De Bernard Ibal, Professeur agrégé et docteur en philosophie, président d’honneur de la CFTC-Cadres, dans La Nef :
[…] Les corps intermédiaires sont des groupes organisés de citoyens qui constituent un lien entre les individus et l’Etat. Ils animent aussi la société civile si l’on définit celle-ci comme l’ensemble des catégories socio-professionnelles et des courants d’opinions structurés.
Les corps intermédiaires sont fondés sur un concept de l’enseignement social chrétien : la subsidiarité, développée par Pie XI dans l’encyclique « Quadragesimo anno » de 1931, consiste en une décentralisation des réflexions et décisions. Le pape écrit au § 31 : « La déformation du régime social, qui ne laisse plus guère en présence que les individus et l’Etat ne cesse pas de ce fait de nuire sérieusement à ce dernier sur qui retombent dès lors toutes les fonctions que n’exercent plus les groupements disparus. » Les corps intermédiaires sont un rempart contre l’aliénation des individus, comme le dit Paul VI lors des Semaines Sociales du Chili en décembre 1963 : « Là où ces corps intermédiaires font défaut ou sont peu développés, la communauté nationale peut être la proie de quelques individus qui s’arrogent un pouvoir exagéré dans le domaine économique, social ou politique ; ou bien être la proie des pouvoirs publics, car ces pouvoirs, sans structure sociale assez solide pour contrarier leur prolifération, envahissent le domaine privé et finissent par ignorer ou même violer les droits fondamentaux de la personne humaine ».
Les corps intermédiaires sont les familles, les collectivités territoriales, les entreprises, les religions au sens sociologique, les ordres des médecins, avocats, etc…, les chambres consulaires, les partis politiques, les associations, les médias et bien sûr les syndicats… Chaque corps intermédiaire se regroupe autour d’objectifs, de valeurs et d’intérêts, sans oublier le bien commun auquel invitent la morale sociale chrétienne et la CFTC. Les corps intermédiaires (ici les syndicats) participent au dialogue social et aux négociations entre partenaires et avec l’Etat. Ils animent la démocratie dans le respect des minorités puisque celles-ci peuvent s’organiser en corps intermédiaires. Ils constituent des communautés, du lien social de proximité, des solidarités amicales. Ils jouent un rôle de formation et de pédagogie de la complexité. Ils sollicitent des expertises pour mieux comprendre la complexité du monde. Chaque corps intermédiaire est souvent une personne morale, émanation de personnes physiques, il peut ester en justice. Ils permettent de canaliser les impulsions populaires et de réfléchir au long terme.
Ranimer les corps intermédiaires
Mais les médias et l’opinion publique considèrent que les corps intermédiaires sont en déclin et affaiblis. C’est en grande partie faux : il y a souvent de bonnes participations aux élections professionnelles et les syndicats sont en capacité de mobiliser les salariés. (Si le nombre d’adhérents aux syndicats est plutôt faible en France, c’est que l’adhésion ne donne droit à rien à la différence des pays voisins). Cependant les « gilets jaunes » montrent bien que les syndicats et autres corps intermédiaires se font mettre sur la touche. Pourquoi ?
D’abord parce que les gouvernements successifs depuis des décennies cherchent plus ou moins à se passer des corps intermédiaires. Le Président Macron dit le regretter selon le Figaro du 10/12/2018. Ensuite le débat social est encore pollué par une atmosphère de lutte des classes d’où des blocages. De même certains syndicats se discréditent en étant trop corporatistes et en négligeant le bien commun. Les corps intermédiaires, même contestataires, semblent pratiquer des jeux de rôle.
Ils ont surtout besoin de s’adapter au monde du travail qui change. Le salarié d’aujourd’hui est de plus en plus nomade (géographiquement et professionnellement). Or les syndicats sont restés sédentaires comme au temps où les salariés faisaient toute leur carrière dans le même endroit. Une bonne application du numérique doit corriger cette disjonction et animer la démocratie d’en-bas. […]