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France : Laïcité à la française / L'Eglise : L'Eglise en France

Les messes célébrées pour le salut de l’âme de personnalités défuntes ne sont pas des manifestations militantes mais une question de liberté de religion

Les messes célébrées pour le salut de l’âme de personnalités défuntes ne sont pas des manifestations militantes mais une question de liberté de religion

Dans une tribune publiée par le JDD, Nicolas Bauer, docteur en droit public et chercheur associé au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), défend la liberté de l’Eglise et notamment les célébrations de messes pour les défunts, que ce soient Pétain ou Franco :

Le maire de Verdun, Samuel Hazard, a souhaité faire interdire une messe célébrée pour « le repos de l’âme du maréchal Pétain et des victimes de toutes les guerres ». Le 14 novembre, le tribunal administratif de Nancy a suspendu l’arrêté d’interdiction et cette messe a pu finalement être célébrée le lendemain. Le 18 novembre, c’était au tour du sénateur communiste Ian Brossat de protester contre une autre messe, qui devait être célébrée à Paris pour les généraux Primo de Rivera et Franco. Face à la polémique, le prêtre a décidé d’annuler.

Les mouvements ayant demandé la célébration de ces messes approuvent visiblement l’action de ces trois dirigeants militaires et politiques. Pour autant, ce ne sont pas des Te Deum qu’ils ont demandés à l’Église. Un tel rite aurait alors visé à remercier Dieu pour l’œuvre de l’État français (1940-44) et de l’Estado Español (1939-77). La liturgie que des prêtres ont accepté de célébrer visait un autre objectif.

Ces messes sont dites de requiem, c’est-à-dire qu’elles sont offertes pour le salut des âmes de défunts. Elles consistent à faire réparation pour les péchés d’un défunt catholique, en partant justement du principe que sa vie n’a pas été sans défaut. Ces prêtres n’ont donc pas souhaité « canoniser » Pétain, Primo de Rivera et Franco, mais répondre à la demande de fidèles souhaitant prier pour eux.

En marge de la messe pour Pétain, le chant « Maréchal, nous voilà ! » entonné par un militant témoigne du fait que cette démarche n’est pas dénuée d’intentions politiques. Toutefois, l’interdiction de la messe elle-même ne peut pas être justifiée par la teneur de propos ou chants sur le parvis de l’église. Ceux-ci relèvent du régime juridique de la liberté d’expression, qui fait l’objet de diverses limites légales. La messe elle-même relève en revanche de la liberté de culte, dont le régime est distinct.

C’est ce que le tribunal administratif de Nancy a rappelé dans sa décision : la liberté de culte « ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix » mais elle « comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement […] à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte ». Autrement dit, le droit ne réduit pas le culte à une simple expression religieuse, mais reconnaît sa spécificité.

Certes, les libertés d’expression, de réunion et de culte sont toutes soumises aux exigences d’ordre public. Si le tribunal a suspendu l’interdiction de la « messe pour Pétain », c’est parce qu’il a considéré que la mairie n’avait pas démontré l’existence d’un risque sérieux de troubles qu’il serait impossible de prévenir par de simples mesures de sécurité. Mais le fait que les régimes juridiques soient distincts revêt toute son importance, car les libertés d’expression et de réunion connaissent des restrictions légales supplémentaires, alors que la liberté de culte bénéficie d’une protection particulièrement forte.

Le droit français est sur ce sujet cohérent avec le droit international, qui protège la liberté de culte au sein de la liberté de religion. Celle-ci fait partie des rares droits de l’homme dits indérogeables, même en cas d’état d’urgence. Dans la Convention européenne des droits de l’homme, les motifs que les États peuvent invoquer pour limiter la liberté de religion sont moins nombreux que ceux énumérés concernant les autres libertés.

Considérer les messes célébrées pour le salut de l’âme de personnalités défuntes comme des manifestations militantes ne reflète pas l’état du droit en vigueur. Il s’agit d’une question de liberté de religion, celle de l’Église de prier pour ses défunts. C’est d’abord de la responsabilité de l’Église de ne pas se laisser instrumentaliser par des mouvements politiques. Comme l’exprimaient les cardinaux français à la mort du maréchal Pétain dans le journal La Croix,

« des messes seront demandées pour le repos de son âme. Nous ne pouvons que louer cette initiative, qui est bien dans la tradition chrétienne et française. Mais nous désirons que ces messes, loin de donner lieu à des manifestations politiques, gardent partout la dignité qui convient à des cérémonies religieuses et le recueillement qu’exige la prière pour les défunts ».

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