Bruno Larebière est interrogé par Atlantico sur la candidature de Nicolas Dupont-Aignan :
"Il faut reconnaître à Nicolas Dupont-Aignan le mérite de la persévérance… Je me souviens d’une longue conversation que nous avions eue en 2009. Il m’avait expliqué, en long, en large et en travers, pourquoi il était le seul, dans toute la classe politique, à pouvoir sauver la France.
Il était persuadé d’être le seul, l’unique, parmi tous les tous les prétendants de droite, à pouvoir recueillir sur son nom une majorité de 50 % des voix plus une en raison de sa personnalité et de son positionnement.
En résumé, il m’avait expliqué que s’il se déclarait tel qu’il dit être (« Je suis de droite nationale, vous n’en doutez pas ? », m’avait-il répété), il ne pourrait jamais recueillir que 10, 15 voire 20 % des suffrages. Alors qu’en se positionnant comme gaulliste, il était en mesure d’emporter la majorité absolue…
Il y avait quelque chose de fascinant à l’écouter répéter en boucle sa certitude de se trouver au « point d’équilibre » de la vie politique française – c’était sa formule – sans autre argument que sa propre certitude.
Trois ans plus tard, à la présidentielle de 2012, Marine Le Pen n’a peut-être recueilli que 17,9 % des voix mais lui a fait très exactement dix fois moins : 1,79 % des suffrages. 6,4 millions de voix pour l’une, 640 000 pour l’autre. Mais il croit toujours que ça marchera. Un jour…
Dupont-Aignan est un pur produit de la Ve République gaulliste, celle qui, depuis 1962, organise, par l’élection du président de la République au suffrage universel direct, la fameuse rencontre entre un homme et un peuple. Il croit en son destin national.
Une partie de la droite, portée idéologiquement par des personnalités telles que Patrick Buisson, Philippe de Villiers ou encore Eric Zemmour, est dans l'attente d'une figure pour porter un projet de droite traditionnelle. Nicolas Dupont-Aignan a-t-il les atouts nécessaires pour l'incarner ?
Est-ce que vous connaissez beaucoup de gens qui votent pour Dupont-Aignan avec enthousiasme ? Je veux dire par là que le vote Dupont-Aignan est un vote par défaut. Ses électeurs ne veulent pas reconduire les candidats de la droite ex-UMP qui les ont déçus ou trahis mais ils ne veulent pas non plus se porter sur le Front national, ainsi qu’on a pu le voir aux récentes élections régionales en Ile-de-France, où la liste qu’il conduisait a recueilli 6,57 % des voix.
C’est tout le problème de Dupont-Aignan : on ne vote pas pour lui ; on lui apporte sa voix parce qu’on ne veut pas l’apporter aux autres. Cela correspond d’ailleurs au slogan qu’il porte jusqu’à ce jour : « Ni système, ni extrêmes ». Il capitalise par défaut. Cela fonctionne dans une certaine mesure lors d’élections intermédiaires sans enjeu, mais cela ne permet pas d’enclencher une dynamique victorieuse pour une élection présidentielle. Il se voit en sauveur – d’où, d’ailleurs, le titre assez douteux de l’ouvrage qu’il vient de publier, France, lève-toi et marche –, alors qu’en fait, il pratique une sorte d’économie politique de bon père de famille qui assure son existence politique.
Pour répondre plus précisément à votre question, Nicolas Dupont-Aignan n’incarne pas ce « projet de droite traditionnelle » pour de multiples raisons, la principale étant bien sûr son discours politique de gestionnaire souverainiste qui n’est absolument pas à la hauteur des enjeux civilisationnels. Cette droite traditionnelle réclame du souffle, une vision, l’expression charnelle d’un amour de la France, l’exaltation d’une civilisation et l’enclenchement d’une dynamique de reconquête, non pas tant d’un électorat mais avant tout des esprits, et là, il n’y est pas. Même le titre de son ouvrage ne fonctionne pas. S’il avait relu les évangiles, il aurait vu que Jésus dit au paralytique de se lever et de marcher pour rentrer chez lui ! « Lève-toi, prends ton lit, et va dans ta maison. » On a connu des perspectives plus enthousiasmantes …
D’autre part, Nicolas Dupont-Aignan est en permanence dans le « ni, ni » alors qu’il lui faudrait être dans le « et, et ». Il n’enclenchera pas une dynamique sur deux rejets. De plus, il se place ainsi à la merci des autres candidats, qui ne vont pas se priver, lorsque la campagne présidentielle sera véritablement enclenchée, de réduire son espace. Pour « porter un projet de droite traditionnelle », il faut être dans la rupture et dans la transversalité. Pas dans la gestion d’un segment électoral.
L’homme – ou la femme – qui incarnera le projet de droite traditionnelle sera celui qui transcendera les clivages au nom d’un intérêt supérieur. Or Dupont-Aignan, lui, fait ressortir ces clivages pour se tailler un espace. Dupont-Aignan, c’est le Chevènement de la droite, sans le respect intellectuel qu’inspirait, en 2002, l’ancien ministre de la Défense.
Quels sont selon vous ses points négatifs, pourra-t-il les corriger dans les mois qui viennent ?
Pour gagner une présidentielle, il ne faut pas avoir peur de tout perdre. Or, au fond de lui-même, il préfèrera toujours sortir à 4 % qu’à 0,4 %, pour avoir de quoi continuer à exister sur l’échiquier politique. Il menace de renverser la table mais ménage ses arrières. Sa stratégie est à son image et il ne peut pas se changer lui-même.
D’autre part, il va avoir du mal à expliquer, sur de longs mois, qu’il faut voter pour lui plutôt que pour Marine Le Pen, alors que son programme est la copie quasi identique de celui du Front national, et cela sur tous les sujets. Finalement, c’est un peu comme si Florian Philippot se portait candidat à la présidence de la République en expliquant que Marine Le Pen n’a pas les qualités pour occuper la fonction.
Je suis certain que Dupont-Aignan, par sa pugnacité, ferait un excellent ministre, mais je ne crois pas qu’il ait les qualités pour accéder la présidence de la République. Dommage que ce soit justement ce qu’il veut."