Homélie du dimanche de Pentecôte, par le père Louis-Marie de Blignières, prieur de la Fraternité Saint Vincent Ferrier :
Chers amis,
Notre pèlerinage est cette année consacré aux saints anges. En ce dimanche de la Pentecôte, nous allons méditer comment les saints anges nous disposent à recevoir docilement la motion du Saint-Esprit qui nous fait vivre les béatitudes.
Selon une très ancienne tradition, qui remonte à Denys l’Aréopagite, interprétant la liste des chœurs angéliques donnée par saint Paul, les bons anges, ces purs esprits crées par Dieu avant le monde corporel, se répartissent en neuf chœurs. Ces chœurs sont groupés, trois par trois, en trois hiérarchies. À chacune des hiérarchies est assignée une fonction spécifique dans le gouvernement du monde et des hommes. La première hiérarchie purifie les hommes, la seconde les illumine, et la troisième les unit à Dieu.
On peut mettre en relation chacune de ces trois hiérarchies avec chacun des trois groupes de béatitudes. Les anges purificateurs de la première hiérarchie nous aident à vivre les trois premières béatitudes, celles de la fuite du péché : bienheureux les pauvres, les doux et les affligés. Les anges illuminateurs de la seconde hiérarchie nous guident dans la mise en œuvre des béatitudes de l’action : bienheureux les affamés de justice et les miséricordieux. Les anges de l’union à Dieu de la troisième hiérarchie nous soutiennent dans la pratique de la contemplation : bienheureux les cœurs purs et les pacifiques.
Les anges nous purifient en nous annonçant la joie de l’esprit
La première expérience de l’homme par rapport au bonheur, c’est qu’il le désire et qu’il n’y parvient pas. Son cœur n’est jamais rassasié par les biens de ce monde. Le monde est trop petit pour nourrir sa soif de béatitude. L’âme humaine est une flamme fragile, vacillant entre deux abîmes infinis : le mystère de Dieu et l’énigme de son propre esprit. Dieu, « Celui qui est » (Ex 3, 14), habite, au sommet de la sainte montagne, le Buisson ardent qui brûle sans se consumer. L’homme scrute l’abîme profond de son âme unie au monde corporel, son âme navrée de désirs infinis… et il n’en trouve jamais le fond
Les anges nous manifestent l’existence du monde spirituel à l’état pur. Ils nous rappellent que nous sommes des esprits comme eux, mais des esprits incarnés, que le péché a blessés et que le démon jalouse. Les bons anges, eux, sont des miroirs sans tâche de la Joie de Dieu. Leur lumière vient faire sur nos ténèbres une percée… vers le haut ! Ils nous purifient en nous détachant du royaume illusoire de notre Moi insatiable, et en nous annonçant la joie fondamentale : le Sauveur veut inscrire nos noms dans les Cieux, il veut écrire notre Nom d’éternité (cf. Ap 2, 17) dans le Foyer incandescent de Dieu !
Oui, les anges nous purifient, en effaçant de notre front les stigmates des péchés capitaux, comme l’a vu Dante dans les Chants du Purgatoire. À chaque palier de la montée purificatrice, un ange efface l’un des sept « P » que le poète porte sur son front et qui traduit les souillures de son âme, tout en chantant la béatitude opposée au vice qui est purifié ! (1)
La lumière angélique est celle d’esprits finis, elle filtre dans notre âme blessée. Elle nous intrigue, nous apprivoise au bien, et nous attire vers la Joie infinie de la Lumière éternelle. « Réjouissez-vous, vous pouvez quitter la mortelle et ennuyeuse trilogie de l’argent, de la violence et du sexe. Réjouissez-vous, les pauvres, les doux, les affligés ! Sous la conduite du Christ, vraie Lumière qui vient en ce monde (cf. Jn 1, 9), vous sortez du Royaume des ombres, vous avez déjà en vous le Royaume invisible, plus réel encore que la matière ».
Attention ! Les anges sont nos amis, nos aides, nos « diacres » (2). Mais ils le sont pour nous mener au Christ qui est leur Roi et notre unique Sauveur. C’est toujours autour du mystère du Christ que volent les anges purificateurs : à l’Annonciation faite à Marie et à celle faite à saint Joseph, aux bergers près de la Crèche de Bethléem, à l’annonce salvatrice de la fuite en Egypte.
Les anges illuminent les pas de notre marche vers cette joie
Non contents de nous aider à vivre les béatitudes de la fuite du péché, en nous révélant la joie pour laquelle nous sommes faits comme eux, les anges nous accompagnent dans notre marche vers cette joie, en nous aidant à pratiquer les béatitudes de l’action. Bienheureux les affamés de justice, bienheureux les miséricordieux ! Que font les anges ? Dans la Première Alliance, Jacob a vu en songe une mystérieuse échelle : « Voici, une échelle était posée sur la terre et son sommet touchait au ciel. Et […] sur elle des anges de Dieu montaient et descendaient, et en haut se tenait Yahweh » (Gn 28, 12). Jésus nous a révélé qu’il était lui-même cette échelle qui conduit à la béatitude du ciel : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez désormais le ciel ouvert, et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l’homme » (Jn 1, 51).
Où est-il pour nous, sur cette terre, ce Fils de l’Homme ? Jésus nous l’a enseigné : ce sont nos frères. « Tout ce que vous ferez à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le ferez… » (Mt 25, 40. Quelle perspective prodigieuse : chaque fois que nous faisons à l’égard du prochain une œuvre bonne, spécialement par la justice et la miséricorde, c’est au Fils de l’homme notre Sauveur que nous la faisons ! Par le va et vient de la justice et de la miséricorde, nous sommes en pleine action surnaturelle dans la grâce, nous montons et descendons « sur le Fils de l’homme ».
Les anges illuminateurs de la deuxième hiérarchie nous font danser ce ballet de la vie chrétienne, à pas d’amour, avançant vers la Joie de Dieu, qui est appuyé au haut de l’échelle. Ils jettent sur notre prochain la lumière de la face du Christ, pour que nous le reconnaissions. Si nous « connaissons » les autres, si nous les voyons et si nous les servons comme des images du Christ, nous serons « connus » du Christ ! Pour nous aider à exercer la force de la justice, les anges nous servent comme ils ont servi Jésus après la tentation au désert. Pour nous aider à aller au bout de la miséricorde, ils nous consolent, comme ils ont consolé Jésus au jardin de l’agonie.
Les anges nous unissent à Dieu en nous faisant chanter cette joie.
Qu’est-ce que le Ciel ? C’est voir Dieu et être « un » avec lui dans le Christ qui a ouvert les portes de la louange. C’est être heureux que Dieu soit heureux et que nous nous tenions avec son Fils devant lui, chantant sa gloire et sa miséricorde. Dans l’adoration ici-bas, nous anticipons le Ciel. C’est en adorant que nous sommes au plus haut point, nous dit saint Thomas, à l’image lumineuse de Dieu (3).
Les anges de l’union à Dieu, ceux de la plus haute hiérarchie, nous le rappellent. Ils chantent pour nous les béatitudes de la contemplation : « Réjouissez-vous, les cœurs purs, et vous qui diffusez la paix… Non seulement vous verrez Dieu et vous serez appelés ses fils dans la gloire, mais déjà vous voyez Dieu et êtes vraiment ses fils dans la louange de la grâce ». Ce sont les anges qui nous invitent à chanter et nous répondons à leur invitation (cf. Ap 5, 11-13). « L’être de l’homme, transcendé par un ordre de nature plus élevé, celui des anges, ne s’éveille à sa propre louange qu’à travers la louange du monde des esprits ». (4)
Les anges nous associent au chant du Sanctus, ou Trisaghion : « Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant, qui était, qui est et qui vient ! » (Ap 4, 8) et ils nous enseignent à chanter devant le trône de Dieu le Cantique nouveau (cf. Ap 14, 3). C’est spécialement dans la liturgie de la Messe que nous sommes portés par le chant des anges. « Nous qui mystiquement représentons les Chérubins et qui, en l’honneur de la vivifiante Trinité, chantons l’hymne trois fois sainte, déposons toute sollicitude de ce monde afin de recevoir dignement le Roi de l’univers qui vient invisiblement escorté des armées angéliques »(5)
Le rôle des anges est important dans la contemplation du mystère trinitaire, dans la prière qui nous unit au Christ par le mystère rédempteur, et aussi dans l’attente et l’espérance consolante des cieux nouveaux et de la terre nouvelle. Les anges étaient présents lors de la résurrection du Christ, ils l’entouraient lors de son Ascension, ils seront présents à la Parousie autour du Christ victorieux pour inaugurer le Royaume.
Conclusion
Dans un tableau fameux, Fra Angelico a représenté une gracieuse « ronde des élus ». Ce qui est frappant, c’est que les anges et les hommes y alternent fraternellement. La ronde se dirige vers une mystérieuse porte de lumière, qui symbolise le Paradis. Les esprits purs nous entraînent, nous les esprits unis au monde matériel. Certes, ils sont d’une nature supérieure à la nôtre, mais c’est dans notre nature que le Verbe s’est incarné.
Sous le regard de sa Mère, l’Immaculée, c’est pour lui que les anges nous purifient, c’est vers lui qu’ils nous guident, c’est à lui qu’ils nous unissent. Les Incorporels considèrent comme un honneur de nous servir comme les frères de leur Roi. Il y a de quoi être confondu de reconnaissance et d’amour pour ces êtres de lumière… et pour Dieu qui nous les a donnés comme ministres de notre salut.