Contre-offensive d'Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public :
"Les arguments invoqués par les adversaires de l’abrogation ne tiennent pas debout juridiquement. L’atteinte à l’égalité qui résulterait, selon eux, de l’existence de deux types de « couples » homosexuels (ceux qui ont pu se marier et/ou adopter et ceux qui ne le pourront plus) est une parfaite absurdité. Si l’on devait raisonner de la sorte plus aucune réforme ne serait possible dans aucun domaine. Le législateur ne pourrait plus supprimer ou réduire une allocation sociale ou une exonération fiscale et un conseil municipal ne pourrait plus modifier son plan d’urbanisme pour rendre des parcelles inconstructibles au motif que cela créerait une inégalité entre les propriétaires qui ont pu construire dans une zone avant la révision et ceux qui ne le pourront plus après !
Le Conseil constitutionnel, malgré l’article 75 de la Constitution consacrant les statuts civils personnels, n’a rien trouvé à redire à l’abrogation de la polygamie à Mayotte, bien qu’elle supprime à l’avenir la « liberté » des jeunes hommes d’avoir plus d’une épouse alors que leurs aînés en conserveront plusieurs. Le fameux « effet cliquet » que certains invoquent en citant abondamment le défunt Guy Carcassonne, n’a jamais joué que pour des libertés constitutionnellement consacrées, ce qui n’est pas du tout le cas du mariage gay que le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à présenter comme une exigence constitutionnelle, tant du point de vue de l’égalité que de la liberté. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’a, à notre connaissance, jamais condamné un État pour une réforme au seul motif qu’une abrogation a forcément pour effet d’instaurer une différence de traitement entre la situation « avant » et la situation « après ».
Il est vrai, cependant, que nos juges constitutionnels et européens sont devenus totalement imprévisibles. (…) On ne peut donc jamais exclure totalement un éventuel « coup tordu » du juge constitutionnel ou européen, mais prétendre qu’une réforme serait contraire au principe d’égalité parce qu’elle créerait une différence entre ceux qui ont bénéficié du régime antérieur et ceux qui sont soumis au nouveau régime est proprement aberrant. L’affirmation est d’autant plus étrange lorsqu’elle sort de la bouche des adeptes du « bougisme » sociétal et des pourfendeurs de l’immobilisme normatif !"