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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Le Rhin va-t-il continuer à se jeter dans le Tibre ?

Le Rhin va-t-il continuer à se jeter dans le Tibre ?

De Côme de Prévigny sur Renaissance catholique :

Il y a soixante ans, en plein concile Vatican II, les prélats allemands s’étaient particulièrement fait remarquer pour leur participation aux réformes. Les noms des cardinaux Joseph Frings, archevêque de Cologne, Julius Döpfner, archevêque de Munich, ou Augustin Bea, influent jésuite, s’étaient d’ailleurs rendus célèbres par leur avant-gardisme au point que bon nombre de leurs ouailles étaient souvent restées sur leur faim, aspirant à se dégager toujours plus rapidement d’un passé qu’elles peinaient à assumer. On se souvient qu’en 1966, la conférence épiscopale germanique demandait déjà au pape Paul VI de légiférer en urgence sur la régulation des naissances tout en le suppliant de renoncer aux condamnations d’antan. C’était l’époque où le père Karl Rahner (s.j.) et le professeur Hans Küng exigeaient toujours plus de nouveauté, ce dernier finissant en conflit ouvert avec la papauté, voyant que ses revendications doctrinales et morales n’étaient plus prises en compte comme elles l’étaient autrefois.

Pour autant, le progressisme à l’œuvre en Allemagne ne s’est jamais découragé. Les couvents ont été sécularisés, les églises et les séminaires se sont vidés, les chevelures ont grisonné puis blanchi quand elles ne se sont pas offert une teinture arc-en-ciel. Forts du succès qu’a constitué le coup d’État conciliaire, les catholiques Outre-Rhin restent toujours persuadés de l’idée qu’une assemblée bien accompagnée, par l’évènement qu’elle organise, peut ébranler les convictions les plus ancrées en imposant des vues prétendument majoritaires.

C’est la raison pour laquelle l’épiscopat allemand a organisé un synode, appelé chemin synodal pour manifester sa volonté de faire bouger les principes, du 1erdécembre 2019 au 11 mars 2023.

Une longue histoire synodale

Évidemment, le catholicisme germanique n’est pas à son coup d’essai. Déjà, de 1971 à 1975, le synode de Wurtzbourg, avait eu la prétention, sur le modèle hollandais, de poursuivre l’œuvre initiée par Vatican II de continuer l’ouverture au monde. Comme les réformes conciliaires n’avaient pas été assez loin à son goût, le clergé le plus progressiste d’Europe avait souhaité les approfondir en exerçant une pression sur le Saint-Siège en banalisant des affirmations outrageusement attribuées au Saint-Esprit auquel ces requêtes révolutionnaires donnaient abusivement la paternité. Revendications sur le célibat des prêtres, l’accession des femmes au diaconat, l’autorisation des prédications laïques, l’admission des pécheurs publics à la table de communion, les thèmes étaient déjà les mêmes il y a un demi-siècle. Ils sont éculés et vieux de cinquante ans et les évêques sexagénaires, en pull à col roulé ont eu l’idée de les présenter, encore une fois, comme des aspirations audacieuses.

Aussi ont-ils utilisé les mêmes recettes. Placer les évêques en minorité et mettre les voix du clergé à égalité avec celles des laïcs pour mieux rabaisser le sacerdoce était déjà une pratique expérimentée à l’époque. Bien qu’elle fût interdite une nouvelle fois par le Saint-Siège, ces messieurs d’Outre-Rhin n’ont pas hésité à la ressusciter. Pire, la conférence épiscopale a présenté le Zdk (comité central des catholiques allemands) dont la présidente est un ferme défenseur du droit à l’avortement, comme une instance co-dirigeante du synode. Elle a même consenti, face à ses diktats, à ce que les délibérations du chemin synodal soient des règles contraignantes pour les différents diocèses, bafouant ainsi la constitution divine de l’Église qui assure aux évêques une autonomie dans les juridictions qui leur sont attribuées.

Mais la grande nouveauté du synode allemand du XXIe siècle par rapport au précédent réside dans sa cause. Il aurait été convoqué en raison des scandales moraux du clergé ayant sexuellement abusé de fidèles, en particulier d’enfants. La récupération de ces méfaits sordides est particulièrement cynique quand on considère que les ultra-libéraux réclamaient déjà les mêmes nouveautés il y a cinquante ans sans pour autant invoquer cette cause à l’époque, laquelle constitue désormais un mobile idéal pour culpabiliser l’Église et imposer des revendications qui n’avaient jamais réussi à être acceptées auparavant. Cette fois-ci, les réformes sont présentées comme d’urgentes nécessités pour répondre aux méfaits d’un clergé vieilli, convoqué au banc des accusés.

Les décisions du Synode

Dès les premières réunions, plusieurs membres de l’assemblée se sont évertués à dire qu’il fallait laisser agir l’Esprit Saint et ne surtout pas préjuger des conclusions du Synode. De telles affirmations laissent franchement à sourire lorsqu’on considère qu’en 2023, on a tout simplement resservi les plats qui avaient été présentés il y a cinquante ans, en les agrémentant, il est vrai, de quelques revendications supplémentaires, comme les bénédictions de couples homosexuels. L’archevêque de Munich lui-même, le cardinal Marx, a d’ailleurs avoué que la réunion qui avait jadis rassemblé les évêques n’était que la préparation d’un travail de sape qui avait abouti à l’assemblée qui s’est tenue ces derniers mois :

« Le synode de Wurtzbourg et le processus de discussion de ces dernières années ont préparé le terrain. Nous avons décidé à l’unanimité de suivre un chemin synodal contraignant en tant qu’Église en Allemagne, qui rende possible un débat structuré et se déroule dans un délai convenu, en collaboration avec le Comité central des catholiques allemands. »

Comment ne pas reconnaître que tout était calculé ?

Sans grande surprise, les évêques d’Allemagne ont voté à d’écrasantes majorités des décisions consistant à réexaminer la question du mariage des prêtres, à permettre aux laïcs de prêcher pendant la messe, à favoriser la bénédiction des couples homosexuels, à autoriser les femmes à accéder au diaconat, ou encore à laisser les fidèles changer leur sexe sur leurs actes de baptême dès lors qu’ils ont décidé d’en changer. Un projet n’a pas été examiné après avoir été présenté : celui qui autorisait les fidèles à entendre les confessions en lieu et place des prêtres. Sans doute, n’est-ce qu’une question de temps pour ces évêques aux côtés desquels Martin Luther finit par faire pâle figure. Car, dans toutes ces décisions, la doctrine sacramentelle, la morale de l’Église et le cœur même du sacerdoce sont malmenés en des matières particulièrement graves qui laissent planer de sérieux soupçons d’hérésie sur le catholicisme d’Outre-Rhin.

Il faut dire que la façon de penser a été profondément altérée elle-même. Jusqu’à une époque récente, l’Église, de façon séculaire, avait toujours reconnu que les lieux théologiques permettant d’approfondir la doctrine étaient réduits à quelques sources uniquement : la Tradition de l’Église, la Sainte Écriture, les Conciles œcuméniques, en particulier. Désormais, les esprits novateurs ajoutent de nouvelles sources, totalement étrangères à la révélation, que sont : la raison naturelle, la philosophie et l’histoire. Même le cardinal allemand Walter Kasper, peu réputé pour son traditionalisme, s’est scandalisé de ce renversement complet en qualifiant le chemin synodal de « Soviet suprême » tant il tendait à devenir une instance permanente révolutionnant les esprits.

Les réactions au Synode

La pression exercée par le Synode allemand, soutenu par les médias occidentaux, a bien évidemment suscité de vives critiques à travers le monde. Si, dans l’épiscopat germanique, elles ont été principalement portées par l’évêque de Ratisbonne, Mgr Rudolf Voderholzer, de nombreux fidèles se sont levés pour dénoncer les manœuvres de leurs pasteurs. Ainsi, le Forum des catholiques allemands a-t-il déclaré solennellement :

« Nous ne sommes pas prêts à accepter que les évêques oublient le contenu de leur consécration solennelle et modifient le dépôt de notre foi, que nous avons reçu de l’Église, pour l’adapter à notre époque ».

Il est clair, du côté conservateur, que la rupture doctrinale est à l’œuvre et que l’idée de schisme n’est plus exclue. De leur côté, des princes de l’Église allemands se sont illustrés par leurs prises de position, comme le cardinal Walter Brandmüller ou le cardinal Gerhard Ludwig Müller. L’ancien préfet de la Doctrine de la Foi a par exemple affirmé que le but du chemin synodal était

« la transformation de l’Eglise du Dieu trinitaire en une organisation d’entraide mondaine (ONG). Nous serions enfin arrivés à la “religion de la fraternité universelle”, c’est-à-dire à une religion sans le Dieu de la révélation par le Christ, sans une Vérité qui dépasse la raison finie, sans dogmes et sacrements comme moyens nécessaires de la grâce pour le salut ».

Dans les autres pays, bon nombre d’évêques se sont également inquiétés de la diffusion des idées allemandes, surtout à la faveur du prochain Synode sur la synodalité qui aura lieu à l’automne 2023. Faut-il craindre que les idées novatrices en rupture avec la doctrine de l’Église soient portées à l’intérieur du sanctuaire ? Inquiets de cette perspective, les évêques polonais ou scandinaves ont ainsi interpellé leurs confrères germaniques. De son côté, Mgr Samuel Aquila, archevêque de Denver, a été à l’origine d’une lettre ouverte, co-signée par bon nombre de ses confrères, aujourd’hui plus de cent, pour condamner fermement la déroute synodale :

« Bien qu’ils affichent une apparence d’idées et de vocabulaire religieux, les documents allemands du Chemin synodal semblent largement inspirés, non par l’Écriture et la Tradition […] mais par l’analyse sociologique et les idéologies politiques contemporaines, y compris en matière de genre ».

Mais le grand drame de la situation réside dans la timidité du Saint-Siège qui se singularise par son laisser-faire. En d’autres temps, les évêques allemands auraient tous été déposés – ce que demandait le cardinal Burke. Il n’en est rien. Une fois que les textes ont été adoptés, le cardinal Parolin, secrétaire d’État, paraissait surtout déçu par le manque d’unité du troupeau et il a manifesté une prise de distance mesurée :

« Le chemin synodal prend des décisions qui ne correspondent pas exactement à ce qu’est actuellement la doctrine de l’Église. »

On tremble en entendant le terme « exactement » quand on considère le fossé abyssal qui sépare en réalité la doctrine qui a été dispensée Outre-Rhin et celle qui a été transmise depuis deux millénaires par l’Église. On frémit une seconde fois lorsqu’on entend le cardinal utiliser l’adjectif « actuelle » et estimer qu’il ne retrouve pas dans les écrits du Synode la doctrine actuelle de l’Église, comme s’ils pouvaient éventuellement convenir à ce que serait devenue la doctrine de demain !

Les mouvements révolutionnaires sont en général insatiables. Dès lors que des concessions leur sont faites, leurs acteurs réclament toujours plus de changements, pour construire l’homme nouveau correspondant à leur utopie. Les premières concessions conciliaires disposaient déjà les esprits à exiger les nouveautés actuelles. Aujourd’hui, les promoteurs du Chemin synodal réclament la bénédiction des couples homosexuels, la prédication des laïcs au cours de la messe ou encore le diaconat des femmes. Quels arguments permettront demain d’interdire de bénir les orgies luxurieuses dès lors que leurs adeptes sont tous consentants ? Qui pourra prohiber le culte des satanistes dès lors que leurs ministres sont libres et que leur croyance est sincère ?

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