De Bruno de Seguins Pazzis :
Tchécoslovaquie dans les années 1980, séminaire de Bratislava. Le régime communiste musèle l’église. Deux jeunes séminaristes devront choisir entre la soumission à la police secrète, ou une fidélité à leurs convictions qui pourrait leur coûter la vie. Avec : Samuel Skyva (Juraj), Samuel Polakovic (Michal), Vlad Ivanov (docteur Ivan), Vladimír Strnisko (Dean), Milan Mikulcík (Le confesseur), Tomas Turek (Ductor), Vladimír Zboron (Secrétaire), Martin Šulík (physicien), Vladimír Obsil (le père Coufar), Zvonko Lakcevic (policier), Peter Zalesnak (policier). Scénario : Rebecca Lenkiewicz, Marek Leščák et Ivan Ostrochovský. Directeur de la potographie : Juraj Chlpík. Musique : Cristian Lolea et Mirislav Toth.
Récompenses : Grand Prix CinEast (2020), Prix de la mise en scène et prix de la meilleure musique au Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz (2020), Prix de la meilleure musique au Festival du film de Gand (2020), Meilleur réalisateur (ex-æquo avec Aurel pour Josep) au Festival international du film de Valladolid (2020), Prix Georges Delerue pour la musique (2020).
Pacem in terris… En Tchécoslovaquie, le régime communiste a créé en 1971 « Pacem in terris ». Cette organisation cléricale censée promouvoir « la paix entre les peuples » est en réalité totalement contrôlée par le secrétariat pour les Affaires du culte, véritable instrument de contrôle et de gouvernement de l’Eglise. L’’objectif est la « normalisation de l’Eglise, la direction de la vie spirituelle des croyants honnêtes (c’est à dire fidèles à leur patrie) et la normalisation des prêtres dans une position qui soit tolérable par le régime en leur faisant suivre les règles du communisme. Bien que les prêtres, en vertu du droit canon et d’un décret du Vatican, n’aient pas été autorisés à entrer dans cette association qui n’est rien moins que l’Eglise officielle, le régime a fait en sorte de placer aux postes-clés de l’Eglise tchécoslovaque des membres importants de «Pacem in terris». Lorsqu’il est mis fin au régime soviétique après la libération du bloc de l’Est, une commission est créée pour faire toute la lumière possible sur « Pacem in terris » chargée de constater combien son activité fut néfaste Cette commission indique que « Pacem in terris» a dans l’Eglise «causé beaucoup plus de tort» que le mouvement des prêtres pour la paix, auquel elle a succédé en 1969. Elle poursuit pour dire qu’on doit «condamner Pacem in terris» afin qu’une telle «infirmité» ne se reproduise pas dans l’Eglise. Les historiens de l’Eglise devraient «analyser l’histoire de ce mouvement et montrer les torts que cette organisation a causés dans l’Eglise». C’est que « Pacem in terris» n’a pas seulement collaboré avec les autorités communistes, mais «a pratiquement fonctionné comme seconde tête de l’Eglise». L’organisation s’est mise au service d’une politique dirigée contre l’Eglise. Il ne s’agit pas de condamner des personnes, « la peur des autorités, mais aussi le désir de travailler sans être inquiété» ont joué un rôle dans la collaboration de nombreux prêtres avec «Pacem in terris». Il en est résulté un penchant à «obéir en tout aux autorités sans critiquer».
C’est en quelque sorte de tout cela dont il s’agit dans le deuxième long métrage du slovaque Ivan Ostrochovsky, en nous plongeant dans le séminaire de Bratislava et en nous faisant suivre quelques séminaristes et leurs supérieurs, nous montrant ceux qui ne veulent pas se soumettre à cette normalisation, ceux qui cherchent à préserver la catholicité en créant une église clandestine, se réunissant en secret pour ordonner des prêtres, donner l’enseignement… ceux de la hiérarchie ou des élèves qui acceptent plus ou moins selon les cas de collaborer avec la police secrète afin de dénicher les réfractaires… Le cinéaste nous montre également le rôle de soutien du Vatican pour aider les prêtres à résister, et Radio Libre Europe dénonçant régulièrement les crimes commis par le régime sur les religieux. Le cinéaste sonde toute la complexité politique, sociale, humaine et morale de la situation. Ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Il y a même beaucoup de gris !
Pour le faire avec la plus grande efficacité possible, il fait en premier lieu le choix fort judicieux du noir & blanc et du format 4/3. Si ce choix convient parfaitement à un récit politico religieux se déroulant derrière le rideau de fer (Paweł Pawlikowski avec son magistral Ida en 2013 amis aussi Cold War en 2018 et Kirill Serebrennikov avec Leto en 2018 l’avaient également fait), c’est de surcroît un premier moyen de faire ressentir la pression exercée par le régime sur la religion et plus particulièrement ici sur le séminaire. Mais bien plus que la pression, c’est l’oppression, l’angoisse pour certains, l’enfermement et la menace permanente pour tous qu’il s’agit de faire éprouver au spectateur. Et Ivan Ostrochovsky y parvient avec une économie de dialogues, une économie dans la mise en scène proche de l’expressionisme (l’utilisation du décor), qui privilégie les plans fixes et longs, si on excepte quelques « travelings », un travail méticuleux sur les cadres, avec également la bande originale minimaliste qui vise à pousser le spectateur jusqu’à la sensation de l’étouffement. Il faut regretter cependant que l’esthétique prenne trop le dessus sur la narration au point de créer des lacunes dans cette dernière qui font que le spectateur se perd par moment, mais qui surtout limitent le mouvement d’empathie de celui-ci pour les personnages. Robert Bresson n’est pas loin du tout, Carl Theodor Dreyer non plus, si l’on veut chercher des sources plus lointaines d’inspiration.
Une œuvre épurée, dense, tranchante comme une lame de rasoir : 4/5.
Bruno de Seguins Pazzis