Guilhem Golfin analyse les évènements en cours, pour les lecteurs du Salon beige :
Les déclarations du président Macron le 12 juillet dernier ont assurément marqué un cap dans son mandat, en consacrant définitivement l’autoritarisme méprisant de l’actuel pouvoir politique en France. En contraignant de fait les Français dans leur ensemble, enfants compris, à la “vaccination“, au moyen d’un chantage éhonté à l’exclusion sociale et professionnelle, en rompant avec le mythe sacro-saint de l’unité républicaine par la création revendiquée de toute une catégorie de parias au moyen du « passe sanitaire », M. Macron a pour beaucoup achevé de révéler son véritable visage. Ce qui n’avait jusqu’alors fusé que de manière sporadique leur est alors apparu clair : la République que nous connaissions a vécu, la crise sanitaire a conduit à la mise en place d’une forme de tyrannie.
Mais comme on pouvait s’y attendre, dans le climat public que nous connaissons depuis des mois, ce jugement s’est aussitôt heurté à une salve de critiques de la part des thuriféraires du pouvoir. Au-delà de ce premier cercle, même des opposants affichés au gouvernement et au président se sont insurgés en affirmant qu’une telle accusation manquait de rationalité et n’était que l’expression d’une opposition idéologique laissant libre cours aux passions, et se saisissant d’une décision contestable pour s’exprimer sans complexe ni nuance.
Le thème de la possible dérive tyrannique du pouvoir est pourtant un grand classique de la réflexion politique et il ne devrait pas être interdit de soulever la question. Que nos dirigeants s’insurgent devant cette audace, en se drapant dans leur illusoire vertu, rien de plus normal. Mais les signes d’un dévoiement dans l’exercice du pouvoir s’étaient déjà suffisamment multipliés depuis quatre ans pour qu’une personne sensée puisse et doive s’interroger. Que dire alors de l’interminable séquence de la gestion de la crise épidémique ? Les atermoiements, les palinodies et autres mensonges qui ont ponctué cette gestion, les restrictions drastiques des libertés publiques qu’elle a entraînées et l’usage délibéré de la peur pour soumettre la population sont venus confirmer le cynisme et le mépris du président et de son gouvernement, appuyés sur la servilité sans limite de la majorité des médias et une hystérisation du débat public sans précédent, dans le but de diviser toujours plus les Français. Le dénigrement systématique et la quasi-psychiatrisation de tous les scientifiques qui ont eu le courage de s’élever à un moment ou à un autre contre la doxa gouvernementale ne sont pas sans rappeler les procédés utilisés au temps de la révolution culturelle. Enfin, le piétinement de toutes les institutions censées être les gardiens du droit et de la constitution et réduites à de purs ectoplasmes juridiques montre que ce qu’on nomme l’Etat de droit est bafoué par le pouvoir. Autant de traits significatifs qui ne peuvent qu’alerter. Seul le fait que cette gestion est assez largement partagée dans le monde pourrait sembler nuancer quelque peu le cynisme de ce pouvoir et lui permettre encore d’essayer de faire illusion. Mais cela fait en même temps percevoir de la manière la plus nette que la mondialisation n’est décidément pas un processus anonyme et qui obéirait à on ne sait quelles lois immanentes de l’histoire. Ce qu’on nomme la gouvernance mondiale a une réalité, dont les rapports avec les Etats sont pour le moins ambigus, et elle sert les intérêts concrets des puissants de notre temps. Or, le premier ressort de la tyrannie a toujours été le fait que le tyran cherche son bien propre et celui des siens, et non le bien du peuple et de la société dans son ensemble.
Il apparaît donc parfaitement raisonnable et légitime de poser la question la véritable nature du pouvoir incarné par M. Macron, et c’est en vérité plutôt les raisons qui font que l’on refuse de la poser qui interrogent. Pourquoi le pouvoir en place en France ne pourrait-il pas être tyrannique ?
Parmi ces raisons, il faut sans doute compter la segmentation récurrente de l’analyse politique et l’incapacité à saisir la logique d’ensemble de l’exercice actuel du pouvoir que cette segmentation induit. D’aucuns critiquent les lois sur le mariage et la filiation et les lois dites « bioéthiques », d’autres les lois sécuritaires, d’autres celles sur les retraites, ou sur l’école, d’autre encore le laxisme en matière d’immigration, d’autres enfin la politique sanitaire, et il y a pour tous ces domaines des associations ou des syndicats spécialisés qui revendiquent la compétence exclusive de l’analyse critique. De telle sorte qu’ayant ainsi segmenté l’analyse, on se condamne à ne dénoncer que « des lois injustes » et non l’action menée comme telle. Ce faisant, on s’interdit de penser la véritable finalité qui anime l’action en question, et on ne voit pas qu’en fait on passe à côté d’une véritable analyse politique, avec la dimension architectonique que cela suppose. C’est là un défaut qui dans le contexte actuel devient critique.
Au-delà, il semble qu’il y ait encore chez la plupart de nos contemporains une incapacité à concevoir que nos dirigeants puissent faire preuve d’une réelle malignité. Les procès en incompétence ont fleuri depuis janvier 2020, encore plus qu’avant, mais on a rarement entendu dire que, peut-être, l’actuel pouvoir ne veut pas le bien de notre pays. Tout au plus, on invoque le classique ressort du cynisme électoral : le chaos semé dans le pays aurait pour fin de rafler la mise lors de l’élection, après avoir divisé les adversaires. Sans être faux, un tel jugement n’est pas à la hauteur des événements auxquels nous assistons, et il a le défaut de s’enfermer dans la stricte logique du régime en empêchant de se demander si, par hasard, notre pays n’aurait pas certains ennemis qui, peut-être, pourraient bénéficier de l’affaiblissement de fait qu’il connaît par suite de la politique menée. Sans reprendre à son compte la thèse discutable de Schmitt sur la nature du politique, on peut tout de même constater que la culture du « refus de l’ennemi » conduit à une naïveté bien peu politique. Or, l’ennemi n’est pas toujours un ennemi extérieur, et le tyran est l’ennemi de son peuple.
On touche à vrai dire avec cela au fond de la question, qui tient à la nature du régime républicain et à son emprise idéologique sur les esprits.
En se réclamant de la déclaration des droits de 1789, la République s’est posée par principe comme norme des régimes politiques, et elle a si bien réussi à le faire accroire qu’elle a rendu au moins difficilement concevable une dérive tyrannique surgie en son sein. En somme, la tyrannie, c’est pour les autres, c’est dans un ailleurs temporel ou géographique. Et sauf à ce que ces principes soient officiellement répudiés et les institutions changées, on a l’impression qu’une large part de nos contemporains ne parviendra jamais à admettre qu’un pouvoir “républicain“ puisse être fondamentalement mauvais. C’est la rançon d’une pensée qui dépersonnalise à outrance la question du pouvoir politique, et oublie que les institutions et les lois ne sont rien sans les hommes qui les font vivre – ou les corrompent.
Mais il faut aller un pas plus loin encore. Si les régimes politiques modernes se présentent comme la norme politique idéale, ils n’en sont pas pour autant une réalité morale à proprement parler. Du fait que dans la théorie, il repose sur l’individu humain conçu comme naturellement asocial, et comme n’acceptant les contraintes de la vie sociale que parce qu’elles lui sont avantageuses, et non parce qu’elles sont en soi justes, l’Etat moderne revêt une dimension utilitaire et ses lois sont un perpétuel compromis entre intérêts contraires, non l’expression de la justice. Car la justice est le fait de rendre à chacun ce qui lui revient, et suppose en cela une forme de communauté naturelle. On est au contraire ici dans une pensée de la pure efficacité. Or, dans cette mesure, il devient très difficile de penser la tyrannie, dont la notion même suppose la distinction du juste et de l’injuste. C’est pourquoi du reste la notion de tyrannie, comme celle de justice, ont connu une relative éclipse dans la pensée politique moderne, qui peut seulement penser le totalitarisme, lequel revient en substance à renverser les rapports et à faire de l’individu un simple rouage de l’Etat, un moyen pour celui-ci d’asseoir son pouvoir.
Ainsi, la difficulté à désigner le tyran tient sans doute d’abord à la difficulté de penser la tyrannie. Retrouver le sens de la tyrannie, condition pour la perception aiguisée de celle-ci en situation, suppose donc de reconsidérer de manière approfondie la question politique. C’est peut-être après tout à cela que nous convie la crise actuelle, au-delà de son enjeu immédiat.
Une chose demeure certaine : la vocation d’un tyran est d’être renversé.
Guilhem Golfin