Une analyse d'Antoine de Lacoste pour les lecteurs du Salon beige :
Les moralisateurs européens et américains s’inquiètent beaucoup de la situation dans la banlieue de Damas, la Ghouta.
Ils sont plus discrets sur la situation à Afrin, enclave kurde située au nord-ouest de la Syrie, assiégée depuis plusieurs semaines par l’armée turque et ses alliés islamistes de l’ASL.
Pourtant la situation humanitaire n’est guère reluisante, mais il ne faut pas couper les ponts avec la puissante Turquie..
La raison de cette intervention est connue : Erdogan ne veut pas d’un Kurdistan autonome le long de sa frontière avec la Syrie. Il occupe une partie du nord de la Syrie à cette fin, coupant en deux les territoires tenus par les Kurdes.
A l’est, 2000 soldats américains sont présents, protégeant ainsi ce territoire administré par les Kurdes, en l’absence de l’armée syrienne.
A l’ouest, la petite enclave d’Afrin est isolée et l’armée turque en a profité pour l’attaquer.
Depuis, elle piétine et les Kurdes opposent une résistance farouche. Mais ils perdent beaucoup de combattants et la situation ne peut tourner à leur avantage. Ils ont donc appelé l’armée syrienne à leur secours, six ans après avoir pris sa place.
Les Russes, ne voulant pas couper les ponts avec la Turquie, ont demandé à Damas de ne pas bouger. Mais l’occasion était trop belle, et, sans envoyer leur armée pour ne pas indisposer leur protecteur, les Syriens ont organisé l’incursion de milices locales fidèles à Damas épaulées par des combattants iraniens.
Ils furent accueillis triomphalement par les Kurdes mais aussi par l’artillerie turque…
C’est bien ce que craignait Moscou, qui ne veut pas d’un affrontement entre Syriens et Turcs. La Syrie est son alliée mais le dialogue avec Erdogan est renoué depuis maintenant deux ans et le rêve de la diplomatie russe est évidemment de couper Ankara des Etats-Unis.
Ce sont finalement les Américains les plus ennuyés par cette incursion turque. Pour ménager Erdogan, ils ont abandonné leur allié kurde dans son enclave d’Afrin. L’autre territoire kurde, à l’est, n’est pas menacé puisque personne n’osera attaquer un territoire où stationnent 2000 soldats américains. Mais les Kurdes ont évidemment ressenti une grande amertume et se sont, de ce fait, rapprochés non seulement des Syriens mais aussi des Russes.
La situation dans le nord de la Syrie est donc particulièrement complexe et explosive. Pas moins de six acteurs majeurs se sont fait face, se combattent ou se soutiennent : les Syriens, les Turcs, les Kurdes, les Américains, les Russes et les islamistes (généralement soutenus par les Turcs).
Un mélange inédit au scénario plus qu’incertain.