociaux. Il existe également des tensions avec une minorité de musulmans – parfois très importante – qui ont une vision très critique des juifs ou qui sont passés de l’islam traditionnel à l’islamisme. L’islamisme est une idéologie politique de domination conforme à une lecture particulière du Coran, et c’est un problème sérieux.
Dans le même temps, la Grande-Bretagne a également mieux réussi que de nombreux pays européens à créer une société multiculturelle relativement harmonieuse. Un grand nombre d’experts ont remarqué la capacité de la Grande-Bretagne à accueillir les minorités tout en forgeant une société unifiée. De nombreuses personnes issues de l’immigration accèdent à des postes de haut niveau dans les domaines du droit, de la politique et des entreprises, souvent au sein du parti conservateur, traditionnellement considéré comme nationaliste. Cela témoigne d’un engagement fort en faveur de l’égalité raciale.
Néanmoins, la politique de multiculturalisme peut en fait aggraver certains des problèmes sociétaux inévitables d’une société multireligieuse ou multiethnique. Elle implique parfois de fermer les yeux sur des pratiques culturelles nuisibles ou illégales, ce qui nuit à la cohésion sociale. La Grande-Bretagne gère généralement mieux les questions intercommunautaires que beaucoup d’autres pays européens, mais les émeutes et les tensions récentes suggèrent que ce succès pourrait être menacé.
De nombreux observateurs affirment que Londres est en quelque sorte la plaque tournante de l’islamisme en Europe, car les groupes radicaux peuvent profiter des lois libérales du Royaume-Uni en matière de liberté d’expression. Comment voyez-vous la Grande-Bretagne pour trouver un équilibre entre la lutte contre l’extrémisme et la protection des droits fondamentaux ?
Je pense qu’elle peut – et j’espère qu’elle le fera – gérer cette question dans le cadre de la législation existante. Mais c’est un défi, et je ne suis pas sûr qu’un pays européen ait réussi à le relever parfaitement.
L’Allemagne, par exemple, a accueilli un grand nombre de migrants en 2015 ; l’attitude des Allemands est aujourd’hui bien différente de l’enthousiasme naïf de l’époque. Dans toute l’Europe, tous les partis s’efforcent de résoudre le problème des migrations. Même si 90 % des nouveaux arrivants s’intègrent bien, une minorité perturbatrice peut créer de graves tensions sociales, notamment en ce qui concerne la criminalité ou le harcèlement des femmes.
En réagissant à cette situation, les autorités doivent veiller à ne pas s’aliéner la majorité des musulmans respectueux des lois, qui sont nos concitoyens. Le bilan de la Grande-Bretagne en matière de relations interraciales est meilleur que celui de la plupart des autres pays, et de nombreuses personnes issues de l’immigration ont accédé à des postes de haut niveau dans la politique et les affaires. Néanmoins, le public est de plus en plus critique à l’égard des politiques officielles qui étouffent la liberté d’expression pour éviter de reconnaître les problèmes graves.
Une remarque : les médias et l’élite sociale ont tendance à considérer les Britanniques de la classe ouvrière comme bigots ou étroits d’esprit. Ce n’est tout simplement pas vrai. Je viens d’une famille de la classe ouvrière située près des docks de Liverpool. Les gens avec lesquels j’ai grandi croyaient en la décence, la respectabilité et l’égalité entre les hommes. Cette tradition remonte à la révolution puritaine et traverse le radicalisme anglais.
[…]
Parlons des gangs de viols pakistanais. Ce phénomène est bien connu en Scandinavie, du moins dans certains milieux, mais il semble que les grands médias aient tardé à le couvrir. Les médias alternatifs, ou de niche, en ont parlé bien plus tôt et bien plus souvent. Pourquoi pensez-vous que les grands médias ont hésité ?
Il n’est pas tout à fait vrai que les médias grand public n’ont jamais abordé ce sujet, mais il n’a bénéficié d’une véritable couverture médiatique qu’après que l’affaire de Rotherham a fait surface, vers 2013. Par la suite, nous avons appris l’existence d’abus similaires dans d’autres villes : Bolton, Dewsbury, Oxford, Banbury et ailleurs. Il s’agit d’un problème grave.
D’où vient-elle ? De trois choses, à mon avis.
Premièrement, un sentiment de supériorité des musulmans sur les non-musulmans. Certains auteurs pensent qu’ils ont le droit d’abuser des femmes « infidèles ».
Deuxièmement, le patriarcat. Beaucoup de ces hommes, et certaines femmes, pensent que les hommes sont supérieurs aux femmes – une notion qui intensifie la vulnérabilité des victimes.
Troisièmement, les préjugés à l’égard des jeunes filles blanches pauvres ou vulnérables dans la société en général. La police et les travailleurs sociaux, censés protéger ces jeunes filles, les traitent souvent de « traînées » ou disent qu’elles font un « choix de vie ». Il y a même eu un message officiel du ministère de l’intérieur demandant à la police de ne pas intervenir dans les relations entre mineurs dans certains cas.
C’est épouvantable et scandaleux, et cela révèle un snobisme plus profond chez les fonctionnaires qui considèrent que les pauvres filles ne valent pas la peine d’être protégées. Des histoires déchirantes ont été racontées. Par exemple, un père s’est plaint à la police que des hommes plus âgés exploitaient sa fille. La police lui a dit de rentrer chez lui et, lorsqu’il a persisté, l’a menacé d’arrestation. Voilà un aperçu de la Grande-Bretagne moderne, un aperçu très troublant.
[…]