Dans son 5e volet sur la Tradition catholique aux Etats-Unis pour Paix Liturgique, Daniel Hamiche (+) raconte l’histoire des Chanoines de Saint-Jean-de-Kenty à Chicago :
Établie en 1893, la paroisse Saint-Jean-de-Kenty était l’un des pôles principaux de la vie catholique des immigrés polonaise à Chicago ; l’évêque en avait confié la cure d’âmes à un ordre religieux masculin, la Congrégation de la Résurrection, fondée à Paris en 1836 avec pour vocation de subvenir aux besoins de la diaspora polonaise.
La paroisse eut une histoire glorieuse mais souffrit des vicissitudes de l’urbanisme du XXe siècle : le quartier polonais (Polish Patch – le lopin polonais) fut scindé en deux par l’autoroute ; les familles déménagèrent en banlieue, et la magnifique église avec ses boiseries à la mode polonaise se désemplissait, si bien que l’on aurait pu croire à la fin cette belle aventure…. Mais en 1988 le nouveau curé, le Père résurrectionniste Frank Phillips, l’un des rares non-Polonais de la congrégation, vit une opportunité : l’affectation de cette église à la tradition liturgique occidentale (Ecclesia Dei venait d’être publiée). Avec l’aval du cardinal-archevêque de Chicago (Mgr. Bernardin à l’époque) et de ses supérieurs résurrectionnistes, il instaura une messe dominicale selon les livres en vigueur en 1962 à partir du 4 février 1989, parallèlement à la célébration du missel Paul VI en latin et grégorien. Deux chorales, l’une grégorienne, l’autre polyphonique et classique (dirigée par le P. Phillips), eurent tôt fait de la paroisse le rendez-vous des personnes de goût, y compris de sympathiques habitués agnostiques ou athées. Parmi les célébrants, l’on dénombra bientôt un cardinal Burke, un cardinal Arinze, et d’autres hauts prélats favorables à la tradition liturgique. S’en suivit toute une vie dévotionnelle à la paroisse : vêpres, saluts, Fête-Dieu, stations de la croix, neuvaines de saint Joseph et de sainte Anne, Ténèbres, dévotions des premiers vendredis et samedis… L’ancienne école paroissiale fut transformée en académie des beaux-arts pour lycéens de Chicago, avec aussi des cours de théologie pour tous les âges. Bref, un remarquable regain.
La paroisse se faisait remarquer au point que le tout premier ministre polonais élu après la chute du communisme, Tadeusz Mazowiecki, y vint faire une visite en mars 1989. Même Hollywood est venu y tourner deux films (Johnny Ryan et Ta mère ou moi).
Enfin, le P. Phillips eut l’idée – l’inspiration – de fonder une communauté religieuse dans l’optique de poursuivre son œuvre de restauration liturgique. Avec deux autres, il rencontra le cardinal-archevêque, Mgr. Francis George, le 2 mars 1998, qui lui conseilla d’inviter d’autres hommes à le rejoindre et lui proposa de nommer sa communauté « la Société de Saint-Jean-de-Kenty ». Ainsi, le 15 août 1998, lors de l’induction des tous premiers membres, naquirent « les Chanoines réguliers de Saint-Jean-de-Kenty » ; leur devise : Instaurare sacra, restaurer les choses saintes. Naturellement, un tel programme eut tôt fait d’attirer les vocations et l’on dénombre aujourd’hui une vingtaine de ces chanoines (malgré une petite anicroche en 2018, sur laquelle je reviendrai). En octobre de la même année un évêque auxiliaire de Chicago, Mgr. Perry, célébrait une messe solennelle pontificale ; il deviendra un habitué lui aussi, pour ordonner, confirmer dans l’ancien rite. Au fil des ans les Chanoines ont pu ramener l’église à la grandeur qu’elle avait quand on la surnommait « l’église dorée » : les boiseries, les orgues, enfin tout.
Et où en sont-ils aujourd’hui ?
Forts de ces succès, les chanoines ont pu essaimer : ils desservent deux autres paroisses dans l’État de l’Illinois : Saint-Pierre et Sainte-Katherine-Drexel, ainsi que Sainte-Anne, une charmante petite chapelle en bois dans le Michigan. Partout, ils célèbrent selon les deux formes du rite.
Hélas en 2018 des accusations assez floues et somme toute peu crédibles furent émises contre le fondateur, le P. Frank Phillips. Le nouveau cardinal-archevêque de Chicago, Mgr Blaise Cupich, l’un des plus bergogliens et des plus puissants évêques de l’Église aux États-Unis, en profita pour le limoger, malgré les recommandations en sens contraire du conseil d’étude des résurrectionnistes (dont le P. Phillips demeure membre). On envoya le P. Phillips à Saint-Louis avec interdiction d’avoir aucun contact avec sa fondation à Saint-Jean-de-Kenty. Exemple admirable d’obéissance religieuse, il obtempéra, et adressa à ses anciens confrères et paroissiens une belle lettre d’adieu, empreinte de charité et de sérénité. Une petite crise se produisit (au moins l’un des chanoines, l’un des plus talentueux au niveau artistique, rejoignit le diocèse et s’est mis à dire la messe tridentine en paroisse). Mais, à consulter le site internet des chanoines et de la paroisse, et au dire de ceux qui sont au courant, les chanoines ont pu s’en remettre et leur œuvre se poursuit avec les fruits auxquels la restauration liturgique, ou qu’elle se produise, nous a habitués.
Mais vous sembliez-me dire que l’influence des Chanoines de Kenty était bien plus grande que ce que l’on imaginait.
Tout à fait car les chanoines se sont lancés également dans un apostolat original qui est celui de promouvoir la liturgie traditionnelle auprès du clergé « Ordinaire » et de répondre au désir de très nombreux prêtres américains d’apprendre à mieux connaitre et dans de très nombreux cas à apprendre à célébrer l’usus antiquior.
Mais ils ne sont pas les seuls à s’être lancés dans ce travail d’apostolat envers les prêtres.
Vous avez raison, tous les prêtres traditionnels que je connais, tant en France qu’aux États-Unis, et de quelque communauté ou fraternité qu’ils soient, consacrent une part importante de leur temps à répondre à des prêtres qui sont intéressés par la liturgie traditionnelle. En France l’on connait l’action de l’Abbaye de Fontgombault et de celle du Barroux qui développent un grand zèle dans ce but. Cependant, les Chanoines de Kenty les surpassent tous en ayant réussi à initier puis à apprendre à célébrer l’usus antiquior à près de 1500 prêtres catholiques.
C’est en effet considérable.
Bien sûr, mais ce qui est plus considérable encore c’est que désormais le nombre de prêtres « ordinaires »américains qui connaissent la liturgie traditionnelle et sont susceptibles de la célébrer est tout simplement gigantesque et que selon moi il dépasse les 2000 ! […]