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Histoire du christianisme

Le Ralliement à l’origine du magistère pastoral de Vatican II

Le Ralliement à l’origine du magistère pastoral de Vatican II

De l’abbé Claude Barthe sur Res Novae :

Dans Immortale Dei (1er novembre 1885), Léon XIII condamnait le « droit nouveau » découlant des  institutions nées de la Révolution. Dans Au milieu des sollicitudes (16 février 1892), le même Léon XIII faisait aux catholiques français obligation de se rallier à la IIIème République. Nous ne reviendrons pas ici sur les raisons qu’il invoquait. Mais on peut voir dans ces consignes de Ralliement à un État qui ne considérait pas la loi de Dieu comme normative, une anticipation de Vatican II adoptant ces principes du droit nouveau sous la forme de liberté religieuse : le n. 2 de Dignitatis humanæ fait devoir à l’État de permettre (ne pas empêcher) à égalité la diffusion paisible du vrai et du faux. Ce qui revient à consacrer la neutralité religieuse intrinsèque de l’État, nouveauté considérable[1].

Comme on sait, une partie des catholiques se refusa à suivre les directives de Léon XIII. Mais il ne suffit pas de dire, pour justifier ce refus, qu’en édictant ces consignes, Au milieu des sollicitudes sortait du champ de la foi et des mœurs dans lequel le pape exerce son magistère. Léon XIII entendait bien donner une règle d’ordre moral, dans le domaine le plus important qui soit dans la vie des hommes sur terre, celui du politique. Il disait clairement : « Une telle attitude [l’acceptation] est la plus sûre et la plus salutaire ligne de conduite pour tous les Français, dans leurs relations civiles avec la république, qui est le gouvernement actuel de leur nation. » Consigne, certes, prudentielle (et formidablement imprudente !), qu’on ne saurait comparer à l’obligation faite par Dignitatis humanæ de ne pas empêcher la diffusion de l’erreur religieuse.

Mais n’était-on pas cependant en présence d’un enseignement similaire, « pastoral » avant la lettre ? Il est dans la nature de la loi en général, et éminemment de la loi de la foi, que le fond de cette loi – l’enseignement donné – et sa forme – l’autorité avec laquelle l’enseignement est énoncé – soient intrinsèquement liés. C’est pourquoi l’enseignement ecclésiologique novateur de Vatican II sur la liberté religieuse, relevant clairement du catholicisme libéral, ne pouvait que s’accompagner d’une  autorité d’un type nouveau – en fait une absence d’autorité définitive – qu’on a qualifié d’enseignement « pastoral »qui lui aussi fait droit à la répugnance que le libéralisme a pour toute autorité dogmatique.

On peut donc avancer que les consignes de Ralliement, anticipation de Dignitatis humanæ, étaient un enseignement « archéo-pastoral ». À l’appui de cette hypothèse vient le chapitre conclusif du livre dirigé par Miguel Ayuso, Cristo Rey. Teología, filosofía y política ante el centenario de la encíclica Quas primas[2], dont une traduction française est en cours de publication aux éditions de L’Homme nouveau. Ce chapitre final de Félix María Martín Antoniano porte sur « La pastorale político-diplomatique des papes préconciliaires en rapport avec les pouvoirs révolutionnaires en ce qui concerne les catholiques espagnols. »

F.M. Martin Antoniano, qui se revendique expressément comme carliste, décrit trois « étapes pastorales » qui ont contribué à empêcher la possible restauration d’un État de type traditionnel : l’étape pastorale de Pie IX, qui a vu la « reconnaissance [par le Saint-Siège] des nouveaux pouvoirs libéraux » (Isabelle II, Amédée Ier, Ière République, Alphonse XII) ; l’étape pastorale de Léon XIII, au cours de laquelle a été prônée l’« union des catholiques pour l’acceptation des nouveaux pouvoirs libéraux » ; et l’étape pastorale de saint Pie X, qui a favorisé « la participation aux processus électoraux conformément à la théorie du moindre mal ». L’auteur s’étend largement sur l’action pastorale de Léon XIII, avec notamment l’invitation faite aux catholiques espagnols, par l’encyclique Cum multa du 8 décembre 1882, de se détourner du parti carliste (partisan de Don Carlos, le prétendant anti-libéral) et en conséquence de se rallier à la monarchie libérale d’Isabelle II. Le carlisme n’était pas nommé explicitement par l’encyclique, mais était reconnaissable comme l’opinion « qui identifie la religion à un parti politique et qui les confond au point de considérer l’ensemble d’un autre parti comme ne méritant plus le nom de catholique[3]. » Le thème de Cum multa était celui qu’on allait retrouver dix ans plus tard dans Au milieu des sollicitudes : la nécessaire union des catholiques pour le bien supposé de la religion. Suivit une interprétation authentique de Cum multa par le nonce apostolique, Mgr Rampolla, « véritable architecte de la pastorale politique romaine », dit F.M. Martin Antoniano dont Léon XIII fera ensuite son Secrétaire d’État, qui enfonçait le clou sur le thème de l’obéissance aux pouvoirs constitués.

Au milieu des sollicitudes, enseignement « pastoral » avant la lettre. À quoi on peut ajouter que sa non-réception par une partie des catholiques était annonciatrice de l’opposition à Vatican II. En France en tout cas, existait ainsi la posture d’être « plus catholique que le pape ». De fait, l’élément fondateur – par contrecoup – de ce qu’on a appelé le « catholicisme intégral », cœur, en tout cas au début, de la non-réception du dernier concile et surtout de la liturgie nouvelle, se trouve dans les consignes de Ralliement. On insiste généralement trop peu sur l’ébranlement provoqué par cette prise de position du pape Pecci. Soixante-dix ans plus tard, ce sera un véritable tremblement de terre.

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