Hier, lors de la manifestation de SOS Tout-Petits, interdite à Paris, Jeanne Smits était sur place. Extrait de son témoignage :
"Arrivée à hauteur du petit groupe de SOS Tout-petits, je vois le fameux panier à salade, un bus de police où, manifestement, le Dr Dor a dû s'engouffrer et décliner son identité avec quelques autres. Les contrôles sont encore en cours. Je sors ma carte de presse et demande des explications aux forces de l'ordre. « La manifestation de ces personnes est interdite. » Ah, bon, et les manifestants qui sont devant Tenon ? « Eux, ils font une manifestation autorisée. » Ah, et pourquoi eux, et pas ce groupe pacifique ? « Je ne peux pas vous le dire. La préfecture pourra vous renseigner. On n'autorise jamais en même temps une manifestation et une contre-manifestation, pour éviter des troubles à l'ordre public. » Intéressant. Pas très convaincant sur le terrain. Je ne sache pas que les contre-manifestants se fassent toujours contrôler et embarquer. Sans compter qu'ici, SOS Tout-petits avait à la fois l'antériorité pour lui et avait été victime, il y a deux mois, des violences – allant des jets d'œufs aux bousculades musclées – des mêmes qui paradent devant Tenon au moment même où le Dr Dor et ses amis obtempèrent courtoisement et montent dans le fourgon.
Courtoise, j'essaierai de le rester, monter dans le car de police, c'est hors de question. Je revendique mon droit d'informer et la police n'insiste pas. Mais on a bien vu que j'échangeais une poignée de main avec deux des appréhendés… Commencera alors pour la vingtaine d'amis de SOS Tout-petits une série de déplacements dans ce car aux vitres teintées. Cent mètres en arrière, cinquante mètres en avant, on change de rue, on arrête, on avance… Où sont-ils ? Ils ne savent pas que leur groupe est maintenu à proximité de Tenon mais évite, de station en station, les manifestants de gauche qui tournent autour de l'hopital. L'idée des forces de l'ordre semble simple. Ne pas relâcher les « dangereux » récitants de chapelet avant la fin de la manif, pas même à trois kilomètres de là, pour contrer toute velléité de reconstitution de leur groupe à proximité des gauchistes. J'ai vu comment certains d'entre eux ont été « cueillis », sur leur bonne gueule. Parce qu'ils passaient par là. J'apprendrai plus tard que tel autre avait été « pris » à la sortie du métro parce qu'il portait une croix. Que tel autre groupe de dames amies s'était arrêtées pour bavarder ensemble – hop, la police arrive, et les embarque à leur tour.
Le car s'éloignant doucement, et comme je ne voulais pas le perdre des yeux, je me dirige dans sa direction, laissant derrière moi la manifestation gauchiste. Deux policiers m'interpellent, me demandent de partir. Non, je suis journaliste (je brandis ma carte) et je veux savoir ce qui se passe. Nous discutons ferme. L'officier de police a sûrement pris des cours de gestion de « situations » et parvient à parler très longuement sans rien dire, en parlant de rhétorique, de liberté d'expression et de l'information, et de mon devoir de libérer le trottoir où d'autres circulent sans être inquiétés, et de m'en aller prendre le métro. Il va falloir que je choisisse entre ma qualité de journaliste derrière laquelle je me cache (« Mais non, Monsieur, je vous montre ma figure et ma carte de presse donne mon nom ! »), et partir, et ma qualité de citoyenne – si je choisis de rester – auquel cas je devrai monter dans le panier à salade à mon tour. Faut croire que ce que je pense est écrit sur ma figure. Et d'ailleurs, pour quel journal travaillé-je, me demande le policier. « Parce que cela change quelque chose pour vous de le savoir ? » Bien sûr que non, réplique-t-il rapidement.
A force de discuter, voici que j'apprends qu'en fait, les policiers pensent ne pas pouvoir assurer la sécurité si je m'approche de la manifestation de gauche (dont j'étais en train précisément de m'éloigner). « Ah, ils sont dangereux ? » Pas de réponse. « Vous êtes en train de dire que c'est dangereux pour moi d'aller dans cette direction ? » — « Je parle de sécurité, pas de dangerosité, Madame. » Je trouve une formule polie pour dire « Hein ? Pas compris… » je ne suis pas là pour assurer votre protection. » Je marmonne : « C'est curieux d'avoir donné l'autorisation à ceux qui sont violents. » Mutisme des policiers. Comme je ne déguerpis pas, le policier numéro un me propose de m'escorter jusqu'à la manifestation des gauchistes. « Venez, on y va. » Son coéquipier a pitié de moi. Et lâche : « N'y allez pas, Madame, vous prendriez des coups. » Et je le remercie. De m'avoir confirmé qu'ils sont dangereux et violents, ces manifestants « autorisés » – pendant que prient le Dr Dor, et quelques fidèles peu habitués des coups de poing. […]
Vers 12 h 10, après la dispersion de la manif gauchiste, les cars s'éloignent – je saurai plus tard que tout le groupe sera déposé au métro Belleville, qu'ils ont pu prier tranquillement dans le bus, y compris « pour la CGT ! », que les policiers ont été fort aimables. Le mois prochain, le 17 décembre, SOS Tout-petits recommencera à prier aux abords de Tenon. Parce que le massacre ne s'arrête pas."