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Liberté d'expression

Le terrorisme intellectuel est un instrument de contrôle social

Le terrorisme intellectuel est un instrument de contrôle social

Jean Sévillia publie une version augmentée et actualisée de son essai sur Le Terrorisme intellectuel. Pour l’occasion, il a été interrogé dans Le Figaro Magazine. Extraits :

Comment définiriez-vous le terrorisme intellectuel en 2025? Est-ce un système, une méthode, une stratégie?

Il y a vingt-cinq ans, j’avais été invité à en donner une définition. Je n’ai rien à y changer: «Le terrorisme intellectuel, refusant tout débat de fond sur les questions politiques et sociales qui engagent l’avenir, vise à ôter toute légitimité à son contradicteur en l’assimilant par amalgame aux personnages, aux faits et aux théories du passé ou du présent qui symbolisent le mal absolu selon les critères dominants dans le milieu culturel et médiatique.» Ce mécanisme s’est mis en place après-guerre, lorsque le Parti communiste exerçait une position hégémonique dans les milieux intellectuels. […]

Une minorité régente le monde des idées, pratiquant un terrorisme intellectuel qui est un instrument de contrôle social. Ce phénomène agit comme une sorte de police: une police du vocabulaire, une police de la pensée, une police du comportement en société et même du comportement privé, une police du bien-voter.

Le mécanisme demeure, même quand l’idéologie dominante évolue. Dans les années 1950, les milieux intellectuels communiaient dans le communisme stalinien. Dans les années 1960, dans sa version tiers-mondiste, exaltant Mao, Hô Chi Minh ou Fidel Castro. Dans les années 1970, la tendance était, au nom de la pensée 68, à tout déconstruire. Dans les années 1980, l’heure était à l’antiracisme et à un antifascisme dont le socialiste Lionel Jospin a reconnu après coup qu’il n’était que du «théâtre», parce qu’il n’y a jamais eu de danger fasciste en France à cette époque.

Dans les années 1990 a triomphé le droit-de-l’hommisme, la foi en la mondialisation heureuse. À partir des années 2000, le paysage idéologique a été plus éclaté, avec un fort tropisme vers les questions sociétales et l’obligation d’accepter n’importe quel bouleversement anthropologique comme un progrès de la modernité. À chaque fois, les opposants à ces théories ont été calomniés, caricaturés, invisibilisés.

En quoi le terrorisme intellectuel a-t-il changé de visage ou d’ «habits» en vingt-cinq ans?

Paru en 2000, mon livre méritait d’être prolongé car le terrorisme intellectuel n’a pas faibli. Il s’est même renforcé. Les Habits neufs du terrorisme intellectuel reprend la plus large partie du Terrorisme intellectuel, mais, à travers huit chapitres supplémentaires, il passe en revue, thématiquement et chronologiquement, tous les sujets qui, depuis 2000, ont dominé le débat public. Sur le plan idéologique pur, peu de nouveautés sont apparues, à part les questions de genre, une entreprise de subversion anthropologique, ou le wokisme et la cancel culture qui ont marqué l’émergence, au sein de la gauche radicale, d’un courant racialiste et communautariste qui n’était pas dans la filiation des révolutionnaires français. […]

Ce qui est nouveau, par rapport à la façon dont l’information était diffusée et commentée, il y a un quart de siècle, c’est que, désormais, les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux fournissent mille et une occasions quotidiennes de polémiques susceptibles de dégénérer parce qu’un intervenant, dans le feu de la discussion, a employé une expression interdite ou un mot suspect, et qu’on le contraindra à s’expliquer en sondant ses pensées secrètes, pensées réelles ou supposées. L’objectif demeure d’ôter toute légitimité à son adversaire afin de n’avoir même pas à débattre avec lui, mais les moyens pour ce faire se sont aggravés. On observe ainsi une inquiétante judiciarisation du débat.

Pour une formule qui a déplu aux professionnels de la vigilance, on risque un procès. Exemple récent, la polémique, déclenchée contre le philosophe Pierre Manent qui, en décembre, au cours d’un entretien sur la laïcité a évoqué, sur le plateau du Figaro TV, l’incidence du nombre de musulmans en Europe. Ce libéral au verbe pesé s’est vu accusé de tenir «un discours explicitement discriminatoire, raciste et porteur d’une dangereuse rhétorique». Une telle dérive est facilitée par la législation qui a donné une interprétation extensive et abusive du racisme, concept désormais applicable aux mœurs ou à la religion. En outre, pour ce qui touche à l’islam, la violence verbale peut se transformer en violence physique, on ne le sait que trop.

Cependant il est vrai que dans d’autres domaines, l’intolérance est également susceptible de déboucher sur la violence. Il suffit de considérer ce qui est arrivé, en 2024, à Dora Moutot et Marguerite Stern, deux anciennes figures du féminisme qui ont pris leurs distances avec les mouvements au sein desquels elles militaient naguère et qui ont publié un livre sur «les dérives de l’idéologie transgenre». Ces deux jeunes femmes n’ont cessé depuis de subir des menaces tandis que leurs interventions étaient systématiquement attaquées par des activistes «trans».

La baisse du niveau culturel général due à l’effondrement de l’école et au recul de la lecture encourage sans doute le recours à la violence, sans compter la désinhibition provoquée par les stupéfiants: quand diminue la capacité de comprendre les paroles de l’autre ou d’en saisir les nuances, surgit la tentation de régler les différends non avec des mots mais avec les poings. […]

Vous relevez dans votre livre que les grands médias ont fini par s’ouvrir à des points de vue et des opinions qui n’y avaient pas droit de cité il y a encore dix ou quinze ans. N’est-ce pas le signe d’un basculement idéologique en France et le début de la fin du terrorisme intellectuel?

Le début de la fin du terrorisme intellectuel, nous en sommes loin, si nombreux étant encore les secteurs intellectuels et culturels où prédomine la gauche: le monde médiatique (plus des deux tiers des journalistes votent à gauche), l’enseignement secondaire, la plus grande part de l’université, les institutions et associations culturelles, de vastes secteurs de l’édition, etc. En même temps, on cherche les grands intellectuels de gauche dont le nom brillait jadis de Saint-Germain-des Prés aux prestigieuses universités américaines. Il vient aussi un moment où le discours formaté par l’idéologie se heurte au mur de la réalité.

Comment prétendre que l’immigration ne pose aucun problème quand les banlieues françaises sont en feu? Comme prétendre que l’insécurité n’est qu’un «sentiment» quand l’expérience quotidienne des femmes prouve le contraire? Le mur du gauchisme culturel, selon l’expression du sociologue Jean-Pierre Le Goff, n’est pas tombé, mais il est lézardé. Ce qui est réjouissant, à cet égard, est que dans ma génération nous étions très peu nombreux à penser à contre-courant.

Alors qu’aujourd’hui, je peux citer dans mon livre toute une pléiade de jeunes journalistes, essayistes, philosophes et historiens, tous plus brillants et courageux les uns que les autres, qui travaillent à faire tomber la citadelle du mensonge. C’est un signe d’espoir.

Les habits neufs du terrorisme intellectuel: De 1945 à nos jours

 

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