Depuis plusieurs jours, les langues se délient, à propos du scandaleux éditorial d’Isabelle de Gaulmyn sur le référendum irlandais sur l’avortement. Et, à ma grande surprise, Guillaume Goubert, directeur de la rédaction de « La Croix », a répondu. Il l’a fait de deux façons : en évoquant l’affaire sur Radio Notre-Dame et en publiant, à son tour, un éditorial sur le vote des députés argentins, là encore en faveur de l’avortement.
Compte tenu du mépris des journalistes de « La Croix » pour la blogosphère catholique en général, et le Salon beige en particulier, je n’aurai certes pas la forfanterie de croire que M. Goubert a répondu à ce que nous avions écrit sur cette affaire – notamment pour soutenir le courageux Thibaud Collin, « viré » de « La Croix » pour avoir osé protester énergiquement contre ce scandale. Cette réponse de Guillaume Goubert ne peut signifier qu’une chose : il a reçu une avalanche de courriers de protestation. Et cela doit nous encourager, amis lecteurs, à continuer à écrire pour dénoncer sans relâche ce scandale.
Car le scandale continue.
Dans son éditorial, Guillaume Goubert ne reprend certes pas la thèse ahurissante d’Isabelle de Gaulmyn hiérarchisant les vies humaines, selon des présupposés philosophiques qui ne peuvent manquer de justifier, non seulement l’avortement, mais aussi l’euthanasie des « inutiles ». Soit l’on tient fermement que la dignité humaine n’est pas négociable (en particulier, pour nous, catholiques, parce qu’elle vient de la création directe de toute âme humaine par Dieu lui-même) ; soit l’on est inexorablement conduit à considérer le meurtre de l’innocent comme une possibilité ou un moindre mal.
Il y a donc un sensible progrès entre l’article d’Isabelle de Gaulmyn et celui de Guillaume Goubert. Mais, dans le contexte du scandale Gaulmyn, ne pas contredire explicitement cette thèse laisse la désagréable impression que le directeur de « La Croix » n’est pas en désaccord avec la thèse délirante de sa collaboratrice, mais qu’il considère simplement que la soutenir trop explicitement ne serait pas de bonne politique par les temps qui courent. Et, surtout, il maintient la thèse conséquente de l’avortement comme moindre mal. Au moins dans l’édifice intellectuel d’Isabelle de Gaulmyn, il y avait une cohérence : si toutes les vies ne se valent pas, il est logique que les plus forts puissent éliminer les plus faibles. C’est monstrueux, mais c’est logique. Alors que dire que la dignité de la vie humaine n’est contestable et que, malgré tout, le meurtre de l’innocent peut être un moindre mal me semble rigoureusement incompréhensible.
On pourrait chercher un début d’explication dans la dénonciation des avortements clandestins, d’une part, et l’évocation des « cas limites » où la vie de la mère est en danger, d’autre part, mais la plus élémentaire connaissance de la morale catholique suffit à ruiner cette pseudo argumentation. Il est bien évident que l’avortement clandestin est un mal. Personne ne l’a jamais contesté dans l’Eglise catholique. Et laisser supposer, comme le fait M. Goubert, que les catholiques pro-vie pourraient être tièdes dans leur dénonciation de ce mal est une calomnie pure. Mais on ne combat pas un mal en le légalisant. C’est tout simplement absurde.
On comprend bien cependant ce que recèle, sans oser le dire explicitement, le raisonnement. Il suppose que les pro-vie ne s’intéressent pas à la vie de la mère. On pourrait ainsi renvoyer dos à dos les pro-vie qui n’ont que faire de la mère et les soi-disant « pro-choix » qui n’ont que faire de l’enfant. Mais, là encore, c’est une pure calomnie. Et, que je sache, ce sont bien les pro-vie qui accueillent les femmes en détresse ; ce sont bien les pro-vie qui accueillent les femmes détruites par leur avortement – quand les prétendus « pro-choix » leur dénient cyniquement le simple droit de reconnaître le terrible traumatisme que représente l’avortement.
Au passage, cela m’offre l’occasion de dire un mot du fameux « cas limite » où la vie de la mère est en danger – et qui semble être, depuis plusieurs années, la façon de faire accepter l’avortement par les catholiques. D’abord, ce cas limite est extrêmement rare. Selon les statistiques de l’INED (qui n’est pas, que je sache, une officine « intégriste » !), seuls 3% environ des avortements pratiqués en France concernaient des cas où l’embryon n’était pas viable ou la vie de la mère était en danger. Il est passablement grotesque de suggérer de tuer un embryon sous prétexte qu’il n’est pas viable, mais peu importe ici. Ce que je retiens, c’est que l’écrasante majorité des avortements pratiqués en France n’a rigoureusement aucun rapport avec ce « cas limite ». Toutefois, le cas limite lui-même n’est limite que parce qu’on le présente mal. Il n’est pas vrai que le médecin, dans ce cas, puisse se dire, comme le suggère Mme de Gaulmyn : la mère a un plus gros carnet d’adresses que le fœtus ; puisqu’il faut choisir entre les deux, je tue ce dernier pour préserver la première. Ce qu’il peut faire, en parfaite cohérence avec la loi naturelle et la morale catholique, c’est sauver la vie de la mère, au risque que cela entraîne la mort de l’enfant. Mais qui ne voit l’infinie différence entre le geste de sauver la vie de la mère, qui est précisément le rôle du médecin depuis le serment d’Hippocrate, et la recherche délibérée de la mort de l’enfant ? Le résultat final peut être le même, mais la démarche morale est toute différente.
Cependant, malgré des réflexions embarrassées et confuses sur l’avortement et la vie innocente, M. Goubert nous propose une action culturelle et sociale pour mettre fin à l’avortement. Chiche ! Je l’informe, puisqu’il a l’air de connaître assez mal le mouvement pro-vie, que des milliers de catholiques sont déjà engagés dans ce combat. Il pourrait ainsi faire connaître les chaînes de jeûne et de prière de Mère de Miséricorde, les antennes d’écoute de Choisir la vie, le remarquable travail d’information et d’accueil d’ivg.net, les religieuses des Maternités catholiques, ou encore le travail des médecins de la Fondation Lejeune au service des petits trisomiques qui ont échappé au génocide. Au passage, c’est une calomnie de dire que les catholiques pro-vie ne se préoccupent pas de l’aspect économique de l’accueil de la vie, puisque, précisément, ce sont eux qui accueillent les femmes en détresse.
En tout cas, à ma connaissance, aucun des catholiques engagés dans ces structures ne rejette le combat politique, au motif que le combat culturel et social serait plus noble. Au contraire. Et la réalité, c’est que ceux qui dénoncent le combat politique pro-vie ne font pas grand-chose non plus dans le domaine du combat culturel et social pro-vie. M. Goubert a déclaré sur Radio Notre-Dame que « La Croix » menait « quotidiennement et sans arrêt » ce combat culturel et social. C’est possible, mais alors il doit exister une version clandestine de « La Croix » ! Car, dans la version disponible pour les lecteurs « lambda », je ne crois pas avoir lu un seul article à propos d’une seule de ces organisations qui promeuvent l’accueil de la vie. C’est un peu comme le MRJC qui nous accuse de vouloir imposer politiquement notre « idéologie » (comme si le respect de la vie innocente était une idéologie !) et se présente, par contraste, comme un admirable cercle de promotion de la culture de vie. Mais aucune des activités que le MRJC évoque publiquement ne fait quoi que ce soit en faveur de la culture de vie, et bien des actions, au contraire, promeuvent la culture contraceptive, dont Jean-Paul II avait bien démontré qu’en faisant de l’enfant à naître l’ennemi à combattre, elle prépare les esprits à l’avortement – non pas « méthode de contraception comme une autre », comme dirait M. Goubert, mais bel et bien méthode de « contraception » ultime. Là encore, il y a sans doute des activités clandestines pro-vie au MRJC, mais nous aimerions en savoir plus pour nous y associer et les promouvoir à notre tour.
Toujours est-il que cette dialectique entre le combat politique contre l’avortement et la promotion de la culture de vie n’a guère de sens : aimer la vie implique logiquement de dénoncer la culture de mort. On ne peut choisir le bien sans combattre le mal. Regardez donc ce qui se passe dans l’Eglise des Etats-Unis : l’action politique, l’action sociale, l’action culturelle et l’action spirituelle y sont étroitement liées. Pourquoi donc ce qui marche là-bas ne marcherait-il pas chez nous ? Si « La Croix » soutenait activement la campagne des 40 jours pour la vie, que mon ami Daniel Hamiche a fait connaître aux catholiques de France voici déjà bien des années (et qui, à ma connaissance, n’a jamais fait l’objet d’un article dans « La Croix ») , ou encore les veillées pour la vie demandées par Jean-Paul II, ces manifestations spirituelles seraient dans toutes les paroisses de France. Croit-on vraiment que cela n’aurait aucune conséquence sur la politique ?
Goubert note honnêtement que, depuis 1974, tous les garde-fous prévus par la loi Veil sont tombés les uns après les autres. Mais, au lieu d’en déduire qu’il faut changer de stratégie, il semble se réjouir que des lois Veil soient votées en Irlande ou en Argentine. Cela ne marche définitivement pas. Passons donc à autre chose. Et, dans cette nouvelle stratégie (qu’il n’y a pas à inventer, puisqu’il suffit d’écouter le Magistère de l’Eglise et de suivre les exemples de tant de pays, de la Pologne aux Etats-Unis, en passant par la Hongrie, où l’on a réellement réussi à faire diminuer le nombre d’avortements), si « La Croix » veut tenir son rôle – qui, compte tenu de son influence dans l’Eglise de France, devrait être considérable – nous nous en réjouirions vivement et nous serions derrière elle. Nous ne lui demandons même pas de s’engager sur le terrain (qui semble lui paraître si « sale ») de la politique. Qu’elle laisse ça à des francs-tireurs comme nous : nous, nous avons l’habitude de prendre des coups ! Mais, de grâce, M. Goubert, si, effectivement, vous défendez la culture de vie, relayez, promouvez, suscitez des initiatives pro-vie dans toutes les paroisses de France !
Guillaume de Thieulloy
Directeur du Salon beige