Voici la lettre ouverte d'Alain Toulza adressée à M. Todeschini, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants :
"Monsieur le Secrétaire d’Etat,
Des circonstances exceptionnelles dont je n’étais pas maître m’ont empêché de vous adresser plus tôt la présente lettre ouverte, à la fois en tant que vice-président d’une association concernée par toutes les commémorations de la Grande Guerre – DRAC (Droits du Religieux Ancien Combattant) – et président de l’Association France-Sénégal (AFS) que j’ai fondée en 1987 avec le concours du président Léopold Sedar Senghor et de l’ancien ministre Maurice Schumann co-présidents d’honneur, enfin en tant que pupille de la Nation.
Vous avez manifesté le plus grand mépris pour l’indignation qu’a soulevée, dans les rangs des anciens combattants (et bien au-delà), le lamentable projet d’inviter, au nom de la « diversité » un prétendu petit-fils de « tirailleur sénégalais », rappeur de son état, pour faire entendre ses vociférations dans le cadre unique – et d’autant plus solennel – de la cérémonie mémorielle de la bataille de Verdun, laquelle a pris, au long des décennies, un caractère hautement symbolique pour la Nation. Que cet individu ait prétendu (mensongèrement, qui plus est, c’est aujourd’hui certain) être le petit-fils d’un ancien combattant guinéen (guerre de 1939-1945) ne change rien à l’affaire : d’une part, la contribution des combattants guinéens à la Grande Guerre a été infinitésimale comparée à celle des centaines de milliers de jeunes Français tués, ou même des combattants américains, anglais ou canadiens ; d’autre part, il ne suffit pas d’être petit-fils ou arrière petit-fils d’un soldat ayant servi sous le drapeau français, même s’il est mort pour la France (ce qui n’a pas été revendiqué dans son cas) pour justifier l’honneur (oui, l’honneur) de participer en première ligne à une cérémonie de ce niveau. Il y faut, pour le moins, un peu de sérieux et de dignité et, surtout, surtout, une empathie profonde pour ce pays et pour ses enfants, morts ou vivants, et non pas des crachats.
Votre mépris illustre parfaitement le gouffre moral, spirituel et culturel aussi, dans lequel la France s’enfonce, avec une vitesse accélérée depuis l’instauration du gouvernement auquel vous appartenez. Vous et les maîtres que vous servez sans état d’âme ne pouviez ignorer la haine antifrançaise dont le triste Alpha Diallo témoigne dans ses « chansons » : « Je baise la France, cette pauvre conne, pays de Kouffars ». L’état d’esprit dans lequel il se préparait à produire son concert grand-guignolesque témoigne d’ailleurs des sentiments qui auraient dominé dans cette prestation sacrilège : « C’est de la scène (…) alors je réponds présent (…). On va s’amuser ». On va s’amuser ! Au cours des vingt années de coopération que j’ai passées au Sénégal (1969-1989), j’ai approché quelques combattants autochtones de la Grande Guerre et je puis affirmer qu’ils auraient eu honte, eux qui ont tant aimé la France, d’être représentés par un tel olibrius. Ils n’auraient pas eu envie de s’amuser. S’il avait abouti, ce projet eût été une insulte à leur mémoire également. Y avez-vous seulement songé ?
Moi aussi j’ai honte, pour vous et pour notre pays, de ce que vous ayez prévu de financer la manifestation indigne qui nous était promise. Mais, Dieu merci, le pire a été évité.
Moins attristant, certes, mais tout de même déplacé et mal vécu par ceux des anciens combattants que j’ai pu interroger, le spectacle organisé avec votre concours au beau milieu du champ de tombes. L’objectif du scénariste n’est pas en cause, ni la symbolique des mouvements, ni non plus la gravité du jeu des jeunes acteurs et, de ce point de vue, on ne peut véritablement faire à ces personnes le grief d’intention sacrilège. Mais, voyez-vous, il n’est pas digne, il n’est pas respectueux de la mémoire des morts que de courir dans un cimetière et d’en faire un lieu de gesticulations, quel que soit le but poursuivi. L’esthétique du spectacle n’enlève rien à son indécence. Je me permettrai d’emprunter ici trois citations que le journaliste Vincent Tremolet de Villers a mises en exergue dans une tribune récente du Figaro :
- « le silence des consécrateurs convenait au repos des hommes qui avaient accepté en silence, qui avaient souffert en silence, qui étaient morts en silence » (Montherlant).
- « Dans nos temps de profanation intégrale il n'y a plus ni silence ni recueillement. Ni dignité, même (…) » (Alain Finkielkraut)
- « On oubliera… Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qui l'aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois… » (Roland Dorgelès dans Les Croix de bois).
J’y ajouterai cette strophe de Péguy dans La tapisserie d’Eve :
« Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de guerre
Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence »
Certes, le silence n’est pas très prisé dans les milieux politiques, mais en la circonstance, vous auriez pu laisser ceux qui en pratiquent les vertus témoigner de sa fécondité dans des âmes qu’on désire élever au niveau du sacrifice de leurs aînés.
Mais était-ce le but de ce spectacle ? J’ai bien peur que non et qu’il ait eu surtout pour objectif de servir des intérêts politiciens nettement perceptibles dans les discours officiels du 29 mai. La chorégraphie orchestrée au milieu des tombes était porteuse de trois projets blessants pour les soldats qui gisaient là et dont on a piétiné la mémoire : une approche falsifiée de l’histoire, une captation d’héritage et un dévoiement de sensibilité.
Une approche falsifiée de l’histoire. Dans la grande tradition de l’autoflagellation à laquelle les populations françaises ne cessent d’être contraintes, cette chorégraphie, mêlant jeunes allemands et jeunes français dans des simulacres de corps à corps, tend à faire accroire que les deux nations ont eu part égale dans la boucherie dont Verdun fut le théâtre. C’est mettre dans le même sac l’envahisseur et le défenseur du sol national – le risque étant inexistant, hélas, que quelques uns des héros ensevelis à Douaumont se relèvent pour flanquer une raclée méritée aux cuistres qui font mine d’ignorer comment ils en sont arrivés là – ; c’est effacer cette vérité pourtant incontournable que la déclaration de guerre a été le fait de la Prusse dont les troupes ont, d’ailleurs, déferlé d’abord sur la Belgique, pourtant pays neutre ; c’est cacher que nous avions si peu envie d’une guerre que, même si la Chambre a, par prudence, porté en 1913 la durée de conscription à trois ans, notre armée se trouvait, en août 1914, dans un état d’impréparation manifeste (notamment en termes d’artillerie et d’aviation) ; c’est oublier (volontairement) que notre pays a été le seul à autoriser des campagnes pacifistes, dont Jaurès a payé le prix à la veille des premiers affrontements. Les démêlés austro-serbes ne nous concernaient pas directement et nos rivalités coloniales avaient finalement été tant bien que mal résolues. Et Viviani a tout tenté pour éviter la rupture avec l’Allemagne allant, fin juillet 1914, jusqu’à faire reculer nos armées 10 kms en arrière.
Nul esprit de revanche ni même de rancune dans ce rappel mais tout de même un souci de vérité et de justice. Je suis de ceux qui se sont réjouis de la réconciliation entre la France et l’Allemagne, telle que de Gaulle et Adenauer l’ont voulue, et qui ont ressenti de l’émotion dans le geste symbolique (et digne) de Mitterand prenant la main de Kohl, sans pourtant exiger de l’Allemagne (qui, elle, n’est pas une adepte du mea-culpisme permanent) qu’elle reconnaisse sa responsabilité première dans le déclenchement de la guerre. Mais, ce 29 mai 2016, il s’agissait de tout autre chose, il s’agissait d’un renoncement à une France souveraine et de sa dilution dans une Europe à la remorque de l’Allemagne qui en est redevenue d’une autre façon la nation dominante.
Une captation d’héritage. Ici encore, c’est se moquer de nos morts que de laisser entendre qu’ils ont sacrifié leur vie pour que les générations nouvelles puissent vivre dans la paix. Il est évident qu’ils se réjouiraient aujourd’hui de voir régner cette paix entre les deux peuples si souvent opposés mais il est non moins évident que ce pourquoi ils se sont battus à mort, c’est pour empêcher l’ennemi de s’emparer de leur terre. Ils ont tout simplement sacrifié leur vie pour sauver la France. Point final. Et l’héritage qu’ils nous ont légué, c’est une France libre.
Dans un éloge funèbre des soldats de sa division prononcé le 11 novembre 1916 sur leurs tombes dans un cimetière de Verdun, l’aumônier militaire divisionnaire Thellier de Poncheville, auteur de l’ouvrage Dix mois à Verdun, eut ces paroles qui constituent le legs moral de ces héros :
« Tant qu’il restera debout un survivant de nos mêlées, tous nos morts devront revivre avec lui et se dresser devant les fils des générations nouvelles, pour leur ordonner de se consacrer généreusement, comme nos camarades l’ont fait eux-mêmes, au bien de leur patrie. Car ils ne se sont pas consumés dans l’abîme de leurs longues fatigues et de leur immolation pour assurer à d’autres le droit de jouir en égoïstes d’une tranquillité si durement conquise. Ils attendent de cette promotion de la paix qu’elle témoigne par ses œuvres qu’ils ont eu raison de se sacrifier pour elle. »
L’amour de la patrie est évidemment l’ultime message des morts et survivants de la Grande Guerre. Mais vous et tous ceux de votre gouvernement l’avez travesti en un discours pour une union européenne intégrée, alors que cette union là, vous le savez bien, le peuple de France l’a rejetée à une majorité indiscutable, au contraire d’une Europe des patries. C’est bien d’une captation d’héritage qu’il s’agit.
Un dévoiement de sensibilité. Vous connaissez cette formule de Lao Tseu : « Quand le doigt montre le ciel, l’imbécile regarde le doigt ». En attirant l’attention de la foule sur un spectacle scénique, vous avez escompté qu’elle ne retiendrait de cette journée de commémoration que sa chorégraphie. L’effet pervers s’est bien produit, pas seulement sur des imbéciles mais jusqu’à désorienter la sensibilité de personnalités généralement mieux armées, faisant passer au second plan la réalité tragique des combats, plus épouvantable qu’une ruée subite entre les tombes, et substituant celle-ci à l’hommage vibrant que toute la Nation devait à ses enfants immolés, ainsi que le préconisait la strophe célèbre de Victor Hugo « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie, ont droit qu’à leurs tombeaux la foule vienne et prie ». Il est donc clair que ce spectacle n’avait pour objectif que d’aider à promouvoir la cause de cette Europe désintégrante (celle que ses chefs d’Etat les plus en vue ont livrée à un scénario obscène et satanique pour l’inauguration du tunnel du Saint-Gothard), ce que le rappel des heures d’héroïsme et d’horreurs que nos soldats ont affrontées aurait eu du mal à justifier.
De tout cela ressort le fait que vous n’avez évidemment pas consulté les grandes fédérations d’associations d’anciens combattants, comme si une commémoration de guerre ne les concernait pas au premier chef, elles qui représentent pourtant ceux que ces cérémonies veulent honorer. C’est dire, ici encore, votre mépris des valeurs que ces associations incarnent, vous dont la tâche principale est d’être à leur écoute !…
Je conclurai par cette citation de l’écrivain socialiste Charles Péguy tout à fait appropriée aux circonstances :
« Les intellectuels modernes (sous sa plume, l’épithète était péjorative), le parti intellectuel moderne a infiniment le droit d’avoir une métaphysique, une philosophie, une religion, une superstition tout aussi grossière et aussi bête qu’il est nécessaire pour leur faire plaisir (…) Mais ce qui est en cause et ce dont il s’agit, ce qui est en débat, c’est de savoir si l’Etat moderne a le droit, et si c’est son métier, son devoir, sa fonction, son office, de se l’assimiler, de l’imposer au monde en mettant à son service tous les énormes moyens de la gouvernementale force (…). Oui, j’accuse le bloc (des gauches), et nommément dans le bloc le parti intellectuel moderne, d’avoir une métaphysique officielle, une métaphysique d’Etat, et de vouloir l’imposer à tout le monde par les moyens de la force gouvernementale, ce qui est attentatoire à notre vieille amie la très honorable liberté de conscience, et très formellement aux principes et au texte de la déclaration de l’homme et du citoyen » (in Onzième cahier de la quinzaine, huitième série).
Je vous salue tristement."