D’un lecteur :
Les réseaux sociaux sont entrés pour beaucoup d’entre nous dans nos vies quotidiennes. Cependant, avons-nous tous bien conscience des ressorts idéologiques et des tournures d’esprit que ces mêmes réseaux nous font prendre ? Avons-nous tous bien conscience que leurs formes peuvent modifier notre manière de communiquer et de réfléchir ?
C’est ce qui va être développé ici afin de mettre en lumière certains aspects des réseaux sociaux et plus particulièrement des messageries instantanées. Le but n’est pas de vous dire d’arrêter d’utiliser toute forme de communication correspondant à ce qui est dénoncé, mais d’éclairer sur l’usage qui en est fait et ainsi vous donner des moyens de les utiliser de manière plus juste et mesurée.
En lisant cet article, vous devriez comprendre comment la plupart des personnes préfèrent regarder des vidéos Youtube ou Tiktok, des images sur Instagram, et discuter via Facebook, plutôt que de lire des articles construits qui déroulent un raisonnement complet. Pourquoi n’est-il plus dans nos habitudes de prendre le temps de lire les réflexions pour comprendre les enjeux du monde, alors même que l’urgence est de défendre nos idées ? Combien iront jusqu’au bout de cet article…
Les flux de conscience
Nous savons que les réseaux sociaux cherchent à capter au maximum notre attention¹. Dans cette optique, analysons le fonctionnement des messageries instantanées qui nous poussent tous les jours à réagir aux notifications qu’elles provoquent. Comment en est-on arrivé à mesurer sur la base de la vitesse de réaction le lien qui nous unit à nos amis ? Parfois même aux dépens de l’affection qu’il montre en réel…
La forme que prennent les conversations instantanées donne naissance à ce qu’on appelle le flux de conscience.
Qu’est-ce qu’un flux de conscience ?
C’est une conversation qui a la forme d’un rouleau sans fin que l’on déroule au fur et à mesure que l’on pense sans trop savoir où l’on va. Il n’y a plus de barrière au partage, plus d’anticipation. Le message est envoyé avant même que son expéditeur ait pu réfléchir à ce qu’il écrit. « Je passe justement dans ta rue, ça te dit de boire un verre ? » « Oups, oublie, j’avais oublié que j’avais un rendez-vous » « Ce sera pour une autre fois, ce serait chouette de se voir » « Au fait, j’espère que tu vas bien ».
Ce qui se cache derrière chacun de ces messages, c’est la triste attente d’une validation externe. Validations qui peuvent prendre la forme d’un message de réponse (c’est la forme la plus légitime, mais parfois non nécessaire), d’une réaction (un simple émoticône), ou de moyens spécialement mis en place. Nous pouvons penser aux flammes de snapchat qui vous impose d’envoyer au moins un message par jour à vos contacts. Ou encore, la pastille qui indique que le message a été lu, qui de fait vous impose de répondre rapidement, car ne pas répondre est souvent perçu comme grossier. Certains vont jusqu’à consulter les messages depuis la zone de notification, pour éviter de les marquer « comme lu ». Une manière de gagner un peu de temps avant d’être forcé de répondre.
La différence entre ces conversations numériques par rapport aux conversations réelles est qu’il n’est pas possible de les clôturer. Dans toutes les cultures, la fin d’une conversation, orale ou écrite, est marquée par un protocole social de clôture : « Salutations distinguées ! », « Je dois vraiment y aller, a+ », « Ce fut un plaisir ». L’utilité de ces formules est fondamentale pour permettre à chaque participant de passer à autre chose, de changer de contexte. C’est également le dernier moment pour échanger de l’information critique.
Malheureusement, ces clôtures sont généralement inexistantes dans les groupes de discussion. Les discussions instantanées sont omniprésentes. Les notifications vous sautent aux yeux alors que vous saisissez votre téléphone pour regarder autre chose. Même en silencieux, la plupart des téléphones s’allument et illuminent la pièce lors de la réception d’un message. Une fois que le cerveau a vu qu’il y avait un message, impossible d’y échapper, de ne pas être distrait au moins quelques secondes.
Nous perdons la conscience et la mémoire. Nous les avons délocalisées toutes les deux vers les serveurs de grandes sociétés informatiques qui ont pour but de capter notre attention !
Autour de nous, nous observons des gens courbés sur leur téléphone dans la rue, dans les maisons, dans les familles. Leurs doigts tapotent des messages alors qu’ils marchent sur le trottoir, qu’ils mangent, qu’ils tiennent leurs enfants par la main. Parfois, ils tiennent le téléphone horizontal face à leur bouche pour enregistrer un message audio qui ne sera pas toujours écouté. Au lieu de regarder le coucher de soleil, ils le prennent en photo et l’envoient aussitôt pour le commenter avec d’autres, ou partagent le selfie d’un moment en famille. Comme si un moment non partagé en ligne n’existait plus. Comme si le souvenir biologique seul ne suffisait plus.
Toute notre vie est d’un côté partagée involontairement vers les GAFAM qui analysent toutes nos interactions pour nous mesurer avec perfection². De l’autre, lancés dans le flux de la conversation, nous partageons volontairement des informations, parfois aux dépens même de notre intimité. Nous partageons tout en oubliant de nous respecter nous-même.
Toutes ces conversations et partages incessant ne forgent pas l’intelligence et la volonté. Or l’homme sans intelligence ni volonté retourne à l’état d’animal. Dans l’histoire humaine, les intellectuels baignaient dans ce silence mental permanent. Les sollicitations étaient l’exception. Une fois chez eux, ils n’avaient d’autres ressources que de réfléchir et consulter leur bibliothèque.
Si le choix était individuel, cela ne prêterait pas tellement à conséquence. Mais le choix est global, sociétal.
La solution pour ne pas être piégé dans ces messageries, hormis de ne pas avoir de messagerie, est de mettre son téléphone en mode avion pour s’offrir quelques heures de répit. C’est également d’utiliser ces messageries avec juste mesure : discerner ce dont le correspondant a réellement besoin de savoir. C’est aussi de paramétrer les applications pour enlever les pièges qui vous poussent au partage sans fin (désactiver les pastilles qui marquent « comme lus » les messages, les indicateurs de saisies).
Car, si nous perdons notre conscience, notre mémoire et que nous brisons les espaces de réflexion, d’où viendront les prochaines grandes idées, celles qui nous porteront tous ? Comment resterons-nous libres face aux défis de demain ?
L’abrutissement des comportements
Les messageries instantanées nous poussent à nous livrer de manière continue au travers des flux de conscience. Le problème qui en résulte est que ces conversations écrites ne sont plus structurées. Les conversations sont sans queue ni tête, et nous y déversons ce flux de conscience que nous avons. Quel est le problème à cela ?
L’un des points de départ est qu’il n’y a plus de début ni de fin dans ces conversations. De ce fait, nous perdons cette capacité à distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Dans une conversation normale, le dernier moment pour échanger de l’information critique est au seuil de la porte, après c’est trop tard, nous passons à autre chose. Dans le cadre des messageries instantanées, tout devient important, tout devient urgent, et tout finit par être fait sous le coup de l’impulsion.
C’est dans cette logique que nos conversations se font par séries de messages. En effet, ce qui est urgent n’est plus seulement l’information à transmettre que ce besoin d’évacuer une émotion sur le moment. On se met donc à écrire frénétiquement sur le clavier qui s’affiche, puis avant même d’avoir vérifié qu’on répondait à la question, le message est envoyé, puis reçu, puis lu…
Finalement c’est notre manière d’écrire qui est affectée. Rapidement nous n’utilisons plus les mots pour ce qu’ils sont, pour le sens qui leur sont propres et justes, mais dans la précipitation de l’émotion au moment de la rédaction. Nous avons perdu le goût du mot juste au profit d’un mélange gluant entre l’émotion et les lettres. Tout ça pour appuyer sur le bouton envoyer avant même de nous être relus, laissant au passage une faute tous les trois mots dans le meilleur des cas.
Ce ne sont plus uniquement des idées que nous déversons dans ces messageries, ce sont des flux d’émotions.
Et comme cela devenait compliqué de mettre des mots sur les émotions, nous avons inventé les « émoticônes » (émotion-icône). De cette manière, il n’y a même plus à chercher les mots pour exprimer l’émotion, juste l’icône qui correspond le plus au ressenti. Et plutôt que de l’envoyer sous forme d’un message, nous l’envoyons sous forme d’une « réaction » en oubliant même parfois de répondre à la question qui était posée.
Plus que de simples conversations numériques, ces flux de consciences se transforment en un tas d’émotion sous couvert de « pensées » qui n’ont, à bien y regarder, plus grand-chose de consistant.
À force, nous perdons notre capacité à respecter notre intimité. Nous nous dévoilons trop facilement dans ce déversement sans fin. Il est tellement plus facile de dévoiler ces sentiments à travers des réactions aux messages plutôt que d’une belle lettre bien construite, mûrie, réfléchie !
Nous préférons la réaction bête et facile, il est trop compliqué de coucher un raisonnement constructif sur papier. Nous préférons cliquer sur les boutons qui s’affichent plutôt que de réfléchir au but que nous voulons atteindre. Microsoft a déployé beaucoup d’effort pour rendre Windows inutilisable sans la souris, plutôt que de laisser les raccourcis clavier qui existaient. Il est en effet plus excitant pour le cerveau de bouger la souris jusqu’à la cible visée. Et que dire des réseaux sociaux qui nous servent sur un plateau le contenu qu’ils veulent que nous voyions, plutôt que de nous laisser chercher ce dont on a réellement besoin. Ce n’est plus « cherchez et vous trouverez », mais « trouvez et vous ne chercherez pas ».
Nous allons complètement à l’encontre de la vertu de tempérance, censé nous amener à une régulation volontaire de nos pulsions de vie. Nous suivons impulsivement ce que les outils numériques nous disent de faire.
Nous allons également à l’encontre de la vertu de prudence qui devrait nous pousser à choisir les mots justes et à discerner les idées qu’il est réellement nécessaire ou pas de transmettre. Mais nous utilisons nos téléphones comme s’ils faisaient partie de nous-même.
D’un côté nous perdons notre intimité et notre volonté, de l’autre notre intelligence. Nous perdons le goût de la réflexion, de la recherche du beau, du bien et du juste.
« nous avons créé des outils qui détruisent le tissu social […] Nous menons nos vies autour de cette prétendue perfection, qui nous récompense avec des signaux à court terme : des cœurs, des likes, des pouces levés […] Des boucles fonctionnant sur la dopamine […] Sans vous en rendre compte, vous êtes programmés ».
Chamath Palihapitiya, ancien cadre chez Facebook
Sources
1. https://lesalonbeige.fr/addiction-aux-ecrans/
2. https://lesalonbeige.fr/vous-navez-rien-a-cacher/
3. https://vienumeriqueprivee.fr/suivre-lactualite-sans-compromettre-sa-vie-privee-grace-aux-flux-rss/
Autres ressources utilisées :
https://ploum.net/chapitre-4-les-messageries-instantanees/
https://ploum.net/email-mon-amour/
« Marxisme et révolution », 1981, Jean Ousset
Obtenir cet article au format pdf : https://link.ethibox.fr/9
Breizhux
Dans le cadre de réflexion sur la “cyber-éthique”, un groupe signal a été créé. Il y sera régulièrement publié des analyses. Mais vous pourrez également y poser vos questions pour aborder ou approfondir des sujets. N’hésitez pas à le rejoindre.
Lien du groupe : https://signal.group/#CjQKIPPa7S7JybQm8u2ACrw7MX6LV-UHCLWotkSCJV2inyeKEhBonS9l4nGTVGmvsxQMrkG-
Cro-Magnon
L’auteur (lecteur) déplore le fait que les utilisateurs des réseaux sociaux font une faute d’orthographe tous les trois mots mais il n’est manifestement pas à l’abri de ce handicap et son texte en est plein . Il est vrai que son nom en fin de texte peut l’expliquer… En tout cas en ce qui me concerne je n’ai jamais mis les pieds dans ces réseaux et en plus n’ai qu’un téléphone inintelligent qui ne sait que téléphoner et rien d’autre et bien sûr je n’en veux pas d’autre !
sivolc
Moi aussi (pour le téléphone) .
Giacomo
Faites comme moi: Pas de portable ! Quelle tranquillité !