De Bruno de Seguins Pazzis :
Pendant la montée du nazisme en Allemagne et pendant la Seconde guerre mondiale, le pasteur luthérien allemand Dietrich Bonhoeffer entre en résistance il est arrêté en janvier 1943, puis convaincu d’être compromis dans un complot visant à éliminer Adolf Hitler en juillet 1944, il est condamné à mort.
Avec : Jonas Dassler (Dietrich Bonhoeffer), August Diehl (Martin Niemöller), David Jonsson (Frank Fisher), Flula Borg (Hans von Dohnanyi), Moritz Bleibtreu (Karl Bonhoeffer), William Robinson (Eberhard Bethge), Clarke Peters (le révérend Adam Clayton Powell Sr.), Patrick Mölleken (Walter Bonhoeffer), Tim Hudson (Winston Churchill), Marc Bessant (Adolf Hitler), John Keogh (Pr Fosdick), Jean-Michel Vovk (un prisonnier), Jacky Nercessian (un pasteur). Scénario : Todd Komarnicki. Directeur de la photographie : John Mathieson. Musique : Antonio Pinto et Gabriel Ferreira.
« Pour moi, ce n’est pas la fin, mais le début de la vie » (dernières paroles de Dietrich Bonhoeffer avant de mourir)…Le défi de toute biographie filmée est de faire un film qui ne soit pas un simple résumé de la vie d’une personne comme on pourrait le lire sur une fiche « Wikipedia » mais d’offrir, sans pouvoir rentrer dans tous les détails, quelque chose qui, tout en étant dramatiquement et artistiquement satisfaisant, donne avec perspicacité une idée suffisamment juste et complète de la personnalité concernée. L’espion de Dieu, se sort bien de cette difficulté pour dépeindre l’essentiel de la vie du pasteur Dietrich Bonhoeffer.
Mais qui était Dietrich Bonhoeffer (1906-1945)…
Dietrich Bonhoeffer est un théologien allemand qui a étudié en Amérique et s’est fait connaître en Allemagne en s’opposant frontalement au nazisme sous la montée de celui-ci, puis en résistant au nazisme pendant la seconde guerre mondiale. Dietrich Bonhoeffer a été fortement influencé par l’église pentecôtiste lors d’un séjour d’une année aux Etats-Unis. Il rentre en Allemagne au moment de la montée du nazisme plein d’idées sur la nécessité d’une relation personnelle avec Dieu plutôt que de la simple appartenance à une institution. Il considérait l’église luthérienne allemande de l’époque comme morte, et ses soupçons ont été confirmés lorsque celle-ci s’est prononcée en faveur d’Hitler et de son antisémitisme. En résistance à cela, Dietrich Bonhoeffer participe à l’établissement en septembre 1933 de « l’Église confessante » qui s’oppose à la soumission à l’Eglise protestante du Reich des églises protestantes d’Allemagne, lesquelles se trouvent de ce fait infiltrées et submergées par l’idéologie nationale-socialiste. Dietrich Bonhoeffer considérait Adolf Hitler comme un anathème pour le christianisme, et il est allé jusqu’à s’impliquer dans la résistance en infiltrant l’Abwehr et il a été impliqué dans un complot visant à tuer Adolf Hitler, le complot raté du 20 juillet 1944. Ses incessantes prises de position pour la vérité et la justice lui ont finalement coûté la vie dans les derniers jours de la guerre.
Raconter cette histoire par le cinéma…
Si la vie de Dietrich Bonhoeffer n’a duré que 39 ans, elle a été bien entendu beaucoup plus denses en évènements que les quelques lignes ci-dessus, et la résumer dans un film d’un peu plus de deux heures tenait un peu de la gageure. Le choix du cinéaste Todd Komarnicki (scénariste en 2016 du film de Clint Eastwood, Sully) consiste à sélectionner plusieurs passages de la vie de Dietrich Bonhoeffer et de les juxtaposer dans une succession de retours en arrière, entre une représentation de sa plus tendre enfance en 1914 et son exécution par les nazis en juin 1945. Chaque retour en arrière faisant rapprocher progressivement le spectateur de cette fin de vie pour en faire un moment d’une intensité rare, plein de foi et chargé de tous les faits vertueux qui l’ont précédé dans le récit, qui sont ceux d’un homme qui a tout abandonné au service de la vérité. Le procédé n’a rien de vraiment original mais fonctionne très bien ici parce que le spectateur passe d’un épisode à un autre très différent du précédent, évitant d’emprunter un cheminement trop linéaire au risque d’être lassant. Ces retours en arrière, dans un certain brouillage chronologique pas toujours aisé à suivre et qui exige du spectateur de rester très attentif, évoquent l’adoration de Dietrich Bonhoeffer pour son grand-frère Walter mort à la guerre de 14-18, sa découverte du jazz et du racisme lors de son séjour aux Etats-Unis, sa prise de conscience puis son action lors de la montée du nazisme, son sermon de rupture avec l’église officielle, la création d’un séminaire clandestin de Finkenwalde où il retrouve son confrère le pasteur Martin Niemöller qui s’opposait à lui à l’origine, le sermon en chair de ce dernier qui lui vaudra son arrestation sous les yeux de Dietrich Bonhoeffer, l’influence de ses propos jusqu’à la décision de Winston Churchill d’enclencher la guerre contre l’Allemagne, sa rencontre en captivité avec le docteur Sigmund Rascher, instigateur des expérimentations humaines menées dans le camp de concentration de Dachau, son infiltration dans l’Abwehr… Si le récit s’appesantit un peu trop et de façon pas très adroite sur son séjour aux Etats-Unis, en laissant par exemple croire qu’il est devenu en une soirée un virtuose du jazz au piano, le film prend son essor lorsqu’il décrit comment le nazisme commence lentement à s’infiltrer dans toutes les facettes de la vie allemande et que Dietrich Bonhoeffer, qui venait de rentrer d’Amérique, répond d’abord par la surprise, puis par l’horreur. Ce serait en effet une erreur d’imaginer qu’Adolf Hitler a pu accéder au pouvoir du jour au lendemain et en prendre le contrôle. Au contraire, le nazisme s’est insinué progressivement. Et c’est une vérité beaucoup plus inconfortable que le film dépeint très bien. L’émergence du nazisme commence par des conversations raisonnables sur les idées d’Adolf Hitler, avant de se transformer en sermons politisés, conduisant finalement à des adolescents portant des croix gammées puis à la persécution de groupes sociaux. C’est un des intérêts du film de bien monter cela à côté bien entendu de la manière dont Dietrich Bonhoeffer finit par s’offrir en sacrifice et dont nous ne dévoilerons rien pour laisser au spectateur le découvrir.
Au-delà de son aspect historique, L’Espion de Dieu permet de susciter de nombreuses réflexions. Nous indiquerons seulement celle fondamentale que peut provoquer chez tous les spectateurs la déclaration de culpabilité du pasteur Martin Niemöller, reconnaissant la complicité de l’Église Luthérienne dans ses accommodements avec le mal perpétré par Adolf Hitler : « Nous nous accusons de ne pas défendre nos croyances avec plus de courage, de ne pas prier plus fidèlement, de ne pas croire plus joyeusement et de ne pas aimer plus ardemment. » Qui ne pourrait pas cosigner cette déclaration ? Pour la forme, et en dehors du choix de construction scénaristique évoqué plus haut, la mise en image est de belle qualité, les couleurs brunes, grises et une tonalité sombre dominent en raison du contexte. Jonas Dassler ( La Révolution silencieuse de Lars Kraume et L’Œuvre sans auteur, chef d’oeuvre de Florian Henckel von Donnersmarck tous deux en 2018) est très convaincant dans le rôle de Dietrich Bonhoeffer, mais son physique, même après maquillage, reste très éloigné du modèle.
A ses côtés on trouve, tout aussi convaincant, Auguste Diehl ( Les Faussaires de Stefan Ruzowitzky en 2007, Inglourious Basterds de Quentin Tarantino en 2009, En mai, fais ce qu’il te plaît de Christian Carion en 2015) plus connu du public français, tout comme Motitz Bleibtreu (L’Expérience de Oliver Hirschbiegel en 2001, La Bande à Baader de Uli Edel en 2008, Goebbels et le Juif Süss : Histoire d’une manipulation de Oskar Roehler en 2010, Les Confessions de Roberto Andò en 2016) dans un rôle plus secondaire.
Dietrich Bonhoeffer est connu en Allemagne mais également reconnu par l’Église anglicane comme l’un des principaux martyrs du XXe siècle dont la statue se dresse d’ailleurs au-dessus du portail ouest de l’abbaye de Westminster et L’Espion de Dieu, s’il ne révolutionne pas le genre du « biopic », rejoint et complète un ensemble de films qui font découvrir et décrivent ce qu’a été la résistance intérieure au nazisme comme Sophie Scholl, les derniers jours (2006) de Marc Rothmund , Walkyrie (2008) de Bryan Singer, Elser, un héros ordinaire (2015) d’Oliver Hirschbiegel, ou encore Une vie cachée (2019) de Terrence Malick… mais surtout, et comme ses prédécesseurs, permet à notre jeunesse de découvrir et d’admirer une figure chrétienne exemplaire.
Bruno de Seguins Pazzis