Dans La Tribune de l’art, Bénédicte Bonnet Saint-Georges se désole que les musées se plient à la mode d’Halloween pour attirer les visiteurs alors qu’ils sont remplis d’oeuvres représentant des saints, ce qui devrait les inciter à ‘profiter’ de la fête de la Toussaint :
[…] Certes, Halloween n’est qu’un prétexte qu’utilisent les institutions pour faire venir le public et proposer des visites prétendues pédagogiques, mais surtout « ludiques » de leurs collections. Faut-il vraiment trouver des subterfuges pour donner envie de regarder des œuvres d’art ? Sont-elles si peu dignes d’intérêt qu’il faille raconter des histoires de fantômes et de morts-vivants pour qu’on désire les contempler ? Et s’il est nécessaire de captiver, voire de capturer un public qui ne viendrait pas sans ces artifices, pourquoi choisir un thème certes à la mode, mais qui n’a rien à voir avec les collections d’un musée ? La Toussaint et la Fête des morts sont peut-être moins populaires qu’Halloween, elles sont pourtant plus adaptées à la mise en valeur de nombreuses collections muséales. Par ailleurs – c’est un détail qui peut avoir son importance pour des lieux culturels – elles permettent de raconter l’histoire de la France et de ses voisins. […]
Les saints sont pléthore dans l’art, et beaucoup de musées pourraient proposer à leurs visiteurs de décrypter leurs représentations qui n’ont, quoi qu’on en pense, rien de rébarbatif. Car c’est la grande crainte des musées : ennuyer le public en exposant des œuvres trop exigeantes. Ils se donnent beaucoup de mal pour transformer la culture en divertissement, et pour faire oublier aux visiteurs où ils se trouvent (voir l’article sur comment s’échapper d’un musée).
Mais qu’on se rassure, la vie des saints est rocambolesque, et leur mort se finit souvent en apothéose. Et si l’on veut absolument du « gore » – les anglicismes sont de rigueur dans une société américanisée – les martyrs peuvent en fournir par leurs morts sanguinolentes à souhait. Ainsi les saintes Agathe et Lucie eurent l’une les seins coupés [illustration de Sebastiano del Piombo], l’autre les yeux arrachés ; on arracha la langue de saint Liévin pour la donner aux chiens, on déroula les intestins de saint Érasme, saint Laurent finit sur un gril, façon barbecue, saint Jean-Baptiste eut la tête coupée, saint Barthélemy fut écorché vif, et pas seulement.
Quant aux autres morts, tous ceux qui ne furent pas saints et que l’on fête le 2 novembre, ils sont présents dans d’innombrables œuvres d’art, aussi bien les transis que les portraits posthumes. Le thème de la mort peut ainsi se décliner de multiples manières : la danse macabre, le Dit des trois morts, le memento mori ou bien encore les vanités… Malheureusement ces deux fêtes ne sont pas assez américaines donc pas assez attrayantes. Pas assez laïques non plus. Et sans doute a-t-on peur, en les célébrant dans des lieux culturels, de se faire accuser de prosélytisme. Néanmoins qu’on le veuille ou non, les musées regorgent d’œuvres religieuses. Les expliquer ne relève pas du catéchisme, mais de l’histoire de l’art. […]