Né en 1948, père de 4 enfants, énarque, haut-fonctionnaire à Beauvau, élu politique, lanceur d’alerte et théoricien de la préférence nationale, co-fondateur de l’Institut Iliade, des Bobards d’or, de la Fondation Polemia, Jean-Yves Le Gallou vient de publier ses Mémoires identitaires. 1968-2025 : les dessous du Grand Basculement.
Après soixante années d’engagements pour la France, son identité et la liberté d’expression, Jean-Yves Le Gallou nous livre la somme de ses souvenirs et réflexions à contre-courant, de 1954 et son entrée à l’École « républicaine » à 2024 et la débâcle des « valeurs républicaines ». De la guerre culturelle de mai 68 à la révolution woke, de Pompidou-Giscard à la Nouvelle Droite, des fraudes de la gauche à l’émergence du Front national, de la manipulation de Carpentras aux dessous de l’« affaire du détail » ou de la scission de Bruno Mégret en 1998, c’est le théâtre de la vie politique, économique, judiciaire, idéologique et sociétal que décrypte Jean-Yves Le Gallou à l’appui de son expérience et de portraits de ses contemporains : Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Marcellin, Michel Poniatowski, Jean-Marie Le Pen, Jean-Pierre et Marie-France Stirbois, Bruno Gollnisch, Bruno Mégret, Philippe de Villiers, Marine Le Pen, Marion Maréchal, Eric Zemmour et ceux de ses compagnons de route : Alain de Benoist, Guillaume Faye, Dominique Venner, Yvan Blot, Bernard Lugan…
Nous avons interrogé l’auteur sur quelques points de ses mémoires :
– Vous avez combattu à la fois sur le plan politique, engagé dans un parti et menant des campagnes électorales et une vie d’élu, et sur le plan métapolitique, en menant le combat des idées. Selon votre expérience, qu’est-ce qui est le plus important, le combat politique ou le combat métapolitique ?
Les deux, mon colonel. Les deux formes de combat sont complémentaires. Le combat métapolitique, le combat d’idées, pose les problèmes, déplace le champ idéologique, ouvre la fenêtre d’Overton (le spectre des idées acceptables), en ce sens il prépare le terrain au combat politique et électoral qui doit (ou devrait) permettre à son tour de nouvelles avancées.
Chaque acteur – politique ou métapolitique- doit accepter les règles de l’autre. Moins d’auto censure dans le champ métapolitique. De la prudence – mais pas de la trahison – dans le champ politique. Même si certains l’oublient, il est nuisible de tirer dans le dos de ses frères d’armes. Lorsqu’il a du sens le combat électoral participe aussi du combat métapolitique. Dans les années 1990 la revue doctrinale du FN – Identité – a participé de l’éclosion postérieure du courant identitaire. Plus près de nous la campagne présidentielle de Zemmour a fait connaître du grand public les thématiques du Grand Remplacement et de la remigration.
– Vous constatez la diffusion des idées identitaires, avec la création d’organes médiatiques comme TV Libertés, Frontières, la droitisation du JDD, de Valeurs Actuelles, d’Europe 1, et une croissance électorale du mouvement national, en France comme à l’étranger… Selon vous, assistons-nous à un mouvement dextrogyre, selon la terminologie de Guillaume Bernard ?
Il y a vingt ans, en matière d’information, il n’y avait rien d’autre ou presque (à l’exception de Présent et de Radio courtoisie, honneur leur soit rendus !) que les médias de grand chemin. Aujourd’hui une plus grande pluralité s’impose avec les réseaux sociaux, les médias alternatifs, de plus en plus nombreux, les podcasts et les médias de transition.
Qu’appelez-vous médias de transition ?
Les médias qui ont accès aux grands financements privés et publicitaires, tout en faisant une place aux opinions dissidentes (Valeurs actuelles, le JDD, Europe 1, CNews,etc…). Cela permet un désenclavement des hommes et des idées et contribue à ouvrir la fenêtre d’Overton. C’est extraordinairement positif. D’autant que ces médias de transition concurrencent et par là même finissent par influencer les médias mainstream. Reste néanmoins que le centre de gravité politique médiatique et idéologique reste à gauche.
Pourquoi ?
À cause du cordon sanitaire : sur le champ politique, en France mais pas seulement, les voix nationales sont gelées. Elles ne pèsent pas, donc elles ne comptent pas. Mais une fois effacé (cancellisé) le tiers droit de l’hémicycle et la partie droite du « camembert » de l’opinion, le centre de gravité de la vie politique et idéologique est déporté à gauche. Et c’est la gauche qui domine et intimide l’ensemble de la droite.
Ce cordon sanitaire existe aussi dans les administrations, les entreprises et les universités. Extrême gauche et extrême centre ont droit de cité mais nationaux, identitaires, conservateurs et catholiques doivent souvent faire profil bas. Et laisser les autres tenir le haut du pavé sans trop oser répondre. Comme la gauche a le monopole du crachoir, à chaque événement, elle créé des cascades d’opinion favorables aux thèses des minorités antiracistes, alarmistes climatiques, immigrationnistes ou LGBTQX.
– Vous évoquez à plusieurs reprises dans votre ouvrage la présence de francs-maçons, en politique comme dans les rouages de l’administration. Comment évaluez-vous leur influence ?
Elle est d’abord idéologique : on le voit sur les lois sociétales, les lois sur la vie et sur la mort, dont ils restent les inspirateurs. Mais ce sont eux aussi – c’est moins connu – qui interdisent ou valident, autorisent ou réglementent, les atteintes aux libertés et l’usage des avancées technologiques. En voici un exemple. A la fin des années 2000 les forces de sécurité ont vu ce que l’ADN pouvait apporter à la police scientifique. D’où l’idée de créer un fichier des empreintes génétiques : ce fut alors Ramiro Riera qui en fut chargé, il était inspecteur général de l’administration mais surtout représentant de l’amicale maçonnique du ministère de l’Intérieur. Un ministère où les « frères » sont très présents, dans les syndicats de police notamment. Et à chaque alternance politique place Beauvau, le Grand Orient et la Grande loge nationale de France (GLNF) roquent pour les grands postes préfectoraux (et inversement !). Ceci étant il y a aussi des préfets catholiques. L’un d’entre eux m’a raconté une anecdote plaisante. L’ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac, Bertrand Landrieu, lui avait proposé de devenir secrétaire général du comité économique social et environnemental (CESE). Un endroit où il y autant de francs-maçons que de rats dans une meule de fromage.
Objection du pressenti :
[- « Mais que vais-je aller faire là-bas vous savez bien que suis talla »
-« Justement vous serez neutre, vous pourrez arbitrer impartialement les luttes d’obédiences et de coteries »]
– Vous écrivez que vous êtes baptisé, que c’est toujours avec émotion que vous entrez dans les églises, que le mystère chrétien vous trouble mais que l’Ancien Testament vous rebute et vous expliquez même que Dieu ne vous a pas donné la grâce, alors qu’Il ne la refuse pas à ceux qui la lui demande. Pouvez-vous développer ce qui vous gêne dans la foi catholique ?
A question directe. Réponse directe et…nuancée. Je me sens assez étranger à Yahweh, le Dieu jaloux de la bible. Et, malgré les souvenirs du catéchisme, les lieux saints et la Palestine ne sont pas au cœur de ma géographie imaginaire. Pour autant je sais qu’à la différence des autres grands monothéismes, le christianisme, l’helléno christianisme est une religion de l’incarnation, où Dieu se fait homme et où on trouve le culte des saints, le culte marial avec ses madones et ses piéta. On trouve même des « paternités » : Joseph avec l’enfant Jésus dans ses bras et, plus rare, dans certaines églises baroques de Bavière, Dieu le père portant dans ses bras son fils sacrifié.
Mais nous ne pouvons, ni les uns, ni les autres, échapper à une contradiction. Élément clé de l’histoire et de l’identité de l’Europe, le christianisme est aussi une religion universelle, voire, dans sa forme sécularisée, une religion de l’universel (Marcel Gauchet). Ce qui fut une force pour l’Europe se retourne contre elle au moins depuis Vatican 2. Voyez le discours des évêques et des papes sur l’immigration et pas seulement les propos irresponsables de François à Lampedusa mais aussi les textes de Jean-Paul II et de Benoît XVI, tels qu’ils ont été magistralement analysés par Laurent Dandrieu dans L’église et l’immigration : le grand malaise. Voyez aussi à chaque conclave la tentation, a minima médiatique, de chercher un pape hors d’Europe même si François et Léon XIV sont encore des Européens.
Dans le même temps c’est une démarche identitaire qui motive les born again d’Academia Christiana tout comme la progression du nombre des baptêmes d’adultes et d’adolescents, en partie conséquence d’une communautarisation des enfants à travers des troupes scoutes et des écoles privées. La meilleure synthèse reste l’enseignement des humanités traditionnelles. Qu’il reste souvent à se réapproprier et à réacquerir.