D'Olivier Hanne à propos de l'intervention turque contre Daesh :
"Malgré les apparences en France, la Turquie est d’une grande cohérence et conserve la même ligne stratégique depuis deux ans : l’ennemi du Moyen-Orient est kurde, et l’État islamique est un danger secondaire, qui sera vite réglé. […]
Grâce à l’EI, la Turquie a vu se développer tout au long de sa frontière méridionale des abcès de fixation pour ses ennemis kurdes, dont les forces sont entièrement mobilisées contre Daesh.
L’attentat du 20 juillet 2015 fomenté par l’organisation terroriste contre la Turquie peut faire croire à un retournement général de la situation, puisque les troupes turques ont frappé des positions de Daesh. Or, il n’en est rien.
Comme Ankara l’avait fait le 14 octobre 2014 en tirant sur les partisans du PKK, la Turquie va relancer son combat contre les Kurdes en rouvrant le front intérieur (arrestations de militants kurdes de Turquie, interdictions des manifestations, exécutions…), et en profitant des maladresses américaines sur le front extérieur.
Le président Erdogan plaide depuis un an pour la mise en place de zones-tampons sur sa frontière avec la Syrie et l’Irak, afin de sécuriser ces zones et mieux prendre en charge les réfugiés. Mais cet objectif humanitaire autoriserait l’armée turque à intervenir de l’autre côté de sa frontière et à y fortifier ses positions.
Or, le 28 juillet, les États-Unis se sont mis d’accord avec la Turquie pour instaurer une "ISIS-free zone" en Syrie. Il s’agira d’un espace d’exclusion aérienne, garanti par les États-Unis, et d’où Ankara s’engage à expulser Daesh.
À terme, cette initiative aura plusieurs conséquences :
- Elle autorisera la Turquie à intervenir contre les Kurdes en dehors de ses frontières,
- Elle donnera à Ankara l’hégémonie sur ces zones qu’elle convoite depuis un siècle,
- Elle accélérera le déclin militaire de Bachar al-Assad, puisque l’exclusion aérienne concernera essentiellement son aviation,
- Elle ne garantira nullement l’affaiblissement de Daesh, puisque la Turquie n’a pas la volonté d’aller au-delà de l’objectif de la sécurisation de ses frontières.
Il n’y a donc aucun retournement majeur au Moyen-Orient depuis une semaine, mais une confirmation des tendances lourdes de la politique de chacun des acteurs."