Suite de l’entretien avec l’abbé Pierre-Mare Berthe, auteur de la thèse sur Les dissensions ecclésiales, un défi pour l’Eglise catholique. Lire la 1ère partie ici.
A plusieurs reprises, au cours des dernières décennies, la critique traditionaliste a visé la notion de « hiérarchie des vérités » évoquée par le décret sur l’œcuménisme de Vatican II (n° 10). Comment comprenez-vous cette expression ?
En effet, la formule n’est pas sans rappeler la distinction réprouvée par Mortalium animos entre des dogmes « fondamentaux » qui devraient être reçus par tous et d’autres « non fondamentaux », auxquels chacun aurait la liberté d’assentir ou non. Dans ce texte, Pie XI ne vise pas la distinction classique entre dogme et opinions théologiques. Il ne dit pas davantage que toutes les vérités enseignées par le magistère ont la même autorité. Simplement il rappelle que la doctrine catholique forme un tout qui n’est pas négociable. Celui qui refuse un élément du dogme ne partage pas la foi de l’Église. De fait, le décret conciliaire qui parle d’une « hiérarchie des vérités » ne précise pas que toutes ces vérités réclament un assentiment ferme, dont la nature varie en fonction du degré d’autorité des textes. Ce silence entraîne une certaine ambiguïté qu’il serait bon de lever. Mieux vaut parler d’un « ordre des vérités », puisque le décret sur l’œcuménisme recourt aussi à cette expression.
Le texte dit : « En exposant la doctrine, ils se rappelleront qu’il y a un ordre ou une hiérarchie des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne ». La notion d’ordre est essentielle, car les vérités de la doctrine catholique s’appellent mutuellement. Cette cohérence du dogme crée une harmonie qui explique la beauté et la force de la doctrine catholique. Elle suppose des enchaînements et des articulations qu’il est important de souligner. Le plan du Credo et ses douze articles repris par les catéchismes mettent en valeur cet ordre. Le discours va du Père au Verbe qui s’incarne, puis considère le Saint-Esprit, avant d’évoquer l’Église et le baptême, qui est le point de départ de la vie sacramentelle et le chemin à prendre pour entrer dans la gloire. Il est important de saisir la logique interne du dogme catholique et ses équilibres délicats, avant de se focaliser sur des points particuliers.
Dans le dialogue œcuménique, ces réflexions sur l’ordre des vérités de la foi invitent à trouver une présentation adéquate des enseignements catholiques contestés, en soulignant la cohérence du dogme. Il est indispensable de replacer les questions ecclésiologiques qui divisent dans la perspective de l’Incarnation et de la Rédemption pour offrir une argumentation convaincante qui réponde aux objections rencontrées. Néanmoins il faut répéter que les vérités révélées par le Christ et transmises par la Tradition forment non pas tant une collection de joyaux, mais un trésor unique à prendre ou à laisser.
Vous n’êtes pas seulement universitaire, mais avant tout prêtre et membre de la Fraternité Saint-Pie X. Quels enseignements l’histoire peut-elle nous donner pour surmonter la crise doctrinale que traverse l’Église ?
L’histoire montre qu’une crise doctrinale ne peut trouver de réponse satisfaisante, en laissant de côté les questions théologiques. Sans doute le trouble que provoquent les crises conduit souvent à chercher les conditions d’un modus vivendi acceptable pour tous avec une certaine urgence, mais les solutions bancales, même temporaires, qui ne tiennent pas compte de la doctrine révèlent vite leurs limites. Ainsi dans l’Antiquité, les empereurs ont encouragé des compromis christologiques périlleux pour ramener la paix, mais rapidement ils ont du prendre acte qu’une telle voie ne faisait qu’accroître la confusion. De même aujourd’hui, le défi de l’évangélisation ne saurait conduire à occulter les questions réputées trop intellectuelles. La dynamique de l’apostolat suppose la stabilité d’une doctrine ferme et pleinement assumée.
La crise doctrinale que traverse l’Église réclame donc de faire résonner les vérités qui ne sont plus comprises et acceptées. Il importe de rappeler les principes de la Révélation et de faire connaître les textes anciens qui éclairent les problématiques actuelles. Mais cela ne suffit pas. Il faut répondre aux discours qui relativisent la doctrine catholique. Toute l’Église est concernée, car chacun à son niveau est appelé à diffuser la vérité, rectifier des erreurs et proposer des réflexions qui éclairent les esprits. La réforme engage toute l’Église. Les textes qui émanent de Rome reprennent le plus souvent des idées qui ont été défendues au préalable dans des publications, des colloques, des prédications… Il ne faut pas attendre passivement que la solution vienne du sommet de l’Église.
Pour que la réflexion doctrinale ne se transforme pas en démarche purement intellectuelle, ce labeur ne peut se passer d’une pastorale qui valorise la sanctification personnelle à travers la prière, la vie liturgique et sacramentelle, la pratique des vertus chrétiennes. L’exemple de la réforme catholique qui conduit au Concile de Trente le montre. Avant que les papes ne se décident à engager une réforme doctrinale et disciplinaire ambitieuse, des évêques, des petites communautés et des ordres religieux ont amorcé le mouvement, en insistant sur le renouveau spirituel et moral.
Enfin, l’histoire apprend la patience et la mesure. Dans la tempête, il faut garder son calme, éviter les invectives et se garder des jugements à l’emporte-pièce. L’Église est une famille. Il est inévitable qu’il y ait des brouilles et des oppositions. Il y en aura toujours. Mais il faut les affronter avec des principes chrétiens : liberté de ton et franchise certes, mais aussi déférence envers l’autorité et bienveillance mutuelle. L’histoire est maîtresse de sagesse. Elle apprend à prendre du recul par rapport aux événements. Chacun croit toujours que le pire est arrivé, alors qu’il n’en est rien. Malgré tout, si l’histoire apprend à considérer le mal avec lucidité, elle nourrit l’espérance, car elle montre que Dieu n’abandonne jamais son Église.