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L'Eglise : L'Eglise en France

“L’Église sait-elle encore lire les signes des temps, même avec des lunettes à triple foyer ?”

Cette citation n'est pas du Salon Beige, lequel, selon certains clercs, sèmerait la division, mais du père Thierry- Dominique Humbrecht, un religieux dominicain, écrivain, théologien, philosophe, lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques. Sa tribune dans le Figarovox mérite d'être lue :

"Dans l'Église de France, des jeunes se sont levés, pendant que s'asseyaient leurs aînés, quand ils ne se couchaient pas. Peut-on interpréter les événements? Le monde culturel et politique fait assaut d'aveuglement et de surdité, à mesure que la réalité lui échappe. Est-ce par entêtement ou bien par défaut d'analyse? Qu'en est-il des chrétiens?

La génération post-soixante-huitarde cultive le goût de la déconstruction, démolition systématique de la civilisation qui l'a enfantée. Subversion tout confort, de gauche comme de droite, entre élitisme des beaux quartiers et tiers-mondisme mondain. Elle met tout en péril mais ne risque rien. Pour disserter sur les pauvres, il faut disposer de tous les atouts de la richesse, sans se croire obligé de rencontrer ceux dont on parle. Pour priver les humbles de culture, il faut détenir les clefs du pouvoir culturel. Par ses gesticulations, l'oligarchie en déclin fait étalage de ses richesses, devant les contribuables médusés.

Ce petit monde coupé de tout paie cher son mépris, «absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres», comme le disait Saint-Simon du fils de Louis XIV. Les nouvelles générations s'en détournent. Non par réaction, elles sont privées des instruments permettant d'y parvenir. Pour objecter, il faut être cultivé. Elles ne tuent pas le père, elles n'en ont pas eu. Elles ne sont même pas bobophobes, puisque nourries depuis le berceau de culture bobote, la seule autorisée en démocratie. L'idéologie monochrome les a privées de capacité pluraliste. Ignorantes des postures de leurs aînées, ces jeunes planètes s'éloignent, le cosmos se vide.

Dans l'Église de France, qu'en est-il ? Parfois, on se prend à tracer, malgré soi, des parallèles. Pas pour la richesse des élites, encore moins pour le snobisme de caste, ni a fortiori pour le mépris des pauvres. Mais pour la grisaille du discours, l'éloignement culturel, et, curieusement, pour la faiblesse des instruments d'analyse du présent.

Nos générations ont été soûlées de slogans, aussi assénés que privés d'explications ; par exemple, la nécessité pour les chrétiens de «l'ouverture au monde». Mais si les chrétiens doivent s'ouvrir au monde, c'est qu'ils n'en font pas partie. Ce vent d'optimisme autoproclamé se fonde sur un pessimisme révoltant. Récusons cette mode complexée, et dans l'Église les modes sont longues. Comme si les chrétiens, en panne de fécondité, se mettaient à la remorque des idées des autres et peut-être surtout de la reconnaissance de ceux qui ne les aiment pas.

Le pire est que l'incantation de l'ouverture, plombée et plombante, comporte une part de vérité. Or cette vérité risque de vaciller, si les chrétiens perdent les instruments de leur immense culture. Pour comprendre le monde, il faut l'étudier. Étudier, c'est lire, donc écouter, discuter à égalité, discerner au nom de l'Évangile, puis expliquer ce qu'on a compris.

La philosophie s'est voulue critique. Étudions-la et devenons critiques. Pas seulement envers nous-mêmes, mais aussi à front renversé, envers les produits dérivés et même falsifiés qu'assène la culture postmoderne.

Sont apparus des débats publics qui mettent en jeu la personne humaine, l'amour, Dieu. Où sont les dossiers philosophiques et théologiques solides et nuancés, parus à cette occasion ou surtout par anticipation? Les intellectuels qui ont préparé les lois s'y livraient au grand jour depuis Michel Foucault – pas plus d'un demi-siècle. Promener sur les boulevards son droit au courage, c'est bien. Critiquer ceux qui le font est également un droit. C'est aussi nier leur courage, celui qui brave la pensée unique, et les rejoindre à égalité dans l'absence de parole culturelle.

Les chrétiens marginalisent leurs penseurs, alors qu'ils en ont, ou bien ne réfléchissent pas aux conditions de leur reproduction. L'Église de France a pris l'habitude de déléguer à des non-croyants le soin de penser le domaine du religieux, comme par un constat d'impuissance à s'y livrer elle-même. Elle commence à regretter son anti-intellectualisme et son déracinement doctrinal (toutes catégories spirituelles confondues, y compris les Ordres religieux qui jadis se piquaient d'intellectualité). Si la confrontation culturelle n'est pas au compte de nos priorités, elle se fera mais sans nous.

Quel discours puissant et transportant les chrétiens, laïcs comme clercs, offrent-ils aux jeunes générations? «La foi ne s'enseigne pas», nous a-t-on enseigné doctement. Elle ne l'a pas été, merci. Au sortir de cette fabrique d'ignorants, les rangs se sont éclaircis.

Pourtant, voici que des jeunes catholiques surgissent, nul ne sait comment. Les Veilleurs ont veillé, dignes, lumineux, mal soutenus, grands dans leur petitesse et leur non-violence. Les policiers en étaient bouleversés, sans avoir le droit de dénoncer la répression à laquelle ils étaient mêlés. L'Église sait-elle encore lire les signes des temps, même avec des lunettes à triple foyer ?

Beaucoup de ces jeunes pressentent qu'ils doivent parler, leurs aînés leur laissant mutisme ou hébétude. Hélas, à défaut de colonne vertébrale culturelle, ils risquent de se raccrocher à l'action, action souvent sans formation, donc à courte vue. Le moment est venu de la profondeur. Maritain l'appelait la «sainteté de l'intelligence».

À défaut d'avoir précédé, nous pouvons encore suivre. Nous sommes acculés à l'exemplarité culturelle."

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