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Pays : Russie

Les conséquences stratégiques de la guerre en Ukraine

Les conséquences stratégiques de la guerre en Ukraine

La diffusion de la vidéo de l’audition devant l’Assemblée nationale du général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, a suscité un certain nombre de commentaires, provoquant même une réaction de Xavier Moreau sur son site Stratpol. J’apprécie Xavier Moreau mais son tropisme pro-russe l’empêche parfois de prendre du recul (plutôt que de traiter les généraux français de “Gamelin”, il pourrait nous parler des généraux russes limogés à tour de bras…). Parler de victoire tactique et de défaite stratégique n’a rien d’incohérent. On appelle cela aussi une victoire à la Pyrrhus (sans jeu de mot). Evidemment que les forces russes dominent le terrain en Ukraine, mais le conflit dure aujourd’hui depuis plus de 3 ans et force est de constater que l’opération spéciale lancée par Vladimir Poutine est tout de même laborieuse.

Mais là n’était pas le sujet. Il s’agissait de regarder au-delà des affrontements en Ukraine et d’observer les répercussions de cette guerre sur le plan international. Certes, la Russie n’est pas isolée, comme le montre l’alliance hétéroclite des BRICS. Mais la chute du régime d’Assad en Syrie (que Poutine n’a visiblement pas vu venir), l’attaque d’Israël en Iran, le divorce très récent entre la Russie et l’Azerbadjian, et la menace chinoise tentent à conforter les propos du général Burkhard, que je recite, car certains ne l’ont visiblement pas lu avant de le commenter :

Mon évaluation est la suivante : si l’on regarde objectivement la situation, à la date d’aujourd’hui, la Russie est en train de subir une défaite stratégique. L’attaque de la Russie est en réalité une forme de désastre militaire, qui se matérialise par des centaines de milliers d’hommes perdus, morts ou blessés. Bien évidemment, quand elle a attaqué le 24 février 2022, elle pensait l’emporter en quelque mois, objectif qu’elle n’a pas atteint.

Simultanément, la Suède et la Finlande ont basculé d’une position de neutralité à une adhésion à l’Otan, ce qui était une ligne rouge absolue pour la Russie et pour l’URSS depuis 1945. Or elle se retrouve aujourd’hui dans une situation géographique très compliquée. Finalement, la guerre en Ukraine a neutralisé la mer Noire, et la zone Baltique, qui était difficile à gérer par l’Otan, puisque la Suède et la Finlande étaient neutres, est devenue aujourd’hui une sorte de lac otanien. En cas de confrontation, pas un seul bateau russe n’arriverait à traverser la Baltique. Or entre 50 % et 60 % des approvisionnements économiques de la Russie passent par Saint-Pétersbourg.

Par ailleurs, vous pouvez constater la situation de vassalisation de la Russie vis-à-vis de la Chine et d’un certain nombre de pays, qui la place d’ailleurs en difficulté lorsqu’il s’agit d’appuyer ses partenaires stratégiques, comme nous l’avons vu en Syrie ou en Iran. Méfions-nous néanmoins, la Russie a toujours quelques ressorts et quelques tours à jouer.

Le dernier point sur lequel la Russie consomme sa défaite stratégique est le suivant : quand la guerre en Ukraine se terminera – car la guerre se terminera un jour – et que la Russie démobilisera, la société russe se retrouvera confrontée à de graves problèmes. Cette guerre aura rappelé à tous les Russes le faible prix que représente la vie humaine en Russie, pays qui paye ses soldats entre 3 000 et 4 000 euros pour aller combattre sur le front mais vient seulement de relever à 1 000 euros le salaire des médecins. Mais ici encore, soyons clairs et lucides : si nous laissons la guerre se poursuivre de cette manière, je crains que la Russie soit capable de tenir cinq minutes de plus que nous, même dans cette situation. Elle vivrait alors une défaite stratégique, mais elle pourrait l’afficher comme une victoire. Il nous faut donc casser la linéarité de la guerre.

Le général ne cite pas le cas de l’Azerbadjian, désormais ancien allié de la Russie. En février 2022, juste avant l’invasion de l’Ukraine, Bakou et Moscou signaient encore une “déclaration d’interaction alliée”. Dans le conflit avec l’Arménie, la Russie n’a pas défendu les séparatistes arméniens, ses alliés traditionnels, ce qui a été perçu à Bakou comme un feu vert implicite à sa reconquête territoriale. Est-ce à dire que le conflit ukrainien empêche la Russie de s’occuper de ses autres voisins ou alliés ? Le cas syrien semble le confirmer. Depuis, l’Azerbaïdjan assume une stratégie d’autonomie régionale et s’appuie sur son alliance militaire avec la Turquie. Moscou risque de perdre l’un des derniers partenaires stables du Caucase.

Par ailleurs, un document émanant des services russes souligne que Moscou s’inquiète de l’espionnage de la Chine et de la vassalisation de son pays. Espionnage militaire, guerre informationnelle en Sibérie : la Russie apparait de plus en plus soumise à la Chine. Les services russes s’inquiètent de l’infiltration chinoise, de l’espionnage en cours sur leur sol, du recrutement d’agents et de projets de contrôle de la Sibérie et de l’Arctique. Les agents russes affirment que Pékin tente de plus en plus de recruter des espions russes et de mettre la main sur des technologies militaires sensibles, parfois en attirant des scientifiques russes mécontents. Ils craignent que des universitaires chinois ne préparent le terrain pour revendiquer des territoires russes. Ils ont également averti que des agents secrets chinois menaient des activités d’espionnage dans l’Arctique sous le couvert de sociétés minières et de centres de recherche universitaires. Les inquiétudes concernant l’expansion de l’influence chinoise ne se limitent pas aux régions frontalières de l’Extrême-Orient russe. Selon le document, la Chine a commencé à déployer cette stratégie en Ouzbékistan, sphère d’influence russe.

Ce qui apparaît donc c’est qu’un certain nombre d’Etats profitent du fait que la Russie soit trop occupée par le conflit ukrainien pour avancer leurs pions. La situation de l’armée russe n’est pas aussi parfaite que certains aimeraient le faire croire. Sans revenir sur l’incroyable mutinerie du groupe Wagner et “l’accident” d’avion qui a vu périr Evgeny Prigozhin, le défunt chef de la force paramilitaire, le limogeage récurrent des généraux russes, à commencer par le général Surovikin, chargé de l’invasion de l’Ukraine, en 2023, puis, en à peine cinq mois, la mise en détention d’au moins dix généraux et responsables du ministère de la défense, poursuivis dans des affaires de fraude et de corruption, montre les carences de l’armée russe et expliquent sans doute la durée laborieuse du conflit. Récemment encore, c’est le chef des forces terrestres russes, le général Oleg Salyukov, qui a été écarté.

Alors évidemment on peut accuser l’OTAN, les franc-maçons, les néo-conservateurs, les macronistes et l’incompétence de nos dirigeants politiques qui ont détruit l’Armée française, mais tout cela ne fait pas pour autant de la Russie une alliée. La Russie mène une guerre d’influence contre la France, composée d’espionnage, de désinformation et d’ingérence. Le patron de la DGSE évoque notamment une opération de contre-espionnage de 2022, au cours de laquelle un haut cadre français de l’industrie a été identifié comme informateur des services russes, rémunéré pendant plus de dix ans. Désormais, les campagnes numériques russes sont accompagnées d’actions physiques, menées sur le territoire national par des intermédiaires rémunérés. Des « effecteurs », comme les appelle le directeur général de la DGSE, chargés de monter des opérations symboliques ou provocatrices. Lorsque Vladimir Poutine « inaugure un monument au siège du SVR à la gloire des clandestins sous couverture profonde à l’étranger, et y inscrit Pékin, Paris, Londres ou New York, il assume qu’il a des agents clandestins ».

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2 commentaires

  1. Bonjour, ce qui me fascine depuis le début de cette histoire est que personne ne sait répondre à la question suivante : Quel est l’intérêt de la France dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine ?
    Depuis le début, on nous menace de l’invasion de l’Europe par les Russes, mais quel en serait l’intérêt pour eux ? et auraient-ils les moyens de tenir l’Europe occidentale ? En fait, nous sommes les marionnettes des Américains et des Anglais qui prolongent le grand jeu initié depuis le XIXème siècle consistant à empêcher l’empire russe d’accéder aux mers chaudes. Les Français sont donc en train de faire le jeu des Américains et des Anglais qui sont des alliés, mais pas nécessairement des amis, et le général De Gaulle l’avait bien compris qui pratiquait une politique de bascule entre Anglo-Américains et Russes. La donne a changé, les Russes ne sont plus communistes. Pourquoi, alors, les pousser dans les bras des Chinois qui, eux, le sont demeurés ? L’intérêt de la France n’est-il pas d’abord de permettre à nos concitoyens de prospérer en sécurité, et donc, d’avoir un coup d’avance sur les changements géopolitiques inévitables qui se profilent à l’horizon au lieu de nous accrocher à un statu quo datant de 1945 ? Plein de questions ouvertes…

  2. C’est à croire que certains veulent absolument une troisième guerre mondiale globale nucléaire qui fera disparaitre l’humanité de la terre.

    Comme il est dit dans le troisième secret de Fatima, c’est l’homme qui organisa lui-même sa disparition sur terre.

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