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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Les quatre récits de la Passion

Les quatre récits de la Passion

Lu sur Claves :

La réforme liturgique de 1969 a choisi de ne conserver la lecture de la Passion du Seigneur que pour le dimanche des Rameaux (en alternant entre les trois évangiles synoptiques – Matthieu, Marc et Luc – chaque année) et pour le Vendredi saint (Passion selon saint Jean).

La liturgie traditionnelle nous fait au contraire entendre chaque année les récits des quatre évangélistes : saint Matthieu le dimanche des Rameaux, saint Marc le mardi, saint Luc le mercredi et saint Jean le vendredi saint. Cette disposition qui remonte aux premiers siècles de l’Église, ainsi que la grande densité de ces passages, doit attirer notre attention sur la complémentarité des quatre Passions.

Les exégètes modernes considèrent ordinairement que le récit primitif est celui de saint Marc, qui servit de matériau au moins partiel à saint Matthieu et saint Luc. Nous aborderons cependant ici les quatre Passions dans leur ordre traditionnel, celui qu’a retenu la liturgie.

Saint Matthieu : éclairage biblique pour entrer dans la foi

La Passion selon le premier évangile est sombre, marquée par la solitude du Christ face à sa dernière heure. Il reprend en cela la tonalité principale du récit marcien. Mais saint Matthieu ajoute sa touche propre, qui éclaire la noirceur du moment. Notre apôtre est en effet un théologien, attentif à recueillir dans les Écritures les échos susceptibles d’enrichir notre compréhension du message de Jésus. Au long de la Passion il multiplie les références explicites ou implicites à l’Ancien Testament, donnant à la figure de Jésus souffrant une grande profondeur messianique. Il insiste sur l’accomplissement des Écritures, et donne ainsi les clés du mystère d’iniquité dont le Sauveur est victime. En soulignant l’évolution des rapports du Christ avec Israël, il prépare l’extension de l’annonce évangélique aux païens. Le but de saint Matthieu est ainsi de former chez son lecteur une intelligence chrétienne du mystère, qui le fasse entrer plus avant dans la foi de l’Église.

Saint Marc : Jésus abandonné pour nous redonner espoir

La noirceur est accentuée dans le récit marcien, dont le ton très oral, abrupt, laisse place à la violence des faits. L’auteur n’hésite pas à accentuer les paradoxes de la Passion : à la souveraine dignité du Christ il oppose les injures et outrages dont il est victime, l’abandon honteux des disciples. Le Père même semble cause de cette déréliction de Jésus, dont la dernière parole est le terrible « mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » ?

La Passion est-elle pour saint Marc une défaite, une chute sans échappatoire ? Non, car le renversement qui intervient au dernier moment donne, comme par un éclairage rétrospectif, tout le sens du drame : le rideau du Temple se déchire, le centurion confesse la divinité de Jésus ; l’épreuve, à son paroxysme révèle le Fils de Dieu acceptant jusqu’au bout la volonté du Père.

Par son récit brutal mais pas dénué d’espérance, saint Marc nous exhorte, avec les disciples du Christ de tous les temps, à la confiance, à la persévérance dans l’épreuve, au courage et à l’humilité face à nos propres lâchetés et abandons.

Saint Luc : marcher à la suite de l’innocent

Le récit de saint Luc, bien que peut-être établi à partir d’un matériau commun, se distingue des deux précédents par plusieurs détails narratifs, et surtout par sa tonalité plus apaisée. Les aspérités du récit sont nuancées et adoucies : le sommeil des apôtres au Jardin est presque excusé, Jésus y est réconforté par un ange. L’innocence de Jésusest reconnue par Hérode et Pilate, les Juifs eux-mêmes ne semblent pas unanimes dans l’hostilité à son égard. Le prophétisme de la figure du Christ est présent à travers des références implicites aux Écritures et aux figures de l’Ancien Testament (notamment le prophète Elie, un type christique auquel l’auteur aime faire référence).

La Passion de saint Luc est éclairée rétrospectivement par un autre épisode de son œuvre : le martyre d’Etienne, en lequel on retrouve des marqueurs forts du récit. Outre l’innocence de la victime, c’est sa capacité à pardonner qui est mise en valeur. Parmi les trois paroles du Christ en croix rapportées dans le troisième évangile, deux sont des mots de pardon : « Père, pardonne-leur » (répété par Etienne en Ac 7, 60), « aujourd’hui tu seras avec moi en paradis », tandis que la troisième exprime la confiance absolue dans le Père : « en tes mains je remets mon esprit » (que l’on retrouve encore dans la bouche d’Etienne en Ac 7, 59). Saint Luc fait donc contempler la figure du Christ aimant et souffrant mais qui demeure maître de son sort, et entend susciter l’engagement du disciple à sa suite dans la voie du don de soi et de la charité inconditionnelle.

Saint Jean : le triomphe du messie

Largement indépendant des précédents, le récit de saint Jean a une tonalité bien différente. Sa Passion clôt une longue séquence de discours antagonistes opposant Jésus aux Juifs : après les paroles, ce sont les actes qui tranchent le débat. Les souffrances et la mort du Christ sont présentées en un processus qu’il maîtrise parfaitement. Jésus demande à Judas de faire vite. Au Jardin il reste debout face à son sort, quand Matthieu et Marc le présentaient prostré sur le sol, Luc à genoux. Le procès intenté devant Pilate est renversé : ce n’est plus Jésus qui est jugé mais Pilate, et le chef d’inculpation n’est pas du registre pénal – il s’agit de savoir ce qu’est la vérité, et si le préfet aura le courage de s’y conformer. La conclusion enfin est sans appel : Jésus est élevé de terre, comme il l’avait prédit, sa croix n’est pas un instrument de torture mais un trône, au-dessus duquel sa royauté est proclamée dans toutes les langues de l’Empire, depuis lequel il attire à lui ses disciples (Nicodème et Joseph d’Arimathie se font enfin reconnaître comme tels, malgré la crainte des Juifs).

Si nous mettons ici en valeur les différences entre ces quatre récits que la liturgie nous fait entendre en cette sainte semaine, ce n’est pas pour les opposer mais pour inviter à saisir leur complémentarité, sur laquelle les évangélistes eux-mêmes, inspirés par le Saint-Esprit, ont certainement voulu jouer. La figure de Jésus est d’une richesse que nous n’aurons jamais fini de scruter ; les éclairages apportés par les quatre Passions, chacune sous son angle propre, nous le font connaître et aimer comme messie abandonné, souffrant mais innocent, en paix malgré l’ampleur du drame, et paradoxalement triomphant du mal, dont il est établi sur la croix juge et vainqueur, préfigurant son retour à la fin des temps.

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