Guillaume Bernard éclaire sur Infocatho les enjeux de l’élection de dimanche, revenant sur les notions de « moindre mal », de « meilleur possible », et évoquant la place des principes non négociables définis par Benoit XVI dans la recherche du Bien commun :
"Puisqu’aucun programme politique n’est pleinement satisfaisant pour eux – et, ce, quel que soit le domaine, tant celui de l’économie (principe de subsidiarité) que du « sociétal » (défense de la vie) –, comment les catholiques peuvent-ils faire un choix électoral sain ? Comment faire pour que leur vote ne soit pas seulement celui de catholiques déterminés par leurs caractéristiques économico-sociales (jeunes ou vieux, urbains ou ruraux, actifs ou retraités, etc.) mais soit intrinsèquement catho ?
Il est certain que la première obligation sociale d’un catholique est de remplir son devoir d’état : faire ses études quand il est étudiant, travailler quand il est actif, élever ses enfants quand il est parent, etc. Participer aux consultations électorales n’est qu’un acte subsidiaire. Pour autant, s’en détourner relèverait soit d’un repli puriste (pouvant être de type communautariste voire sectaire), soit d’une négation nominaliste du bien commun (réduction de ce dernier à la somme d’intérêts particuliers). Dans les deux cas, cela reviendrait à se désintéresser d’autrui en l’abandonnant à son (triste) sort sous prétexte que, pour l’heure, il a été possible, pour soi et les siens, d’y échapper.
Il est cependant certain qu’il ne faille pas tout attendre de la politique. Car, d’une part, la vie sociale ne se réduit pas à la politique et, d’autre part, celle-ci ne peut être que l’art du possible dans certaines circonstances. Une politique ne se mène pas dans l’abstrait ; elle est inscrite dans le réel. Or, tout n’est pas possible (ni souhaitable), encore moins immédiatement. C’est donc en terme de finalité que le catholique doit raisonner. Quel est l’objectif à atteindre et quels sont les moyens adaptés pour l’obtenir ? Dès lors, il peut être indispensable de poser des jalons, d’envisager des étapes sans que celles-ci ne se substituent à la finalité projetée. Ainsi, dans l’objectif qu’il n’y ait plus d’avortements, favoriser les adoptions peut-il être l’un des moyens permettant d’en diminuer le nombre.
Cela signifie-t-il une acceptation du concept de « moindre mal » ? Moralement plus que discutable, celui-ci est, sans doute, efficient dans le domaine de la politique, mais à la condition que le choix électoral consiste en l’expression d’une plus ou moins grande proximité et non d’une adhésion pleine et entière. Préférer un moins grand mal à un autre plus important ne doit pas conduire à une subjectivisation de la morale. Lorsqu’un roi bien connu (canonisé par la suite) a encadré la prostitution, il ne l’approuvait pas mais avait jugé souhaitable qu’elle fût canalisée, réservée à certains quartiers plutôt que répandue partout. De même, ce n’est pas adhérer au mal qu’est le viol que de refuser le recours au suicide pour y échapper : le second est considéré par la doctrine catholique comme un mal plus grand que le premier, mais cela ne signifie nullement que le viol soit agréé et ne soit plus considéré comme un mal.
D’où vient, dès lors, le rejet de certains de la casuistique du « meilleur possible » hic et nunc ? Essentiellement de l’augustinisme politique (qu’il est d’ailleurs possible de rencontrer dans toutes les sensibilités catholiques, notamment liturgiques). Celui-ci part de l’idée parfaitement catholique que la grâce (divine) surpasse la nature (humaine). Mais, il procède ensuite à une absorption du temporel par le spirituel sous prétexte que la finalité du second (le salut des âmes) est supérieure à celle du premier (le bien vivre). Cela induit de nombreuses conséquences : par exemple, la vertu de justice (avoir une conduite qui plaît à Dieu) rendrait inutile la réalisation de la justice rétributive (commutant ou distribuant les droits). La loi morale (qui dicte les conduites) remplace alors le droit naturel (qui répartit les choses extérieures entre les personnes) alors que, distincts, ils convergent naturellement. Or, la hiérarchie des domaines (supériorité du religieux sur le politique) n’implique pas la dé-légitimation du second. De même, chercher la justice particulière (répartir l’avoir) ne détourne pas de la justice générale (être juste). Mais, l’augustinisme politique en vient, quant à lui, à nier l’irréductibilité du politique (pourtant inscrite dans l’ordre cosmologique des choses) et, par voie de conséquences, de la nécessité d’attribuer à chacun selon son mérite : reconnaître à César ce qui lui revient serait superflu puisqu’il faut rendre, prioritairement, à Dieu ce qui lui est dû.
Il est vrai que, sur certains sujets, la position politique d’un catholique n’est pas libre mais déterminée par la doctrine : la défense de la vie innocente, la famille fondée sur le mariage « hétérosexuel », la liberté de choix de l’éducation des enfants par leurs parents. Mais, nombre d’autres sujets sont laissés à la prudente appréciation des fidèles : un catholique peut être ou non favorable à la peine de mort. Il ne peut donc exister de programme politique catholique en tant que tel exclusif des autres. Les principes « non-négociables » ne sont pas une grille complète d’analyse de la politique ; ils sont nécessaires mais ne sont pas suffisants à l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique globale. Le bien commun ne se réduit pas aux questions de mœurs et de bioéthique.
Il doit être appréhendé dans son ensemble. Le bien commun, c’est à la fois le bien du tout (par exemple la famille) et le bien des parties le composant (les personnes membres de cette dernière). Le bien commun de l’entreprise est dénaturé si le bien des salariés est sacrifié au seul intérêt des apporteurs de capital. De même, le bien des citoyens est indissociable de celui de la nation : laisser se déliter l’identité du tout, c’est atteindre l’intégrité des parties. La politique étant faite d’une imbrication et d’une interaction de questions, l’identification du bien commun suppose leur hiérarchisation pour fixer un choix politique. Quel enjeu l’électeur privilégie-t-il : l’aisance matérielle ou le patrimoine culturel, le dynamisme économique ou la perpétuation du corps social, etc. ?
Voter n’est pas un geste religieux mais un acte politique : ce n’est pas parce que le mariage est, pour les catholiques, un sacrement qu’ils sont opposés au « mariage homosexuel », mais parce qu’un homme ne peut pas jouer le rôle d’une mère ou une femme celui d’un père. Ainsi, les raisons (et non le rationalisme) doivent-elles dominer les passions pour que le bien commun puisse l’emporter sur les intérêts individuels dans la détermination de son vote."