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France : Société

Le temps des illettrés est venu

Le temps des illettrés est venu

De Marion Duvauchel pour Le Salon beige :

En 1980, Paul Guth, un agrégé de lettres qui avait vu sa carrière écourtée à cause d’une gorge fragilisée, faisait paraître aux éditions Albin Michel, un livre au titre très actuel : Lettre ouverte aux futurs illettrés. On tiendrait aujourd’hui ce livre pour totalement réactionnaire: il n’est que prophétique. Il s’adresse à un lycéen imaginaire que l’auteur appelle « Jacques », parce que c’est le nom « paysan » des Français. Les « jacqueries » qui s’annoncent à l’horizon de ce ciel noir qui est le nôtre, nous ferons redécouvrir l’origine de ce nom. Et quand Paul Guth élargit son propos à d’autres lycéens, il les appelle François, Pierre, Hubert, Caroline, Brigitte, Sophie. Parce que les Français portent encore des noms chrétiens en 1980, ils sont ce qu’on appelle « de souche » et personne ne songerait à le leur reprocher.

Paul Guth, l’inventeur du « naïf aux quarante enfants » — aujourd’hui oublié, qu’attendent les éditeurs pour le ressusciter? — évoque dans cet ouvrage une France qu’il juge alors en voie de disparition et que nous, nous savons à jamais disparue. Il y dit que l’école est l’avenir, qu’elle est un lieu capital de la société, que ce sont les écoles qui sont les vraies centrales nucléaires qu’il faut garder en temps de troubles parce que si les « murs psychologiques de l’école s’effondrent », c’est toute la société qui s’effondre. Du Belvédère qu’il a choisi, la fenêtre d’une école, il « hurle de terreur ». Il a raison, c’est un homme conscient du danger, qui le voit, alors il sonne le tocsin. Il dit ce que nous savons tous, qu’il y a d’un côté des « princes qui nous gouvernent » et de l’autre cinquante millions de taupes, qui sont aujourd’hui quelques millions de plus… Ces princes s’adressent aux Français, jambes croisées comme dans une réunion de colocataires en leur disant que les temps sont durs — tiens, déjà — , que le monde est dangereux (ça, on le sait tous, et depuis tout petits….) ; ils leur demandent du bout des lèvres de la raison, du courage — tiens déjà — et sur un ton de condoléances, ils louent leur sens de l’effort. La seule chose qui a changé aujourd’hui, c’est le ton, plus martial ou plus nerveux. On mobilise davantage le corps : l’un agite les épaules jusqu’à en avoir un tic nerveux; l’autre se donne une allure aussi niaise que son sourire ; le troisième adopte l’allure qui va avec « l’heure est grave », « on n’a pas rempli les objectifs de Bruxelles »… Nous connaissons la chanson. Le « prince qui nous gouverne » a retrouvé une allure de tribun romain, il ne lui manque que la toge, qui lui donnerait l’air de ce qu’il est vraiment, une marionnette de carnaval. Sauf que, aujourd’hui comme en 1980, on n’est pas dans une opérette où le héros serait un gamin pervers, psychologiquement attardé.

1980… Trois rabbins avaient alors rêvé simultanément de la fin des temps: le rabbin Senersson, chef spirituel de la  secte religieuse juive de Loubavirch, à New York; le rabbin Halberstains de Nathanya, le rabbin Israël Abaizira, du Néguev.  Le premier janvier 1979, à la basilique saint Pierre,  le pape Jean-Paul II avait rapporté les éléments d’un rapport de synthèse que lui avait envoyé un collectif de quelques savants. Dans ce discours en chaire, mitre sur la tête, en plein exercice de son pontificat, (donc avec l’intention formelle d’une déclaration solennelle, et non pas lors de bavardages en avion avec des journalistes), il décrivait ce que seraient les conséquences immédiates et terribles d’une guerre nucléaire:

« la mort, par l’effet direct ou retardé des explosions de 50 à 200 millions de personnes; une réduction foudroyante des ressources alimentaires causées par la radioactivité ; des mutations génétiques imprévisibles atteignant l’espèce humaine, la flore et la faune; des altérations considérables su contenu d’ozone dans l’atmosphère; dans une ville atteinte par une explosion nucléaire, la destruction de tous les services urbains et la terreur provoquée par le désastre empêcheraient d’apporter le moindre secours aux habitants et créeraient un cauchemar d’Apocalypse ».

Mais entre les incapables de 1980 et les incompétents d’aujourd’hui, il y a une différence, et elle est de taille. Qu’on me pardonne la longueur de la citation de Paul Guth. Le garant des maîtres d’alors était « une grande figure, non abstraite comme les statues du Commerce et de l’Industrie sur nos places (aujourd’hui, on les descelle si leurs noms sont trop français), mais charnelle, splendide, une figure qui gardait l’idée charnelle de la France. 

« Pour les visionnaires, (nous le sommes tous, dit Paul Guth et je le crois aussi, au moins dans les heures solennelles où la conscience ne peut plus que se réveiller et soulever le tombereau de sottises idéologiques qui ont remplacé la foi vive d’antan), pour les visionnaires, cette figure est une forme de femme, « aussi reconnaissable que la Vierge peinte par Raphaël ou que celle qui éclipsait au yeux de la bergère Bernadette, la plus belle dame de Lourdes. (…) Le Général de Gaulle la comparait à une princesse lointaine, à une sainte de vitrail. Les plus obtus la percevaient dans un rayonnement de livres de prix, dorés sur tranche, dans un chant de coq à l’orée d’un village, dans le pétillement de lumière d’une rivière entre les saules, dans un visage de jeune fille à sa sa fenêtre, dans une façon de prononcer les « r »  ou de rejeter ses cheveux, autant que dans les dates de Marignan, d’Austerlitz, ou que dans le crépitement de Jeanne, la Lorraine. Cette fée en robe de prairies, cette reine en traîne de gloire, emmenant dans son sillage fleuves, cathédrales, larmes victoires, et l’acharnement de ceux, rois, curés, manants, républicains, qui en tant de siècles, façonnèrent notre pré-carré, cette vision de grâce et d’ardeur, c’était la France ».

L’incarnation de chacun de nous, avec l’élan collectif, venu du fond des âges qui nous projette vers l’avenir.

Cet élan collectif n’est plus qu’un « projet » dont on parle d’autant plus qu’on ressent cruellement son absence. Nous ne sommes plus qu’un « hexagone », une figure de géométrie : qui voudrait mourir pour une figure géométrique? On ne demande plus à notre langue que des services limités, un peu ce qu’on demande aujourd’hui à l’anglais basique. Nous saluons l’oeuvre d’un Musso, qui se vend apparemment fort bien, et Molière est devenu une comédie musicale qui ne fera rien aimer d’autre que la comédie musicale. Molière ne sera plus une oeuvre, des personnages de théâtre, mais toute un bande de chanteurs gesticulant sur scène en costume d’époque.

En 1784, l’académie de Berlin avait mis au concours le sujet suivant:

« Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle? Pourquoi métrite-t-elle cette prérogative? Est-il à présumer qu’elle la conserve? »

Le mépris d’aujourd’hui pour cette France qu’un Général disait « éternelle », a été préparé par l’arme qui se passe de tout argument : le ricanement. Le dessin de Faisant qui dénonçait cet état d’esprit met en scène huit représentants de pays différents. Sous chacun d’eux on peut lire, « valeureux patriote ». Et sous le Français, on peut lire : vieux con, chauvin, cocardier, xénophobe, présumé facho. Aujourd’hui, l’arme qui se passe elle aussi de tout argument est le dénigrement. Le patriote est en plus un antiwoke, un homophobe (il faudrait dire un « pédophobe) et il est forcément d’extrême-droite.

L’anglais n’a en rien remplacé le français. Ce qu’on parle en général, c’est « l’english broken », une langue simplifiée faute de quoi on ne pourrait se faire comprendre, langue purement instrumentale, réduite à l’usage qu’on demande aujourd’hui à ce franglais de mauvais journalisme. Dans les plates-formes bancaires, on parle la langue commerciale et technique de ceux qui aujourd’hui entendent bien gouverner le monde. Les jeunes qui parlent cette langue déracinée de son socle culturel en tirent une sotte vanité mais un vrai privilège : celui de pouvoir s’ennuyer le reste de leur existence dans des emplois bien rémunérés. Il leur restera de pouvoir s’en vanter dans les salons mondains ou les soirées entre cadres supérieurs.

Il reste encore bien sûr quelques écrivains qui ont le sens d’un français fastueux, d’une certaine somptuosité un peu festive, parfois baroque, ou encore de cette aisance concise et ramassée qui donne le sentiment de petits éclats de lumière. Les autres passent à la Grande librairie…  Ils écrivent en général sur eux, ou sur des choses abstraites, ou « de l’âme » comme François Cheng, puisque les chrétiens n’en parlent pas, ce l’âme immortelle, appelée à la divinisation… Dans un autre registre, on a droit à tous ces chanteurs qui ont des choses essentielles à nous communiquer sur leur vie, leurs drames réels ou imaginaires, leur « moi » insupportablement assommant supposé nous passionner.  On s’en moque éternellement, et ça ne fait même pas de la chanson française, de celle qu’on chante encore dans les Carpates roumaines… Dès 1966, Jules Romains, le saint patron des complotistes, dénonçait dans sa Lettre ouverte contre une vaste conspiration, la destruction préméditée d’une culture et donc d’un peuple.

Nous sommes en 2024. Depuis plus de cinquante ans nous n’enseignons plus l’histoire, volatilisée dans le pudding des activités d’éveil. Plus aucun enseignant ne soupçonne que le génie français est fait de la fusion de ses génies provinciaux. Les professeurs des écoles se débattent avec des enfants qui n’ont pas reçu la moindre éducation et avec ceux que ce monde inclusif impose dans leurs classes, sans aucun moyen d’affronter ces situations de handicap. Chargeons la mule, chargeons la, il en restera bien quelque chose… Désormais, en classe de cinquième, dans le programme d’histoire, les bornes du Moyen-âge sont l’avènement de Mahomet et la chute de Bagdad. Quand on n’a plus d’histoire, on prend celle des autres.

Aujourd’hui, qui est la figure garante de notre patrie?  Certainement pas Ursula Von der Leyden avec son impeccable silhouette de série américaine. Non, aujourd’hui, le garant de notre hexagone, c’est L’OTAN.

Oh Pôvre comme on dit chez nous. Ce qui signifie: Prend pitié de nous, Seigneur.

Rajoutons, Oh bonne mère.. Ce qui veut dire: Intercédez Madame, avec tous les anges et tous les saints du Ciel pour cette terre qui vous a tant aimée. Et qui avait pour vocation de moudre le grain pour le reste de l’humanité.

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