Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion, explique au Figarovox :
"Si la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) venait à se prononcer sur le régime des congrégations, elle le condamnerait très probablement. Contrairement aux autres groupements religieux, les monastères sont privés du droit de se constituer en association loi 1901. Ils n'ont le choix qu'entre deux modes d'existence juridique beaucoup plus contraignants: le régime de tutelle appelé «reconnaissance légale» et celui de l' «association de fait».
Cette exception est un reliquat de la «guerre» menée contre les congrégations catholiques par la IIIe République anticléricale, et avant elle par la Révolution française. Elle apparaît aujourd'hui en décalage avec la culture libérale des droits de l'homme au point de violer très certainement les libertés de religion et d'association des congrégations et de leurs membres, ainsi que l'interdiction des discriminations. Le droit européen des droits de l'homme exige en effet que «le droit national permette aux communautés religieuses ou de conviction de décider en toute indépendance la manière dont elles sont dirigées, de leur règlement interne, du contenu de leurs croyances, de la structure de la communauté et du système de nomination du clergé, et de leur nom et autres symboles» .
Quel est l'impact au quotidien de ces entraves juridiques sur la vie des communautés religieuses?
Pour avoir la personnalité morale, la seule option pour les monastères est de se soumettre au régime de la «reconnaissance légale». Or, cette reconnaissance est soumise à de strictes conditions. À titre d'illustration, le Conseil d'État interdit aux congrégations de mentionner dans leurs statuts l'existence des vœux «solennels», «perpétuels» ou «définitifs» prononcés par leurs membres, alors même qu'ils sont au cœur de la vie religieuse. Une fois reconnus, les monastères subissent de fortes contraintes dans leur fonctionnement. Ainsi, ils ne peuvent acquérir ni vendre un bien immobilier sans l'autorisation de l'administration et à la condition seulement que cette transaction soit jugée nécessaire à la congrégation. Ils doivent aussi tenir à jour, et à la disposition du Préfet, leur comptabilité et la liste de leurs membres, etc. Le président de la République Nicolas Sarkozy l'avait reconnu en 2007 dans son discours au palais du Latran: «Aujourd'hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle (…). Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays».
Au fil des années, de plus en plus de congrégations ont accepté de se soumettre à cette tutelle, en particulier depuis les années 1970. D'autres s'y refusent pour des raisons de principe. Ces religieux qui ont la conviction d'être avant tout membres de l'Église, souhaitent que soit respecté leur droit fondamental de se constituer en monastères et refusent que leur vocation et leur vie religieuses dépendent de l'État. Ces monastères doivent alors se résigner à n'être que des «associations de fait», sans personnalité morale. C'est le cas par exemple de l'abbaye de Solesmes ou d'autres monastères bénédictins qui préfèrent cette précarité à la tutelle, pour préserver leur liberté. Cette situation complique considérablement l'existence de ces monastères, car ils ne peuvent signer aucun contrat au nom de l'abbaye, ni être propriétaires de leurs propres bâtiments, recevoir des dons ou des legs, ouvrir un compte bancaire, obtenir une carte grise, etc.
Ainsi, qu'un monastère soit reconnu ou non, dans les deux cas sa situation est problématique; c'est pourquoi le plus simple serait de ne plus leur interdire de se constituer en association de droit commun.
Vous jugez que le droit français établit à l'encontre des congrégations une discrimination fondée sur la religion. Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer?
Les congrégations sont comparables aux associations en tant que groupes de personnes poursuivant un objectif commun, et à plus forte raison aux associations dites cultuelles avec lesquelles elles partagent un objet religieux. Pourtant, malgré la constitutionnalisation de la liberté d'association en 1971, les monastères n'ont toujours pas accès à cette liberté et aux droits qui en découlent. Cette restriction est injustifiée: l'existence même de ce régime constitue, en soi, une discrimination entre les religieux et les autres citoyens. Cette discrimination aboutit à une situation aberrante: de vénérables abbayes ont moins de droits et de libertés que des mosquées de banlieue. […]"