Le sociologue Yann Raison du Cleuziou, maitre de conférence en sciences politiques à l’université de Bordeaux, a été interrogé par Thomas Cauchebrais sur RCF Anjou :
Pour un candidat à l’élection présidentielle, les catholiques sont-ils encore un enjeu ?
Oui, les catholiques sont un enjeu pour les candidats à l’élection présidentielle parce qu’ils sont un électorat bien identifié. En sociologie électorale, depuis les travaux de Guy Michelin et Michel Simon, il est établi que la société française se compose des catholiques pratiquants, dont on sait qu’ils vont très majoritairement voter pour la droite de gouvernement, et des sans religions, dont on sait qu’ils vont très majoritairement pour la gauche. Un constat dressé dans les années 70 et confirmé depuis, à chaque scrutin présidentiel. Durant la 5ème république, les catholiques pratiquants ont quasiment toujours voté à plus de 70% pour la droite de gouvernement. C’est stable mais vous comprendrez que cet électorat catholique pratiquant représente davantage un enjeu pour les candidats de droite que de gauche.
Ce constat sociologique s’applique-t-il encore pour la dernière élection présidentielle ?
En effet, quelque chose a changé dans le vote catholique. Pour faire bref, jusqu’aux années 2000, les catholiques pratiquants votaient tendanciellement pour la droite de gouvernement et par ailleurs, c’était un électorat très indifférent au Front National (FN). En revanche, chez les non pratiquants, il pouvait y avoir une surreprésentation du vote FN. Mais cette forte résistance de l’électorat catho au vote FN a commencé à perdre de sa pertinence à partir de 2015, l’année des attentats de Charlie hebdo et du Bataclan. Une année où la question de l’Islam traverse et recompose tous les électorats politiques français dont les catholiques. On observe qu’aux élections régionales de 2015, le score du FN parmi les catholiques pratiquants augmente et commence à rejoindre les moyennes nationales. Cette évolution sera confirmée lors de l’élection présidentielle de 2017 qui verra s’opposer au second tour, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. On verra les catholiques pratiquants voter à 29% pour la candidate du Front Nationale C’est un résultat que le FN n’avait jamais atteint parmi les catholiques. Mais n’oublions pas que ce résultat reste minoritaire. Ces 29% signifie également que 71% des catholiques pratiquants ont choisi Emmanuel Macron. Ils sont donc restés dans l’alignement des élections précédentes, si l’on considère qu’Emmanuel Macron peut être identifié à la droite de gouvernement.
Les attentats islamistes sont-ils l’unique raison de ce basculement d’une partie du vote catho vers l’extrême-droite ?
C’est en effet un peu plus complexe que cela. Il ne faut pas ignorer les recompositions internes au catholicisme. Nous sommes dans un contexte de déclin de la pratique religieuse. Ma précédente enquête, effectuée pour le groupe Bayard en 2016, montrait que la pratique hebdomadaire de la messe représentait 1,6 % des 18 ans et plus de la population française. Si l’on y ajoute la pratique mensuelle, on arrive à 4,5 %. Par conséquent, le catholicisme français se recompose sur ceux qui restent. Or, tendanciellement, ce sont les catholiques les plus conservateurs qui parviennent le mieux à transmettre la foi, ou en d’autres termes, à transmettre le sentiment d’appartenance du catholicisme d’une génération à une autre. Ils ont en effet un succès de transmission plus important que les autres sensibilités religieuses. Par conséquent, dans ce contexte de déclin, les catholiques conservateurs, parvenant à mieux se maintenir d’une génération à une autre que les autres sensibilités religieuses, leur poids devient croissant dans l’Eglise.
On observe depuis quelques années que ces catholiques conservateurs sont pris dans un glissement vers la droite. C’est la conséquence d’un sentiment de déclassement social. Ce sont des catholiques qui constatent que le catholicisme est désormais minoritaire, que la morale sexuelle, le modèle de la famille catholique devient une norme de plus en plus relativisée et contestée. Ils observent également que les partis de droite sont de plus en plus indifférents aux causes qui les touchent, par exemple les questions bioéthiques. Par conséquent, ces catholiques sont pris dans un mouvement de défiance à l’égard des partis politiques. Une enquête commandée par le magazine Pèlerin à l’automne dernier montre que seulement 15% des catholiques pratiquants s’estiment tout à fait pris en compte en tant que catholique en politique. En revanche, ils sont 59% à se considérer pris en compte en politique en tant que citoyen. Conclusion : ce sentiment que les catholiques pèsent de moins en moins, que les partis se moquent de plus en plus de ce qui leur tient à cœur, se traduit par une certaine radicalisation politique.
Par ailleurs, il y a un élément de contexte qu’il faut avoir en tête. Ces catholiques sont très bousculés par la visibilité croissante de l’Islam. Il existe chez eux ce sentiment que, le catholicisme déclinant, l’Islam pourrait devenir la religion de référence en France. Ils ont, par exemple, le sentiment qu’on parle plus du ramadan que du carême. Ce sentiment de déclassement peut aussi s’expliquer sociologiquement. L’enquête de 2018 sur les valeurs des Européens, « European Values Studies », a montré que dans la population des 18-29 ans, il n’y avait plus que 15% de catholiques déclarés et 13% de musulmans. Chez les jeunes, ce sentiment d’une forme de remplacement comme religion de référence par l’islam, provoque un glissement vers la droite ou l’extrême droite.
Vous avez écrit, dans une récente tribune parue dans le Monde, que le succès d’Éric Zemmour auprès de ces catholiques conservateurs, qui pourtant ne sont pas le gros des troupes des catholiques de France, méritait d’être interrogé. Pour quelles raisons ?
Ce qui était très frappant lors du meeting de Villepinte, meeting qui a véritablement lancé la campagne d’Éric Zemmour, c’était de retrouver à la tribune un certain nombre de figures du militantisme catholique conservateur. Des figures qui ont émergés souvent au moment de la Manif pour tous et qui étaient, jusqu’à présent, relativement divisés sur la stratégie politique à adopter. On trouvait Agnès Marion, militante catholique et ancienne candidate RN à la mairie de Lyon. On trouvait également Jean-Frédéric Poisson, le président du parti Via, héritier de l’ancien Parti Chrétien Démocrate de Christine Boutin ou encore Laurence Trochu, présidente du Mouvement Conservateur, ex Sens Commun. Ces trois tendances étaient rivales lors de la dernière présidentielle et s’opposaient d’ailleurs, pour deux d’entre elle, lors de la primaire de la droite et du centre de novembre 2016. C’est donc intéressant de voir ces catholiques conservateurs rivaux se rejoindre derrière Éric Zemmour.
Mon explication est que ces réseaux catholiques conservateurs militants partagent un même échec de leur stratégie d’implantation dans les différents partis politiques de droite. Sens commun a échoué à s’implanter durablement chez Les Républicains. Le Parti Chrétien Démocrate était déjà marginalisé au sein des Républicains, essayant de structurer quelque chose du côté de la droite hors les murs, mais vainement. Et les catholiques traditionnalistes qui militaient au sein du Front national depuis longtemps ont vu leur place marginalisée depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la tête du parti. Elle a souhaité rompre avec ces réseaux catholiques traditionnalistes, plus proche de son ancien rival Bruno Gollnisch, et cela afin de donner à son parti une orientation plus laïque.
C’est donc parce qu’ils ont échoué que ces réseaux catholiques conservateurs ont vu dans la candidature d’Éric Zemmour une aubaine pour retrouver une place et tenter d’accroitre leur influence.
Il existe donc une explication par la structuration partisane mais il existe aussi des affinités idéologiques. Éric Zemmour mobilise abondamment dans ses discours des références aux racines chrétiennes de la France. Dans sa vidéo d’entrée en campagne, il met en scène la décadence de la France par l’image d’une église qui s’effondre. Lors de son message de Noël, il affirme qu’il y a une vérité du christianisme, tout en confessant ne pas partager la foi chrétienne. Vous voyez bien que pour ces catholiques conservateurs, obsédés par le déclin du catholicisme et la décadence de la France, le fait qu’un candidat réaffirme la place du catholicisme, même si ce discours n’est pas spirituel mais ressemble plutôt à une rhétorique patrimoniale servant avant tout de frontière excluant les minorités étrangères et surtout musulmanes, ils ont le sentiment de retrouver une reconnaissance qu’ils n’ont plus ailleurs.
Pour terminer, je dirais que ce que l’on voit derrière Éric Zemmour, ce sont des dynamiques militantes mais existe-t-il, derrière elles, un mouvement d’opinion important au sein de l’électorat catholique ? Je ne me prononcerai pas là-dessus. Parfois, les militants s’agitent beaucoup mais derrière eux, il n’y a pas grand monde. Nous verrons avec les résultats du premier tour mais n’oublions pas que le vote pour la droite de gouvernement, plutôt centriste et modérée, a toujours prévalue chez les catholiques pratiquants. Il ne faut pas se faire trop d’illusions en raison de l’omniprésence médiatique d’Éric Zemmour, pouvant donner l’impression que toutes les dynamiques sont derrière lui. Il existe d’autres dynamiques, plus discrètes et également très fortes, derrière Valérie Pécresse et Emmanuel Macron. Des catholiques moins militants mais peut être plus nombreux. A mon avis, ces tendances-là sont plus massives que celles qui sont derrière Éric Zemmour.
Ces catholiques qui pourraient voter Macron ou Pécresse, votent-ils en fonction de leurs valeurs catholiques ?
La plupart des catholiques, y compris pratiquant, ne votent plus en fonction de leur foi. L’enquête du magazine Pèlerin de novembre 2021 révélait que, sur l’ensemble des français qui se disent catholiques 88% estimaient ne faire aucun lien entre leur appartenance au catholicisme et leur vote. La construction religieuse de la conscience électorale est rare. Elle ne concerne que les catholiques les plus convaincus, dont les catholiques conservateurs, mais aussi les catholiques de gauche qui ont également une réflexion éthique et en terme de justice sociale qui joue sur leur vote.
VIVANT
J’ai entendu plusieurs fois ce conférencier et chercheur. Je ne le sens pas, il est trouble. Regardez ses expressions : ‘voter pour la droite de gouvernement’ (il y aurait des votes pour ne pas gouverner), 70% pour la droite de gouvernement (deuxième couche, la droite de nihilisme destructeur existe-t-elle ?), 71% des catholiques pratiquants ont choisi Emmanuel Macron (Ben voyons, cela fait beaucoup de pratiquants à première lecture), se traduit par une certaine radicalisation politique (fascisme ou radicalisation sont des mots d’insultes sous-jacentes), un glissement vers la droite ou l’extrême droite (ce chercheur va nous définir ce qu’est l’extrême droite, est-ce l’extrême raison utilisée en face du broyeur de crâne de l’extrême-centre ?), obsédés (un peu de vocabulaire de la psychiatrie au passage), une rhétorique patrimoniale (Faut la garder cette expression pour expliquer General Electric et les Pécresse-Macron), retrouver une reconnaissance (un peu de psychologie de zinc de bar debout), l’omniprésence médiatique (Ben voyons !), L’enquête du magazine Pèlerin (C’est du sérieux ce magazine pour fascisme gris).
Marcos
Je pense que l’expression “droite de gouvernement” signifie “droite qui a déjà gouverné”, autrement dit celle de Pécresse, et qu’on pourrait aussi qualifier de fausse ou d’opportuniste. Zemmour dit que son problème c’est l’alliance contre-nature gaullo-centriste, nationalistes-mondialistes, Ciotti-Pécresse. De gouvernement, Pécresse cherche à le prouver en nous assénant près de 2000 parrainages de notables. Par ailleurs, qualifier Gollnisch de catholique traditionaliste est faux. Catholique oui, traditionaliste non. Ancien concurrent de MLP, c’est vrai, mais totalement rallié à elle, il vient de le signifier. Pour conclure, Yann du Cleuziou n’a pas forcément Raison.