Le philosophe Bertrand Vergely, normalien, agrégé de philosophie et théologien, vient de publier Obscures Lumières, dans lequel il remet en cause l'apport des Lumières à la pensée. Il est interrogé dans Le Figarovox. Extraits :
"La religion est ce qui relie les hommes à Dieu. Vivre religieusement conduit à élever sa conscience au plus haut niveau qui soit. Mais les hommes peuvent détourner le religieux, et quand c'est le cas, cela donne les tyrannies et les sectes qui font basculer le religieux dans la violence. La bonne réponse à l'obscurantisme religieux consiste à revenir au religieux authentique, celui de l'homme profond se purifiant de la soif de pouvoir afin de faire vivre une conscience transformée. Au XVIIIe siècle, lors de la Révolution Française, c'est l‘inverse qui s'est produit. Sous prétexte de libérer la société de l'obscurantisme, les révolutionnaires opposent au pouvoir de l'obscurantisme religieux le pouvoir non religieux dit des Lumières. Ils ne suppriment pas la soif de pouvoir, ils la déplacent seulement de son expression cléricale vers une expression laïque. Pour ce faire, ils mettent en place une idolâtrie, celle de l'homme total contrôlant la nature et l'homme par la raison humaine. Au XVIIIe siècle cette idolâtrie débouche sur la Terreur, au XIXe siècle sur le nihilisme intellectuel, au XXe siècle sur le totalitarisme. Être philosophe, c'est tenter de dire et de vivre la vérité. Les Lumières sont à l'origine d'une idolâtrie qui a asservi les hommes et qui les asservit encore. À qui demande de devenir un adorateur de cette idolâtrie, je dis non. Sans moi. […]
Comment expliquez-vous que le siècle des Lumières se soit achevé sous le règne de la Terreur?
Sous couvert de vouloir lutter contre l'injustice, les penseurs des Lumières ont en réalité voulu créer une humanité entièrement nouvelle. Quand on a comme projet de transformer ce qui fait l'essence de l'humanité, que peut-il se passer? Sur un plan théorique et culturel, on est obligé de se prendre pour Dieu en remplaçant la loi divine par la loi humaine qui devient une nouvelle loi divine. Hobbes dans le Léviathan réécrit le livre de la Genèse en faisant naître l'homme du contrat social et, derrière lui, du Droit humain. Résultat: c'est désormais l'État qui garantit le Droit, devenant en quelque sorte le nouveau Dieu sur terre. Ce qui est l'essence du totalitarisme. Par ailleurs, pratiquement, quand on prétend être la vraie humanité qui va bâtir la nouvelle humanité, on est obligé d'éliminer par la terreur les représentants et les symboles de l'ancienne société et de l'ancienne humanité, l'ancien ne pouvant pas cohabiter avec le nouveau. C'est exactement ce qui s'est passé. Depuis la Révolution Française, tous les régimes révolutionnaires ont été des régimes de terreur dans lesquels on liquidait dans la violence les nobles, les prêtres, les riches, les intellectuels etc …
Vous dites aussi que les Lumières, avec les droits de l'homme, sont la source d'une morale nouvelle qui se substitue à la morale chrétienne. Mais, dans une société sécularisée comme aujourd'hui, n'a-t-on pas besoin d'une forme de «morale laïque» pour maintenir l'ordre face à l'obscurantisme de l'Islam radical par exemple?
La morale qu'ont inventée les Lumières est une morale libertine, dont j'ai montré qu'elle pouvait être illustrée par trois visages: la critique intellectuelle, Don Juan, et le Marquis de Sade. Cette nouvelle morale repose donc sur un triptyque: Liberté d'esprit – Séduction – Transgression. On retrouve ces valeurs, très présentes, en art contemporain! C'est exactement ce triptyque moral que les droits de l'homme ont pour but de protéger. Comme le dit très bien Albert Camus, le Droit et le libertinage ont été les deux leviers de la Révolution Française. Mais je crois, précisément, que la vraie «morale laïque» n'existe même plus aujourd'hui. Dans mon enfance, à l'école de la République, il y avait des leçons de morale! Cette morale n'était pas une morale libertine héritée des valeurs des Lumières protégées par les droits de l'homme, mais c'était la morale chrétienne laïcisée. Elle n'existe plus. À l'époque de mon enfance, le mot «morale» n‘était pas un mot honteux.
Qu'oppose-t-on vraiment à l'islam radical aujourd'hui? La morale «Charlie Hebdo», c'est-à-dire le vieux fond anticlérical révolutionnaire revendiquant le «ni Dieu ni maître» de l'anarchisme, sur fond de droit au blasphème! Ce n'est pas ça, la morale laïque. Je suis d'accord pour opposer une morale face à la violence islamiste. Mais quand commence-t-on? Sur la base de quel enseignement, et de quelles valeurs? […]"
San Juan
C’est ce que fait l’historienne Marion Sigaut sur Youtube, elle éreinte “les lumières”. Par contre, ce qu’elle met à jour et qui est je crois assez peu connu, c’est le rôle du jansénisme dans la préparation de la révolution. Les jansénistes et les philosophes des lumières avaient un ennemi commun d’après ce que j’ai pu comprendre et c’était les jésuites. Ce que nous apprend Marion Sigaut est proprement stupéfiant, même pour ceux qui se piquaient de connaitre quelque chose à la révolution, aux lumières, à Voltaire et au reste des salopards “illuminés” qui détruisirent la France.
Exupéry
“Obscures Lumières”, oui, je dirais même plus : “Ténébreuses Lumières”, Car leur prince est connu !
pessimiste
déjà 108 commentaires sur Figaro vox, pour la plupart enthousiastes. On a l’impression qu’il ne faut plus grand chose pour que la vraie morale revienne. Prions !
Roque
Je ne suis pas de droite. Mais ce que dit cet auteur est proche de la vérité. La morale laïque est défunte. On est à la fin d’un cycle qui a débuté avec le travestissement de la morale chrétienne en morale civique ou républicaine.
périscope
Bertrand Vergely était à nos côtés, quand nous battions le pavé parisien, pour défendre la famille.
Quelqu’un sur qui on peut compter !
Tonton Jean
Dans ma jeunesse, la Morale enseignée par les prêtres au catéchisme et les instits à l’école était la même. Elle venait de façon différente certe de la même origine: La loi naturelle donnée par le Dieu Créateur. Et les parents s’y retrouvaient facilement.
Aujourd’hui tout à changer: “Aucune loi morale n’est au-dessus des lois de la république” a déclaré Chirac. On peut dire qu’il n’y a plus de loi tellement il y en a et on en fabrique tous les jours. Nous arrivons dans le néant. Ce qui réjouit Mammon.
LB
@San Juan Les jansénistes, les gallicans, mais aussi les jésuites ont leur part de responsabilité, car ils enseignaient la philo de Descartes….
PC
A lire sur le sujet les ouvrages du professeur Xavier Martin
Eclaireur
Tout cela a l’air fort pertinent, et enthousiasmant. Toutefois, comment interprêter ces lignes de la présentation du livre par l’éditeur lui-même : “La Révolution française a voulu être révolutionnaire.Elle a cru qu’elle pouvait l’être. Mais elle a été dévorée inconsciemment par l’Ancien Régime dont elle ne
s’est jamais vraiment débarrassée. Cette ombre a pesé sur elle. Elle pèse encore sur nous.”
L’un de vous l’a t’il déjà lu pour nous en dire plus, svp?
nicole
Quel dommage que l’Expédition Lapérouse ne soit pas revenue en France, fin 1788, ou début 1789, car les témoignages de ces voyageurs auraient démoli la théorie du “bon sauvage” et la philosophie des Lumières..
San Juan
L.B., je ne sais pas, je ne connais pas la philo de Descartes, ou bien, si je l’ai connu, je ne m’en souviens plus.
Alpin
Pourquoi tant de pornographie y compris à la disposition des jeunes enfants ?
Pour la bonne et simple raison suivante :
“On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie qu’avec des miradors ”
Soljenitsyne.
vous comprenez maintenant pourquoi !!!!!!!
En quelque sorte la pornographie ” massive ” à la disposition de tous et toutes contribue à la poursuite de la révolution !!!
“liberté,égalité …….vaseline ”
Irishman
Une bouffée d’air frais, un rayon de soleil ! Je sens que je vais aller acheter ce livre…
AFumey
C’est un bon éclairage, mais il me semble manquer la cause principale.
Le 16ème siècle finissant a vu naitre le capitalisme, à Amsterdam précisément. Il s’appuie entre autres sur la vision protestante de la société.
Les gains immenses engrangés ont donné un pouvoir sans précédent aux financiers, au point de parvenir à renverser le roi anglais Charles 1er qui tentait, maladroitement, de contrer cette nouvelle puissance.
Louis XIII et Richelieu, puis Louis XIV, ont passé leur siècle à lutter contre ce pouvoir hégémonique soutenu en son temps par Guillaume d’Orange.
Les moyens mobilisés ont fini par conduire Amsterdam au “péché capital” de défaut de paiement en 1715, ce qui a signé la fin de la domination hollandaise. Mais Londres, puis l’Amérique naissante ont repris naturellement ce combat car l’Argent ne supporte aucune limite à son pouvoir.
Rappelons-nous que la vente des biens d’Eglise saisis lors de la révolution a bénéficié aux grosses fortunes uniquement…
Lors du XIXème on a vu un président américain élu batailler ferme durant tout son mandat pour reprendre les rênes de la banque fédérale (alors privée). Le début XXème a vu la finance se la réapproprier: les crises récentes n’ont en rien écorné les grosses fortunes, au contraire.
En définitive, comme le confirmait l’un des animateurs d’un débat avec un cynisme candide: le marché existe déjà, son élargissement sans frein est bien le but de la modification législative attendue. Les “lumières” ne sont qu’un des avatars de l’Argent qui avance toujours masqué et possède les moyens d’acheter les intellectuels les plus en vue, et d’éliminer, même de façon virtuelle, les récalcitrants influents.