Sur le blog de l'Homme nouveau, Philippe Maxence répond à l'éditorial d'Aymeric Pourbaix dans Famille chrétienne :
"Certains se réjouissent que la campagne électorale prenne le chemin d'une discussion sur les « valeurs » plutôt que sur l'économie, considérée comme étant un sujet uniquement « technique », sans grande valeur ajoutée de la part des candidats, lesquels n'auraient qu'une étroite marge de manœuvre. […] Mais, pour autant, faut-il rejeter dans le domaine de la seule technique la question du système économique, sous prétexte qu'il n'aurait rien à voir avec les valeurs ou, pour être, plus précis avec la morale ? Les catholiques sont-ils acculés à ne se battre ou à se faire entendre que sur la question de l'avortement ou de l'euthanasie, voire de la famille et de la liberté de l'enseignement, comme si le système économique dans lequel nous vivons était complètement innocent ? Il est indéniable que le Pape nous invite à prendre en compte ce qu'il a nommé les points non négociables, limites ultimes au-delà desquelles nous basculerons dans des politiques déshumanisantes et franchirons le cap du déni de civilisation. Mais la situation du Chinois (par exemple), travaillant pour le grand marché mondial et le profit aussi bien des entreprises contrôlés par le parti dans son pays que des revendeurs occidentaux, n'est-elle pas aussi le fruit d'une politique déshumanisante et un déni de civilisation ?
Que la marge de manœuvre économique soit étroite, concédons-le, et concédons-le d’autant plus aisément, que notre organisation politique, économique et sociale, s’est organisée en sens inverse du principe de subsidiarité, renvoyant toujours plus, selon une logique ultra-jacobine, le pouvoir de décision dans des instances supérieures et lointaines. On ne s’étonnera donc pas qu’ainsi la marge de manœuvre soit réduite (ou pour le dire dans un autre langage, que la liberté soit étouffée), sur le plan économique, quand ce domaine a été abandonné depuis des décennies aux seules sphères des « spécialistes » et des « techniciens ». Lesquels, soit dit en passant, nous ont conduits dans la crise à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés et prétendent encore être les seuls à pouvoir y apporter une solution. Médecin, guéris-toi toi-même !
Mais doit-on, pour autant, rejeter complètement la question économique sous prétexte qu’elle ne serait que technique, avec le sous-entendu qu’elle ne concernerait pas notre conscience de chrétien ? Affirmer que l’économie n’est qu’une pure affaire technique ne revient pas seulement à résoudre le problème avant de le poser en favorisant le système économique en place, mais également à laisser croire que finalement il n’y a aucun lien entre le système économique actuel et les fameuses valeurs qui habitent ou désertent notre société. Pour nombre de catholiques, en effet, l’économie n’est effectivement qu’une affaire de technique, au mieux, de choix entre deux systèmes, le libéralisme et le socialisme, le christianisme n’étant plus que le supplément moral de ce système.
Comme si le choix économique était moralement neutre ! Comme si le système économique n’avait aucune conséquence sur la vie que nous menons. Et je ne parle pas là d’un simple choix pour des investissements éthiques ou « bio », comme on les voit fréquemment aujourd’hui, mais bien du système dans lequel nous vivons. Avant d’être technique, ce qu’elle est aussi, la question économique est une question de valeurs, pour reprendre ce terme inapproprié. Et l’efficacité ne peut être la seule valeur qui préside à nos choix économiques, même si elle entre évidemment en ligne de compte. En ayant bousculé toutes les hiérarchies, renvoyant la politique dans le domaine des seuls spécialistes, la religion dans celui des superstitions, l’économie dominante a malheureusement transformé notre monde en une société de marché où tout est réduit au libre choix et à la marchandisation. On peut croire au hasard ou à la fatalité. On peut aussi s’en contenter au nom d’un pseudo-réalisme qui entend tout conserver tout simplement parce que les choses existent ainsi. Mais quelles que soient nos attitudes et nos marges de manœuvre, rien ne nous empêche de voir qu’il y a un lien philosophique entre le libre choix des libertaires favorables à l’avortement (pro-choice, disent-ils) et le libre choix des spéculateurs et de ceux qui préfèrent délocaliser. C’est la même absence de limites ; la même idéologie du progrès. Quand on n’isole pas tel ou tel passage du vaste corpus de la doctrine sociale de l’Église, de Léon XIII à Benoît XVI, on s’aperçoit que l’Église apporte les principes qui, enchassés les uns dans les autres, permettent d’envisager une autre société et une autre économie, ne condamnant pas le catholicisme à n’être que le supplément d’âme ou le supplément moral, le supplétif spirituel du socialisme étatiste comme dans les années soixante-dix ou du libéralisme comme aujourd’hui. En ce sens, le débat sur le système économique est aussi un débat sur les valeurs. À ne pas laisser de côté."
L'économie est en effet un débat important auquel les catholiques doivent s'intéresser et c'est aussi pourquoi nous avons proposé 16 points sur l'économie et le rôle de l'Etat, qui ont recueilli plusieurs dizaines de commentaires.
Addendum 19h : Philippe Maxence précise qu'il constate depuis des années -et non depuis l'éditorial d'Aymeric Pourbaix- que les catholiques ont déserté le champ de la question économique alors qu'elle a un lien direct avec la disparition des valeurs morales.
lama12
Un exemple de dérèglement de l’économie qui saute aux yeux dans les journaux : les rémunérations des “grands patrons ?” en 2011 (année de crise !).
Ce serait le rôle de l’état de faire appliquer des règles de bon sens et d’équité :
– privilégier le désendettement de l’entreprise aux “bonus” (qui devraient tout simplement être interdits si l’entreprise est endettée).
– faire exercer un contrôle des rémunérations par des actionnaires lambda. (je pense à la désignation des jurés dans les tribunaux).
Liste non exhaustive !
Don Antoine
Tiens, la morale catholique ne serait pas contenue dans le seul périmètre d’une chambre à coucher?
Merci d’en avertir famille chrétienne!
LB
Ou Dieu ou Mammon, nul ne peut servir deux maîtres. Ceux qui refusent le Règne de Jésus-Christ sur les sociétés font un choix de “valeurs”. Si J-C n’est pas Dieu, si Il n’est pas la Vérité……tout est possible c’est le paradis de l’esclavage, c’est l’homme soumis à l’homme, c’est l’Enfer sur terre.
Phil C
Merci beaucoup de nous faire partager ce magnifique extrait du blog de Ph. MAXENCE: rien à retrancher, tout est juste! Si ce n’est pas une critique de la société libérale actuelle cela y ressemble fortement! En effet le libéralisme économique et le libertarisme puisent aux mêmes mamelles, ou sont les deux cornes du même diable si vous préférez… Ainsi monsieur MAXENCE réaffirme qu’être un catholique cohérent implique de remettre en cause le système, et son postulat, la liberté dévoyée. Pourquoi ai-je l’impression que vos 16 propositions ne vont pas dans ce sens? Allons, encore un peu de lucidité!
[Je ne vois pas en quoi nos 16 propositions ne vont pas dans ce sens. Au-delà de la liberté dévoyée, il y a aussi l’absence de subsidiarité, dénoncée également par PM, laquelle a été confisquée par les structures étatiques, voire supranationales…
MJ]
jehan
Vu chez Philippe Herlin
http://www.facebook.com/philippeherlin2
Argent des syndicats : l’intégralité du rapport Perruchot…
…est accessible en téléchargement sur le site “Le Point.fr”
http://www.lepoint2.com/pdf/rapport-perruchot.pdf
http://www.lepoint.fr/economie/argent-des-syndicats-le-rapport-interdit-16-02-2012-1431943_28.php
laurent
ce qui me gène dans vos 16 propositions c’est leur présentation. On pourrait avoir l’impression que vous reprenez la rhétorique d’aujourd’hui pour la christianiser (libéralisme contre étatisme). En effet vous présenter le monde économique face à l’Etat : deux univers qui se font face à égalité. Mais qui fait l’arbitre alors ? Or les chrétiens (de chrétienté) comme Chesterton et leurs disciples dont fait parti P Maxence quittent résolument le contexte des 19ème et 20ème. C’est l’Etat qui est juge du Bien Commun dans un pays donné (comme c’est le roi qui a construit la France), il n’y a pas d’autres solutions. L’économie est au service des biens qui lui sont supérieurs : il existe une hiérarchie des biens et le bien économique bien que nécessaire absolument n’est pas à égalité avec l’Etat. C’est de l’Etat seul que peut venir l’impulsion de changer de société.
Vos propositions se veulent réalistes et semblent prévues pour une période de transition, mais vous ne l’explicitez pas. Il me paraît évident que seul l’Etat peut réimpulser de la subsidiarité dans un premier temps si l’on veut se placer sur le terrain de la transition (ce qui ne me semble pas réaliste en l’état).
[Nous n’avons pas employé une seule fois le terme piégé de “libéralisme” dans nos 16 points. Il n’est donc pas utile de nous le réapproprier.
L’Etat ne peut pas impulser de la subsidiarité par un coup de baguette magique ou par une loi. La subsidiarité ne peut être impulsée qu’à condition que l’Etat laisse la liberté aux acteurs, aux familles, aux propriétaires, aux chefs d’entreprises, qui sont plus à même d’exercer leurs compétences. Chesterton ne dit pas autre chose quand il plaide pour le distributisme. L’Etat a un rôle à jouer, mais un rôle limité, qui consiste à rendre la justice et à intervenir en cas de défaillance. Et encore, lors d’une défaillance d’un acteur, c’est le niveau supérieur qui doit, selon le principe de subsidiarité, intervenir et non directement l’Etat.
C’est le principe d’une société organique, que nous ne connaissons plus aujourd’hui puisque l’Etat peut intervenir dans tout domaine, légiférer directement sur tout. Il n’y a plus ou trop peu de corps intermédiaires.
MJ]
laurent
“L’économie de marché est toutefois intrinsèquement instable, et indissociable de mécanismes douloureux tels que la création destructrice. Ses acteurs sont faillibles, individuellement et collectivement. Mais ces défauts sont préférables au marasme économique structurel qu’entraîne, comme actuellement dans notre pays, un excès d’intervention de l’Etat.”
cette phrase me semble illustrer mon propos ci-dessus. Si vous envisagez une économie “dans les normes”, il me semble que par hypothèse l’Etat l’est devenu lui aussi car on ne peut imaginer une économie se mettant spontanément “dans les normes”. Par conséquent, l’Etat est en mesure de remédier (et c’est son rôle) au caractère instable de l’économie de marché sans que cela revête un caractère totalitaire.
[Comme je vous ai répondu ci-dessous, il manque entre l’Etat et les acteurs, les corps intermédiaires, directement compétents, qui doivent prendre le relai en cas de défaillance. L’intervention de l’Etat n’est pas toujours bénéfique, comme le prouve la crise actuelle. MJ]
PG
@ Laurent
L’arbitre, par nature, est la société et ses membres, personnes, familles, et corps intermédiaires.
L’Etat doit servir de garant aux lois votées en société, et aux contrats et rapports entre les différentes membres d’une société.
L’exemple des justices ordinales ou des prudhommes démontre que l’Etat peut reconnaître des juridictions qui ne dépendent pas de lui, sauf comme arbitre suprême. Cela prouve que la justice et les régles nécessaires au respect du Bien COMMUN sont l’émanation de la société, et que celle-ci ne fait que délégation à l’Etat, si nécessaire.
La subsidiarité telle que vous la définissez avec l”’initiative initiale” de l’Etat réduit sa signification : vous la rapetissez à une déconcentration des pouvoirs de l’Etat, ce qui contredit le principe premier de responsabilité détenu par la société.
En économie, le marché libre ne détruit pas l’état, ni la société : il n’est qu’une des formes de fonctionnement et de prise de décision collective des acteurs économiques.
L’histoire des deux derniers siècles nous indique que la vraie mort de l’Etat ne réside pas dans l’économie libre et le marché libre, mais dans l’accaparement de l’Etat, par des partis, lobbys ou clans,dont l’excès de pouvoir leur fait supprimer le marché libre, et les règles qui le régissent, et les libertés des acteurs sociaux.
Moins le marché est libre (ce qui ne signifie pas sans régles), moins la société est libre.
Il n’est pas un hasard que la France étant le pays industrialisé le plus étatisé, dont les médias même sont indirectement dépendants de l’Etat, soit le pays le moins libre intellectuellement : qui peut s’opposer à la toute puissance de l’Etat et des acteurs privés (certaines entreprises, syndicats patronaux et de salariés, associations, vie culturelle, enseignement, universités, etc….. dont l’existence dépend de l’Etat.
Verrouillée économiquement, la France a une société totalement bloquée intellectuellement : le conservatisme des positions acquises n’a rien à voir avec la capacité de création et d’évolution, ainsi que des traditions et libertés vivantes.
Ce n’est donc pas un hasard non plus si les USA, malgré leurs défauts, soient le pays le plus créatif socialement et démocratiquement : examiner le fonctionnement de la société américaine et de ses courants majeurs, c’est depuis 50 ans apercevoir des apports qu’adoptera l’Europe. Je pense particulièrement aux courant de droite, libéraux, populistes, conservateurs, Pro Vie, majorité morale, etc…., que la droite française s’ingénie à rejeter et nier, pour le plus grand bonheur politique de la gauche et de ses clientèles, et le plus grand malheur de notre nation.
En ce sens économie et valeurs morales sont très strictement liées, ainsi que le souligne P. MAXENCE : dans la philosophie traditionnelle réaliste, l’économie est une branche de la morale.