De Jean-Pierre Maugendre :
Ami pèlerin,
Te voilà comblé, fatigué, vivifié, revigoré, pardonné, réconforté mais peut-être aussi un peu troublé. Ces trois jours en chrétienté, en dehors du temps, mais pas de l’espace, t’ont fait découvrir ou mieux connaître une réalité à la fois bien mystérieuse, si lointaine et pourtant si proche : la messe catholique.
Qu’est-ce que la messe ?
Tu as mieux compris, grâce à leur manifestation particulièrement expressive dans le rite romain traditionnel, les trois réalités fondamentales qui sont au cœur de la célébration eucharistique. Tout d’abord la présence réelle et substantielle du Christ, sous les apparences du pain et du vin. Ce Dieu qui nous a créés, qui nous a rachetés, qui nous maintient dans l’être et nous accompagne, à chaque instant, de Sa Providence est là devant nous, comme il était présent parmi les apôtres au bord du lac de Tibériade ou aux noces de Cana. C’est le même Dieu que tu as adoré, à genoux, dans la nuit de dimanche à lundi, dans le silence de la nuit, dans un cœur à cœur dont toi seul connais le secret. Tu as confié, à ce Dieu qui est mort sur la croix pour que tu aies la vie en abondance, ton passé, tes blessures et tes souffrances mais aussi ton avenir, tes espoirs et tes projets. Tu as été séduit, et peut-être surpris, par toutes ces marques d’adoration et de respect (encensements, agenouillements) rendues à ce qui apparaît comme un simple morceau de pain. Ensuite, la liturgie n’a cessé de te rappeler que c’est à un véritable sacrifice que tu participais. « Sacrum facere » : faire du sacré. Acte du culte, commun à toutes les religions, par lequel la créature se reconnaît dépendante du créateur et implore, de lui, à la fois le pardon de ses péchés passés et, pour l’avenir, l’abondance des grâces divines. Nos anciens parlaient du « Saint Sacrifice de la Messe ». A l’offertoire la goutte d’eau mêlée au vin, par le prêtre, t’a rappelé que les souffrances et contrariétés de ces trois jours n’avaient de sens qu’unies à la Passion du Christ, d’où procède le salut. Enfin, les fastes de la liturgie traditionnelle manifestant les hommages de la créature au créateur, ont signifié cette anticipation de la liturgie céleste qu’est aussi chaque messe. Pendant quelques heures tu as uni ta louange au chœur des anges qui, sans cesse, chantent la gloire et la miséricorde de Dieu et t’attendent pour t’associer à leur bonheur.
Une histoire tumultueuse
Revenu sur terre tu as pris conscience que ce que tu considérais, candidement, comme une simple démarche spirituelle de conversion ou d’approfondissement, dans la tradition de Charles Péguy et la fidélité à la liturgie immémoriale de l’Eglise, incarnée néanmoins dans la réalité temporelle de nos cités, était au cœur de querelles picrocholines que tu croyais d’un autre temps. Comme tu es honnête, curieux et libre tu as découvert l’itinéraire intellectuel et la personnalité des laïcs qui, en 1983, se lancèrent dans cette grande aventure pour que France continue et chrétienté ressuscite. Rémi Fontaine, journaliste-philosophe au quotidien Présent qui eut l’idée, avec ses amis Alain Brossier, François-Xavier Guillaume, etc. de s’inspirer en France du modèle du pèlerinage de Czestochowa en Pologne. Les parrains et fondateurs : Bernard Antony, Président du Centre Henri et André Charlier, Max Champoiseau l’homme de l’ombre et de la logistique, Jean Madiran le fondateur et directeur de la revue Itinéraires, Dom Gérard Calvet, alors restaurateur de la vie bénédictine au monastère du Barroux en Provence. Cette initiative, qui eut dû susciter l’enthousiasme des autorités ecclésiastiques, se heurta, cependant, dès le début à une vigoureuse hostilité épiscopale. Ainsi ni en 1983 ni en 1984 il ne fut possible de faire célébrer la messe d’arrivée dans la cathédrale de Chartres. Le motif en était que la célébration de la messe traditionnelle selon le rituel de 1962 aurait été interdite. De facto certes, de jure certainement pas comme le reconnut la commission cardinalice créée par le pape Jean-Paul II en 1986. En 1985 les portes de la cathédrale furent, enfin, ouvertes conséquence de la lettre de la Congrégation pour le culte divin du 3 octobre 1984, Quatuor abhinc annos, qui libéralisait, sous certaines conditions strictes, la célébration de la messe romaine traditionnelle. Dom Gérard prêcha, admirablement, avec l’âme de feu qui était la sienne sur la chrétienté. Ce sermon ne plut pas à l’ordinaire du lieu, Mgr Kuehn, qui interdit en 1986, 1987 et 1988 la célébration, dans la cathédrale, de la messe dont il prétendait, au mépris du droit canon, désigner le célébrant et le prédicateur. Une approche sommaire pourrait laisser croire que ces interdictions étaient liées au fait que l’aumônerie du pèlerinage était assurée, depuis sa fondation, par un prêtre de la Fraternité Saint Pie X, l’abbé François Pozzetto. La réalité est que si la FSSPX assurait bien une part importante du suivi spirituel du pèlerinage, de nombreux prêtres diocésains étaient également présents et assuraient la célébration des saints mystères. Ainsi pour la première messe célébrée dans la cathédrale de Chartres en 1985 le célébrant était l’abbé Bernard Lecareux, curé de Mérigny, dans l’Indre et le prédicateur Dom Gérard. En 1988, suite aux sacres épiscopaux opérés par Mgr Lefebvre, s’ouvrit une nouvelle phase de la vie de l’association marquée par une plus grande bienveillance des autorités romaines dont témoigna la présence du cardinal Mayer au pèlerinage de 1991.
Tout récemment, suite à de nombreuses demandes et pressions épiscopales et médiatiques pour que la messe réformée soit célébrée au pèlerinage de Chartres, l’association Notre-Dame de Chrétienté a rappelé, dans une série de réflexions qui fera date : « Pour la Vérité, la Justice et la Paix » ce qui était une évidence pour les fondateurs du pèlerinage : « Nous n’avons jamais caché les réserves sérieuses émises bien au-delà du cadre de notre famille spirituelle, sur un appauvrissement de l’expression liturgique de certaines vérités de foi dans le Novus Ordo ». Vérités de foi rappelées en préliminaire de ce propos. Qui osera nier cette évidence parfaitement démontrable par la lecture des textes incriminés et l’observation de la réalité de la pratique liturgique dans les églises de France ? Là-contre, trop d’évêques en appellent à une unité de foi qui se manifesterait par l’adoption exclusive des rites, pratiques, enseignements, catéchismes postérieurs au Concile Vatican II. Or, il est un fait que cette réforme, en particulier liturgique, a fait l’objet de multiples examens et remarques toujours en attente de réponse. Il est un autre fait que l’acceptation générale de cette réforme ne semble pas avoir été étrangère à une remise en cause générale des vérités de foi essentielles sur l’eucharistie : présence substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin, caractère sacrificiel de la messe, transcendance, beauté et verticalité du culte.
On ne lâche rien !
L’échec de la réforme liturgique est chaque jour plus évident et manifeste. Comme l’observait l’historien Guillaume Cuchet : « Les milieux « progressistes » au sein du catholicisme ont souvent eu des taux de transmission de la foi plus faibles que leurs homologues conservateurs ». Ce qui était hier un effet du sensus fidei du peuple de Dieu est aujourd’hui une conviction renforcée par l’expérience et l’observation, dans nos familles, des effets de 60 années d’aggiornamento conciliaire. Il est frappant de voir que les appels lancinants et répétitifs à la communion dans l’Eglise semblent plus s’apparenter aux mantras de la société du spectacle, par la survalorisation de la participation des prêtres à la concélébration sacramentelle, qu’à la manifestation de la fidélité intégrale au Credo de l’Eglise. Concélébrer avec son évêque en niant le caractère sacrificiel de la messe ou la virginité perpétuelle de Marie serait un signe manifeste de communion avec l’Eglise alors que le refus de toute concélébration dans un rite que Louis Salleron qualifiait d’équivoque, mais en restant fidèle au Credo de l’Eglise et à sa hiérarchie, dans la limite de ses pouvoirs, serait une marque de schisme. Dans une lettre à son frère Hubert Dom Gérard lui écrivait « Le fond du problème c’est qu’on est en révolution. Et en révolution on ne fait pas de réforme. On tient les positions. Toute réforme entre dans le processus révolutionnaire. En accueillant la réforme tu fais marcher la révolution ». (11 juin 1969) D’ailleurs l’expérience montre que les concessions ne servent à rien. Après avoir acceptés d’être ordonnés diacres selon le rite réformé six missionnaires de la société des Missionnaires de la Miséricorde Divine, au diocèse de Fréjus-Toulon, sont aujourd’hui toujours, en vain, en attente d’une ordination selon le rite traditionnel, conformément à leurs constitutions.
On peut légitimement se demander si, au fond de tout cela, le tort principal du pèlerinage de Chrétienté- et de son homologue le pèlerinage de Tradition Chartres-Paris-, par sa jeunesse, son dynamisme, son caractère international ne serait pas d’être le reproche vivant de l’échec des pastorales qui devaient renouveler l’Eglise et l’ont menée à la ruine. « Leur comportement nous est un reproche vivant, leur seule présence nous pèse « (Sg 2,14) Puisse le pape Léon XIV rendre la paix liturgique à l’Eglise, paix qui ne pourra reposer que sur la reconnaissance de la légitimité de la fidélité à une liturgie et aux pratiques qui ont été l’âme de l’Eglise pendant des siècles !
Jean-Pierre Maugendre