Axelle Girard, directrice d’Educ’France (qui vient de lancer une pétition pour défendre la liberté scolaire), a été interrogée par L’Incorrect suite à l’annonce liberticide d’Emmanuel Macron sur les libertés scolaires :
Emmanuel Macron a annoncé ce matin l’instruction à l’école obligatoire dès 3 ans, ce qui enfreint la liberté des parents d’éduquer leurs enfants comme ils l’entendent. Les seules exceptions concerneraient les motifs médicaux. Que vous inspire ces déclarations ?
Cette déclaration m’a surprise à double titre. D’abord parce qu’elle s’inscrit dans le cadre plus large d’un projet de reconquête républicaine, alors qu’il vient percuter une liberté fondamentale, une liberté démocratique, celle des parents d’élever leurs enfants comme ils l’entendent, a fortiori pendant les premières années de la vie d’un enfant où, pour tout un tas de raisons, les parents peuvent choisir de pratiquer l’instruction à domicile. Comment dès lors la présenter comme l’ingrédient d’un « réveil républicain » ?
Ensuite parce qu’elle est présentée comme une avancée vers la construction d’une école une et indivisible, qui serait celle de la République. Mais la République s’honore justement de pouvoir donner à chaque enfant le cadre qui lui convient le mieux. C’est une liberté que je qualifie volontiers de fondamentale. Pour certains enfants, d’ailleurs de plus en plus nombreux, l’expérience du harcèlement et la phobie scolaire qui en découle justifient amplement le choix de l’école à la maison. Si la loi devient effective, alors les parents de ces enfants se verront dans l’obligation de se justifier auprès du personnel de santé, moyennant les traces que laisseront ces justifications dans le dossier de leur enfant.
Enfin, le Président explique ne pas porter atteinte à la liberté d’enseignement ; mais c’est précisément ce qu’il fait en s’attaquant au principe de l’instruction en famille. A mon sens, la lutte de l’Etat républicain doit se concentrer sur les familles qui, délibérément, cherchent à échapper à l’instruction tout court. Ces familles sont, comme l’a dit le Président de la République, bien identifiées, de mieux en mieux détectées. C’est là où le bât blesse qu’il faut frapper.
Comment cela va-t-il se passer pour les enfants qui quittent l’école à cause de problèmes de harcèlement scolaire ou d’inadaptation du système de l’éducation nationale, et qui ne peuvent pas payer les frais de scolarité pour une école hors-contrat ?
Vous avez raison de parler non du harcèlement scolaire, qui cible les élèves de plus en plus jeunes, et qui est le fait d’autres élèves et de professeurs, mais aussi d’inadaptation au système de l’Education nationale. Il est pratiquement impossible de répertorier systématiquement tous les maux dont peuvent souffrir les enfants à l’école. Précisément parce que ces maux ont des origines et des manifestations multiples. Il y a le harcèlement, mais aussi le sentiment d’ostracisme et d’isolement dont souffrent beaucoup les enfants à haut potentiel par exemple… Ces enfants auront du mal à trouver des solutions si, demain, la loi limitait l’instruction à domicile à des cas qui ne pourront jamais être identifiés de façon rigoureuse ou exhaustive.
Dans un premier temps, les familles feront valoir des raisons de santé, difficiles à expliquer, à dévoiler et, encore une fois, à justifier sans que cela ne cause de préjudice aux enfants pour continuer l’école à la maison. Ensuite, elles risquent de se soumettre à une obligation qui, si elle tient – à supposer qu’elle franchisse la barre des recours qui risquent de se dresser contre elle – sera susceptible hélas de nourrir la défiance à l’égard de l’école de la République, qui, d’après la loi et la Constitution, est l’une des voies possibles de l’enseignement dans notre pays. Pas la seule et l’unique.
Cette mesure pourrait-elle ne pas passer, de par son caractère anticonstitutionnel ?
Sans être juriste, je peux me risquer à dire que le projet heurtera autant la sensibilité des Français qu’il se heurtera aux limites inhérentes à sa constitutionnalité, sans doute très partiellement et partiellement constitutionnelle…
Le Président a également annoncé un contrôle encore plus resserré des établissements hors contrat. Vos établissements se sentent-ils concernés par ces futures mesures ?
Je n’oserais pas dire « nos » écoles ! Aujourd’hui, Créer son école interagit aux côtés d’Educ’France et de la fondation Kairos, qui, respectivement, informent et soutiennent les écoles libres. Je note avec beaucoup d’intérêt que cette expression déplaît aux ennemis de la liberté scolaire. Nous l’avons adopté par amour de la liberté, et pour rappeler l’origine du combat pour la liberté scolaire. Une école indépendante, responsable et qui veut rendre libre. L’école publique n’est pas la seule qui forme des esprits libres et épanouis. Il suffit de regarder le succès des écoles indépendantes pour s’en convaincre… Cette parenthèse close, Créer son école, elle, accompagne et forme les créateurs et les directeurs depuis 2005. C’est aujourd’hui l’association la plus reconnue en la matière. Mais pour répondre directement à votre question, oui, nous redoutons les mesures annoncées pour deux raisons.
D’abord, nous estimons qu’un nouveau tour de vis sur le hors-contrat, pas même deux ans après la loi Gatel d’avril 2018 vient conforter l’idée que la liberté scolaire est une liberté qui dérange. C’est paradoxal, puisque la liberté scolaire est une liberté qui est au service de la diversité et du pluralisme. Quand une liberté dérange, on dit qu’elle déroge. Et dans le cas d’espèce, cette liberté déroge au rêve d’une « école du commun », dont tous les petits Français sortiraient suffisamment instruits, forts et libres. Personne ne croit à cette légende, quoi qu’elle soit très séduisante. Le rêve de la IIIe a vécu. Il faut construire l’école du XXIe siècle. Une école libre, pluraliste, qui convienne à chaque enfant, donc a tous les enfants. Prétendre fermer une école comme on ferme un café pour lutter contre un virus, c’est très bien s’il s’agit d’une école qui pose problème. Dans les faits, l’Etat dispose des moyens de détecter les signaux faibles dans certaines écoles, des signaux qui existent, qui sont rapportés par le renseignement territorial par exemple. Qu’en fait-il ? Souvent peu de chose, parce que notre régime de libertés publiques est extraordinairement protecteur. Pour le meilleur et pour le pire. Toutes les écoles libres vont se sentir visées, alors que seule une minorité d’entre elles pose problème. Au regard du séparatisme bien sûr, mais celui-ci ne se réduit pas au séparatisme islamiste : que dire, par exemple, de ces écoles qui sont en connivence avec des organisations douteuses, tournées vers le bien-être de l’enfant, qui enseignent plus volontiers l’astrologie que les fondamentaux du Français ou des mathématiques ?…
Ensuite, mieux tracer l’origine des financements étrangers de certaines écoles sera bien entendu problématique. Il en va des écoles comme d’autres structures, que l’Etat et ses services ont du mal à identifier et à mettre en cause sur le plan juridique. Dans son principe, l’idée est excellente. Reste à voir ce qu’elle donnera en pratique.
Je me réjouis toutefois de ce que, pour la première fois, un Président de la République nomme l’ennemi (le séparatisme islamiste). J’aurais aimé, néanmoins, qu’il précise que la liberté d’enseignement n’était pas avant tout un sujet de polémique, bien qu’elle soit une passion française… Parce qu’elle est aussi, et avant, tout un moyen au service du progrès.