Frédéric Pichon est interrogé dans Présent. Extrait :
"Les chrétiens d'Irak et de Syrie peuvent-ils disparaître de la terre qui vu naître le christianisme ?
Leur situation est mauvaise, bien évidemment. L'érosion des effectifs est inquiétante. En 12 ans, on est passé de 1,2 millions de chrétiens à 300 000 en Irak, et de 1 million à 500 000, sûrement moins aujourd'hui, en Syrie. Peuvent-ils disparaître ? Sans être devin, c'est déjà arrivé dans l'histoire, en Turquie par exemple, qui a perpétré un génocide dans son processus d'indépendance. 33% de ses habitants étaient chrétiens avant 1920. Il ne représente plus que 0,8% de la population turque aujourd'hui. C'est donc malheureusement possible.
En plus de l’État Islamique, de qui et de quoi sont-ils les victimes ?
Ils sont victimes de logiques qui les dépassent. La première : l'épuisement du nationalisme arabe et des régimes laïcs associés (nasserisme, baasisme…). La deuxième : la montée de l'islamisme politique depuis les années 70, notamment structuré autour de l'idéologie des Frères musulmans. Ils sont aussi victimes des choix stratégiques occidentaux, américains mais aussi français, qui sont très clairement alignés sur les pétromonarchies. Enfin ils sont les victimes collatérales d'un phénomène religieux qui est celui de la crise profonde que connaît l'islam, caractérisée par l'affrontement entre les sunnites et les chiites. […]
Comment expliquez-vous l'abandon de la France de son rôle traditionnel et historique de protection des minorités chrétiennes d'orient ?
La France ne sait pas sur quel pied danser, elle n'a plus aucune vision stratégique de la région. Elle traverse elle-même une profonde crise existentielle et identitaire. Ne sachant pas qui elle est elle-même, elle ne peut pas se projeter dans ce genre de vision. Je crois que la France est entrée dans la modernité la plus radicale, elle est incapable de penser aujourd'hui le fait religieux, musulman comme chrétien, et que les gesticulations d'un Laurent Fabius pour les chrétiens d'orient et les autres minorités ne sont en fait que le chant du cygne d'une France qui a renoncé, parce qu'elle ne sait plus, et ne veut plus, savoir qui elle est.