De Côme de Prévigny sur Renaissance catholique :
"Chaque année, les responsables du Grand Séminaire de Paris ont l’habitude de proposer à leurs pupilles d’étudier un module d’enseignement de leur choix. Peut-être cette pratique tire-t-elle ses racines de méthodes éducatives datées, imprégnées de slogans participatifs et démocratiques. À l’heure où la base tire des conclusions sévères sur l’inanité des expérimentations malavisées des aînés, cette pratique ne peut que faire éclore des thèmes classiques, tranchant avec les inconséquences du passé.
Aussi, en 2018, les quatre-vingt séminaristes que compte l’archidiocèse décidèrent-ils, à une majorité absolue des votes, d’étudier la liturgie traditionnelle et le Motu Proprio Summorum Pontificum. Forcément, ce choix ne fut pas sans susciter l’inquiétude de nombreux évêques qui devisèrent du sujet à l’occasion de la dernière conférence épiscopale. […]
Rendez-vous fut donc pris en l’église Saint-Eugène-Sainte-Cécile pour une journée d’information avec deux professeurs chargés des âmes de ladite paroisse, les abbés Marc Guelfucci et Éric Iborra, ainsi que certains fidèles représentatifs. Des vêpres solennelles de Saint-Ignace d’Antioche avec trois chapiers furent dignement célébrées. Un demi-siècle après les avoir abandonnés dans la précipitation, les séminaristes goûtaient à nouveau en corps constitué à la magnificence de rites redécouverts avec respect et piété. Ce qui semblait, au terme des interdictions, devoir être l’apanage de quelques esprits curieux, en quête d’archéologisme, paraissait devoir devenir un enseignement commun duquel nul futur prêtre de notre temps n’allait pouvoir faire abstraction. En un instant, des paroisses censées demeurer des sas de décontamination et ensuite des réserves folkloriques étaient devenues des laboratoires modèles pour une nouvelle évangélisation.
Le lendemain, pour la fête de la Purification de Notre-Dame et de la Présentation au Temple, tous les séminaristes de l’archidiocèse étaient conviés en l’église Saint-Louis-en-l’Île pour une messe chantée, célébrée par le père abbé du Barroux, dom Louis-Marie de Geyer d’Orth. Il serait difficile de ne pas se remémorer à cet instant son prédécesseur, dom Gérard Calvet, célébrant sous la voûte voisine de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à la naissance et à l’architecture si semblables, et qui, après avoir servi de temple à la ferveur de générations de futurs prêtres, conserva dans les années 1970 le monopole de cette même liturgie, proscrite et ramassée dans le caniveau d’une Église en proie aux innovations les plus incongrues.
[…] L’influence du monde traditionnel, l’impact du pèlerinage de Chartres, la diffusion du missel tridentin depuis dix ans expliquent le fait que ces derniers ont davantage retrouvé la liturgie plus qu’ils ne l’ont découverte et apportent les raisons du choix qu’ils ont posé cette année. Même si les novateurs n’ont jadis reculé devant aucun effort pour retenir et ménager des générations dont le progressisme actait la rupture doctrinale, les recrues du clergé parisien paraissent finalement plus proches des Scouts d’Europe ou de Saint-Jean-de-Passy que de la Jeunesse ouvrière chrétienne ou de Saint-Merry…
En réalité, c’est la piété, la dévotion et la bonne volonté manifeste des séminaristes qui ont brillé au cours de ces cérémonies. L’époque où leurs prédécesseurs aspiraient à innover, à recourir à des instruments musicaux peu conformes, à faire de la liturgie ce que le cardinal Ratzinger appelait un « show », paraît quelque peu révolue. […]
Ces deux journées sont sans doute assez symptomatiques de l’état de l’Église de France. Tandis que partout les églises ferment et que les nombreux prêtres formés avant le Concile disparaissent, leurs jeunes successeurs, bien que leur nombre soit peu élevé, paraissent de plus en plus affranchis de l’esprit d’innovation qui voulait faire table rase des traditions. Sans doute, en bien des endroits, la formation doctrinale de ces jeunes lévites reste-t-elle marquée par les idées qui ont foisonné au cours de ce demi-siècle. Le temps propice sera long pour faire renaître une Église centrée sur l’idéal missionnaire, à partir des cendres d’une utopie obnubilée par les idées de dialogue et de compromis. Mais l’exemple présent montre aussi la rapidité des changements. Qui, il y a vingt ans, et même dix ans, aurait pu imaginer que l’ensemble des séminaristes parisiens puisse assister de façon officielle à la messe traditionnelle pour mieux l’étudier ?"