Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec se penche sur la sainte colère des policiers :
Les promesses. Les paroles. Les mots. Toujours les mots. A l’approche de la présidentielle, nous voici donc rentrés, une fois encore, pour une année de vœux plus ou moins pieux, de perspectives d’engagements plus ou moins tenables. A un an de la désignation de celui ou celle qui tiendra les manettes du pouvoir pour cinq années, à nouveau ou pour la première fois, les Français doivent se préparer à entendre les ritournelles habituelles. Les attaquants sont faits pour planter des buts et les politiques, semble-t-il, pour nous couvrir de promesses. Invité à réagir au désarroi des policiers sur BFM TV, le responsable LR des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, avertissait solennellement Jean-Jacques Bourdin : « Aujourd’hui, les mots ne suffisent plus ». A l’écoute d’une telle sentence, on pourrait feindre de s’interroger, non sans ironie. Les mots ne suffisent plus ? Vraiment ? Si les mots ne suffisent plus aujourd’hui, il devient surtout plus que jamais urgent de comprendre en quels termes ils ont pu suffire autrefois. Tout l’intérêt d’une réponse réside souvent dans la façon de poser le problème.
Des paroles et des actes.
Le chef, le meneur, le garant de l’ordre et de la discipline, n’est-ce pas celui qui se fait respecter au seul timbre de sa voix ? Les élèves dans leur école comme les aspirants dans leur régiment ne l’ignorent pas : le chef d’établissement ou le chef de corps n’est pas celui qui, d’abord, roule des mécaniques ou inspire la crainte. C’est celui qui, avant tout, montre l’exemple et invite à le suivre. Les mots ne suffisent jamais lorsque celui qui les prononce a perdu de sa crédibilité. Imposer le respect se fait certes au moyen de la parole, mais fondamentalement, cette dernière conserve tout son poids seulement dans la mesure où elle est précédée et prolongée par des actes.
Dans l’Evangile, on trouve des maximes du Christ qui ont valeur de punchlines d’anthologie. L’une d’elles, habitée par le bon sens, se veut aussi avertissement sans fard : « Ce n’est pas celui qui m’aura dit : “Seigneur, Seigneur ! ” qui entrera dans le royaume des cieux mais celui qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux ». Autrement dit, pour entrer au Ciel, obtenir le Paradis, il ne suffit pas de s’inscrire. Il faut mettre sa peau au bout de son idéal de réforme intérieure. Les bonnes intentions pavent l’enfer tandis que les efforts persévérants, les actes authentiques, les renoncements joyeux forment autant d’échelons favorisant l’ascension d’une âme vers son Créateur et Dieu. Parallèlement, pour gagner une élection et engager le redressement d’un pays, il ne suffit pas de promettre. Les paroles demeurent insuffisantes pour convaincre sur le long terme, ce fameux temps long qui fait défaut à l’intelligence politique contemporaine. Si Jacques Chirac lui-même se plaisait à répéter que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient », on constatera avec impuissance que la charge de la res publica meure de cette décomposition de la parole politique. Le mensonge séduit généralement à court terme, il finit toujours par tuer lorsque l’on s’y installe. Le camp du bien se prévaut de tenir le discours le plus inclusif, le plus respectueux des diversités ? Pour contrer de telles postures, ce qui importe davantage encore, c’est d’appartenir au camp du vrai. La politique des coups de menton et des condoléances, comme l’exprimait justement François-Xavier Bellamy au micro de Sonia Mabrouk, ne résout habituellement aucun problème. Au contraire même, cela parfois les attise, comme la geste de François Hollande, qui s’était rendu au chevet de Théodore Luhaka, ce jeune dont l’interpellation à Aulnay-sous-Bois avait dégénéré en septembre 2017. Il y a trois ans déjà, le journaliste Jean-Marie Godard, collaborateur au magazine Society et auteur du livre choc Paroles de Flics (Fayard), revenait dans les colonnes du Figaro sur cette “affaire Théo”. Comment ne pas voir une véritable gifle infligée aux forces de l’ordre dans une pareille mise en scène médiatique d’un Président de la République prenant fait et cause pour un jeune sans qu’aucune preuve n’ait été faite de la culpabilité des policiers ? « L’enquête commençait à peine, on était en pleine séquence électorale, et le pouvoir a voulu calmer les émeutes » soufflait le journaliste.
« Que ceux qui ont des oreilles entendent et des yeux regardent »
On comprend mieux la sainte colère qui s’est exprimée le 19 mai dernier chez ceux qui portent un uniforme et qui, aux premières loges, se trouvent confrontés à l’ensauvagement du pays et au délitement de sa justice. Sainte colère, comme le Christ chassant les marchands du Temple à coups de fouet « Ma maison sera appelée maison de prière, mais vous, vous en avez fait un repère de brigands ». Sainte colère parce que la soif de justice domine. Colère sainte parce que l’espoir d’un changement justifie de bousculer les habitudes lorsqu’elles sont mauvaises. Rien à voir ici avec l’indignation affectée d’un politiquement correct aux abois. Les âmes compatissantes du show-business ont installé dans le paysage médiatique la figure de Théo hier, celle d’Adama Traoré aujourd’hui, pour mieux laisser entendre que sous chaque képi se cachaient des racistes violents sans scrupule. Sauf que le réel finit toujours par rattraper les déconnectés du terrain. Qui met, en effet, son genou en terre pour Jean-Paul, ce policier de 51 ans grièvement blessé la semaine dernière, à Rive-de-Gier dans la Loire, à l’occasion d’une intervention banale ? La vidéo de son témoignage, diffusée lors du rassemblement de mercredi devant l’Assemblée Nationale, avait quelque chose de pathétique. Alité, visage tuméfié, crâne recousu dans les grandes largeurs : au-delà de ces images qui parlaient d’elles-mêmes, c’est surtout la disproportion de traitement entre Jean-Paul et les autres qui saute aux yeux. Encore faut-il se donner la peine de les ouvrir. Garder la paix est à ce prix : regarder le réel avec lucidité pour y apporter des réponses avec courage. En paroles, sans doute. En actes, nécessairement.