Farid Jeanbart, diplomate syrien et docteur en géographie, a vécu de l’intérieur la dissolution et la chute du régime de Bachar al-Assad. Il témoigne dans Conflits. Extrait :
[…] L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a considérablement affecté le soutien militaire russe à la Syrie. Moscou a redéployé ses forces aériennes vers le front ukrainien, considérant cette guerre comme existentielle. Selon des sources bien informées, quatre mois avant la chute de Damas, Sergueï Choïgou, secrétaire du Conseil de sécurité russe, aurait informé Bachar el-Assad de la nécessité de retirer l’aviation et l’armement lourd de Syrie pour les transférer en Ukraine.
Privé de son principal atout stratégique — la couverture aérienne russe — le régime s’est retrouvé militairement vulnérable. La Russie, en pleine guerre, n’est plus en mesure de soutenir la Syrie ni militairement, ni économiquement. Les diplomates russes l’ont clairement affirmé : la Syrie n’est plus une priorité.
Parallèlement, l’Iran, autre allié clé de Damas, a vu son influence régionale s’effondrer. La destruction des infrastructures militaires du Hamas à Gaza, suivie de l’assassinat d’Hassan Nasrallah le 27 septembre 2024 dans le sud du Liban, ont considérablement affaibli le Hezbollah, bras armé de Téhéran. Ce dernier a dû retirer la majorité de ses combattants de Syrie pour défendre le Liban face à Israël.
Le rapprochement du régime syrien avec les pays du Golfe — symbolisé par la participation de Bachar el-Assad au sommet de la Ligue arabe en 2023 — a également tendu les relations avec l’Iran. Le régime syrien est de plus en plus soupçonné de complicité passive avec les frappes israéliennes ciblant les forces iraniennes sur son sol. En réaction, l’Iran a retiré des dizaines de milliers de miliciens chiites, notamment dans la région d’Alep, privant ainsi Damas d’un soutien militaire essentiel.
Conclusion : une convergence de facteurs fatals
La chute du régime de Bachar el-Assad ne peut être attribuée à un seul facteur. Elle résulte d’une combinaison d’éléments internes — corruption, désorganisation militaire, aveuglement stratégique — et de mutations régionales et internationales profondes. Sans l’enlisement de la Russie en Ukraine, le retrait de l’Iran, et la défaite du Hezbollah, HTC n’aurait probablement pas réussi à prendre Damas. Ce qui distingue HTC, c’est sa capacité à lire et exploiter les transformations géopolitiques, contrairement à un régime syrien figé, sûr de lui, et sourd aux signaux d’alarme. Certes, après treize ans de guerre, l’armée est anéantie et l’économie en ruine. Mais une stratégie de repositionnement diplomatique, notamment envers la Turquie, aurait pu prolonger la survie du régime. […]