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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Les dissensions ecclésiales, un défi pour l’Eglise catholique (1)

Les dissensions ecclésiales, un défi pour l’Eglise catholique (1)

C’est le titre de la thèse publiée par l’abbé Pierre-Marie Berthe, archiviste paléographe, docteur en histoire de l’université Paris-Sorbonne (2008) et docteur en droit canonique de l’université de Strasbourg (2018) et membre de la Fraternité Saint-Pie X.

Depuis l’origine du christianisme, l’unité de l’Église fondée sur la foi, le culte et la communion hiérarchique avec le successeur de Pierre se trouve confrontée à des dissensions doctrinales ou disciplinaires. Tantôt ces crises prennent la forme de controverses internes à l’Église romaine. Tantôt elles aboutissent à de véritables dissidences impliquant des ruptures institutionnelles. Aujourd’hui, les catholiques peinent à parler d’une seule voix sur des thèmes essentiels, tandis que le dialogue oecuménique tarde à restaurer l’unité parfaite entre baptisés. Ces deux problématiques méritent d’être abordées conjointement, car l’unité entre catholiques est le prélude indispensable à toute réconciliation entre chrétiens. L’histoire est maîtresse de vie. C’est pourquoi à travers un long parcours chronologique qui mène le lecteur de l’Antiquité à l’époque contemporaine, cette étude évoque les solutions doctrinales, canoniques et pastorales mises en oeuvre au fil des siècles pour résoudre les crises qui ont surgi dans l’Église, puis répond à trois questions en lien avec l’actualité. Que faire pour éviter de nouvelles ruptures dans l’Église ? Comment réagir face aux conflits ? Quel chemin emprunter pour réconcilier les chrétiens ? Résolument ancrée dans la Révélation chrétienne et la tradition catholique, cette étude interdisciplinaire propose une série de réflexions stimulantes sur l’unité, afin d’aider tous les disciples du Christ à affronter courageusement leurs divergences.

Nous avons interrogé l’abbé Berthe sur ce sujet. Entretien diffusé en deux parties.

Votre thèse de droit canonique sur les dissensions dans l’Église vient d’être publiée. Comment résumeriez-vous votre projet et vos conclusions ? 

Comme il existe déjà de nombreux travaux sur l’unité de l’Église, j’ai pris le parti d’aborder cette thématique et ses développements contemporains à la lumière de l’histoire. De la sorte, mon livre dresse une synthèse des différentes querelles qui ont marqué la vie de l’Église depuis l’Antiquité, puis suggère des moyenspour affermir l’unité entre catholiques et ouvrir des chemins de réconciliation avec les baptisés non catholiques. La conclusion invite à distinguer trois niveaux d’action.

Puisque l’unité du peuple catholique se réalise avant tout par les liens de la foi, il importe de donner un contenu doctrinal ferme à la prédication et à l’évangélisation. La cohésion de la société ecclésiale réclame que ses membres adhèrent aux mêmes vérités et comprennent de la même manière les énoncés qu’ils professent. De plus, le magistère a besoin de trouver un juste équilibre dans ses interventions, lorsqu’il fixe la norme de la foi. L’Église a le devoir d’offrir une parole claire qui évite toute précipitation. Il est périlleux de trancher un débat, quand le sujet n’a pas été suffisamment étudié. Ma conclusion montre aussi que l’unité de l’Église réclame des échanges entre ses membres, qui associent toutes les sensibilités. De plus, comme les querelles naissent à la faveur des périodes de décadence ou de torpeur spirituelle, l’Église préserve son unité, dans la mesure où elle remplit sa mission de sanctification. Enfin, le respect du droit conditionne l’unité, car sans ordre juste, il n’y a pas de vie sociale.

Quand des tensions surgissent ou que des dissensions se produisent, une réaction rapide s’impose, pour que ces oppositions ne dégénèrent pas en ruptures institutionnelles. Il est toujours possible d’entamer un processus de paix, à condition de discerner l’objet précis de la querelle, les principes qui sont en jeu et les implications du débat, sans confondre les problématiques doctrinales, canoniques et pastorales qui parfois s’enchevêtrent. Pour sortir d’un conflit, il revient à l’autorité de faire appel à un médiateur, de défendre la vérité, si elle est attaquée, mais aussi d’approfondir les questions qui divisent. Répéter simplement ce qui a déjà été dit ne permet pas d’avancer et de résoudre une controverse. Par ailleurs, le droit a des ressources pour éviter les ruptures. Les privilèges et les exemptions sont des instruments pastoralement efficaces pour conjuguer unité et particularismes, quand les exigences de la foi le permettent.

Par rapport aux dissensions héritées de l’histoire, le dialogue œcuménique entre confessions chrétiennes n’a de sens que s’il regarde en face les divergences et ne cherchent pas à les relativiser. Les actes de communicatio in sacris qui ont des bases doctrinales faibles créent une unité factice, mais ils s’avèrent paradoxalement démobilisateurs pour l’œcuménisme, car ils laissent penser que les divergences qui demeurent sont sans incidence sur le salut des âmes. Placer côte à côte dans un sanctuaire des ministres du culte qui ne partagent pas la même conception de l’Église ou s’opposent sur la primauté romaine entretient l’illusion de l’unité, mais n’aide guère à dépasser les désaccords qui expliquent les divisions. Du reste il est bon de réfléchir à des propositions canoniques qui donnent une forme concrète à l’unité recherchée. En ce sens, le modèle proposé pour intégrer les anglicans qui désirent entrer dans l’Église catholique est assez intéressant. Il respecte et assume des éléments matériels de la tradition anglicane, en les intégrant à l’unité catholique.

L’unité de l’Église, qui est une marque de la véritable Église comme l’enseigne le Credo, peut-elle s’accompagner de diversité théologique ? Et, dans ce cas, comment distinguer ce qui est fondamental, dans lequel l’unité est requise, de ce qui est accessoire ?

A plusieurs occasions, dans des querelles internes à l’Église catholique où chaque parti tentait d’imposer ses vues, les papes sont intervenus pour rappeler que l’unité de foi ne s’opposait pas à la liberté des écoles théologiques. De même, s’ils ont loué abondamment saint Thomas d’Aquin pour la finesse et la sûreté de sa théologie, les papes ne l’ont jamais imposé comme un maître unique. Non sans risque parfois, l’Église a défendu la liberté de recherche des théologiens et refusé de condamner des thèses un peu originales ou audacieuses que d’aucuns auraient voulu anathématiser. En réalité, l’Église a un esprit large, dès lors que sa foi n’est pas en cause. La richesse de son patrimoine culturel en est la meilleure preuve.

Le magistère de l’Église tranche certaines questions avec autorité, mais il en laisse d’autres ouvertes. C’est à ce niveau que des opinions diverses peuvent coexister dans l’Église. Quand une thèse ne s’oppose pas à un enseignement formulé par l’Église, elle est légitime. Elle peut être proposée, discutée, acceptée par les uns et critiquée par d’autres. Les théologiens qui défendent une thèse doivent accepter que tous ne la partagent pas, mais ceux qui la critiquent doivent se rappeler qu’ils sont en face d’une opinion et non d’une hérésie ! Il revient à l’autorité ecclésiastique de laisser s’exprimer toutes les opinions qui s’avèrent compatibles avec la doctrine catholique. Les règles de la censure des livres vont dans ce sens.

Concrètement, il faut examiner ce que dit le magistère pour savoir si une position est acceptable ou non, car c’est à lui qu’il revient de définir les énoncés qui entrent dans l’unité de foi. Si le Saint-Siège a parlé sur un thème avec autorité, il faut accepter sa réponse, à condition bien sûr qu’elle s’harmonise avec les autres enseignements de l’Église. Si au contraire le magistère ne s’est pas prononcé, le débat reste ouvert. Souvent, l’autorité agit par étape. Elle commence par encourager et recommander telle thèse, avant de l’imposer. Parfois, elle hésite tellement qu’elle finit par ne pas trancher, comme ce fut le cas dans la querelle sur la grâce entre thomistes et molinistes. En fait, le pape doit réfléchir longuement avant d’engager son autorité dans une controverse, car derrière la question de la vérité, se cache des équilibres institutionnels à sauvegarder. Le pasteur suprême qui dit la foi de l’Église est aussi le garant de son unité.

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