Marc Fromager, directeur de l'AED, était interrogé par le FigaroVox au sujet des déclarations du pape François dans l'avion du retour des JMJ :
"Le pape François a déclaré ce dimanche: «Tous les jours quand j'ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu'un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés. Si je dois parler de violences islamiques, je dois aussi parler de violences chrétiennes». Que vous inspirent ces déclarations?
Marc Fromager. – On comprend bien le souci du pape François de ne pas envenimer la situation et de chercher avec persévérance à éviter un conflit religieux qui serait dramatique. Il multiplie donc les prises de parole et les symboles pour désamorcer la tentation croissante, et quelque peu compréhensible, de réactions qui nous feraient entrer dans un cercle vicieux où la haine finirait par l'emporter. Sur le fond, on ne peut que lui être reconnaissant pour ce combat incessant en faveur de la paix. On pourrait l'appeler «le combattant pour la paix!».
Reste à savoir si, sur la forme, ses initiatives sont toujours aussi efficaces que souhaitées. Lorsqu'il ne rapatrie que des musulmans dans son avion personnel, il prend le risque de surprendre et il faut bien reconnaître qu'un certain nombre de personnes dont je fais partie n'ont toujours pas très bien compris la pertinence d'un tel geste. Lorsqu'il évoque les faits divers des journaux italiens pour expliquer qu'il n'y a aucune corrélation entre l'islam et la violence, j'avoue ne pas très bien comprendre non plus.
Lorsqu'un italien assassine sa belle-mère, ce n'est pas parce qu'il est catholique! En commettant cet acte, il n'est pas en train d'appliquer la doctrine sociale de l'Eglise et encore moins en train de répondre au message de l'Evangile. Je rappelle que le Christ a même été jusqu'à guérir la belle-mère du premier pape.
Encore une fois, on comprend bien et on approuve totalement son désir d'apaiser la tension générée aujourd'hui par l'islam mais en même temps, j'imagine qu'on puisse être en droit d'éprouver certaines réserves quant à la pertinence de sa démonstration.
Dans quelle mesure, en mettant sur le même pied islam et christianisme et en ne faisant pas de l'islam radical une spécificité propre à l'islam, le pape peut-il donner l'impression d'un certain oubli aux chrétiens d'Orient persécutés au nom de l'islamisme?
Je vais régulièrement au Moyen-Orient où j'ai pu visiter tous les pays hormis le Yémen. Les chrétiens d'Orient me disent ne plus rien comprendre. Ils ont parfois l'impression d'être abandonnés, y compris par leurs frères chrétiens d'Occident. Ils savent qu'ils ont été vendus pour 30 barils de pétrole (je fais référence aux 30 deniers de Judas, il va de soi qu'il y a beaucoup plus que 30 barils) par les autorités politiques de l'Occident. Ils ne s'attendaient pas à être également oubliés par leurs propres frères.
Des paroles fortes ont certes été dites pour les défendre de la part du pape et également par un certain nombre d'évêques français, des choses ont été faites notamment par des Œuvres d'Eglise (AED, Oeuvre d'Orient, …) mais les chrétiens d'Orient aujourd'hui s'inquiètent pour nous. Ils ont l'impression que nous ne comprenons pas ce qui est en train d'arriver – ils pensent de plus en plus que nous allons subir ce qu'ils expérimentent maintenant – et regrettent d'autant plus le déni de réalité dans lequel on semble vouloir persister.
Ils connaissent bien l'islam pour l'avoir côtoyé depuis quatorze siècles. Ils savent très bien qu'en aucun cas, on peut mettre l'islam et le christianisme sur le même pied.
Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne avait appelé au discours interreligieux en fondant cette nécessité sur la responsabilité et le lien indissociable entre foi et raison. Il avait alors suscité une vive polémique, certains l'ayant accusé de lier islam et violence. Quel regard portent les autorités des différentes Eglises d'Orient, notamment en Syrie et en Irak, sur les moyens de bâtir un tel dialogue?
On revient à la question initiale: comment apaiser cette tension religieuse qui ne cesse de s'aggraver? On peut rejeter en bloc toute espèce de connexion entre l'islam et la violence mais l'actualité quotidienne vient contredire cette belle pensée. Nos concitoyens ne sont pas dupes et plus on leur dit qu'il n'y a strictement aucun lien entre les deux et plus ça finit par les énerver. Il faut croire que ça ne doit pas être la bonne méthode.
D'un autre côté, lorsque Benoît XVI pose en réalité la bonne question, notamment le lien entre la foi et la raison, le monde musulman s'embrase, ce qui tend tout de même à confirmer qu'il y a bien là un problème.
Au final, quelle est donc la solution? Les chrétiens d'Orient nous parlent d'un dialogue de vie où l'on se respecte au quotidien. Les écoles et les centre de soins catholiques accueillent plus de musulmans que de chrétiens dans ces contrées, ce qui est une belle manière de témoigner de l'Evangile … mais cela n'empêche pas leurs communautés de disparaître.
On peut imaginer qu'en dernier recours, il revient aux musulmans eux-mêmes de trouver des solutions à cette crise qu'ils expérimentent. Cette OPA de l'islam radical sur la communauté musulmane qui se traduit de plus en plus par une fuite en avant dans la violence est quelque chose qui les inquiète également. Le président Al-Sissi et un certain nombre d'intellectuels musulmans appellent de leurs vœux des réformes urgentes sans quoi l'islam, pensent-ils, est menacé d'implosion.
Peut-être que le Mal finira par s'auto-détruire. Trop de violence entraînera, on peut l'espérer, un sursaut et une réaction comme nous l'avons vu après l'assassinat du Père Hamel. Sans braquer nos amis musulmans – et je crois que c'est vraiment ce que le pape François a dans le cœur – il nous fait espérer que ce travail de délégitimation de la violence soit mené au plus vite."