"La loi Taubira ouvrant le mariage civil à deux personnes de même sexe a été votée voilà cinq ans. Ce recul permet de la resituer dans le temps long du devenir de notre société. Cette loi est une étape dans un processus puissant et profond qui continue à se déployer aujourd’hui. Le débat actuel sur « la PMA pour toutes », voire sur la GPA, en est la suite logique. Faire le bilan de la loi Taubira, c’est donc la resituer dans cette logique de la modernité tardive, radicalisant les principes de la modernité, au premier chef les droits de l’individu comme fondement de la vie sociale et politique.
Comme l’ont bien montré des auteurs comme Claude Lefort ou Marcel Gauchet, la doctrine des « droits de l’homme » qui a pu apparaître aux yeux du marxisme triomphant comme obsolète a repris du service à partir des années 1960/1970, à l’occasion du développement de la technique et de l’Etat-Providence. En effet, ont ainsi été rendues possibles une individualisation du rapport de l’individu à lui-même, notamment à son propre corps, et surtout une mise à distance, voire une négation, de l’ordre naturel qui semblait jusque-là peu ou prou normatif.
Relativement au sujet qui nous intéresse ici, la revendication homosexuelle, il faut souligner l’importance matricielle de la mentalité contraceptive qui a révolutionné la conception de la sexualité humaine. Si l’on peut penser le corps sexué en excluant totalement sa dimension procréatrice au bénéfice de sa seule dimension relationnelle, alors l’homosexualité sera considérée comme l’usage possible d’une fonction neutre : la sexualité ; l’hétérosexualité ou la bisexualité en étant deux autres. Dans ce nouveau paradigme, aucune n’apparaîtra comme plus légitime que les deux autres. Ainsi la voie était ouverte, dès le début des années 1970, pour une reconnaissance sociale de l’homosexualité. Tel a été le moment crucial des débats sur le PaCS, à la fin des années 1990 : inscrire dans la loi la reconnaissance d’une conjugalité de même sexe.
Puisque la sexualité n’est plus socialement valorisée en raison de son lien intrinsèque à la procréation et à l’éducation de nouveaux membres de la communauté politique, au nom de quoi refuser de reconnaître la valeur de « l’amour homosexuel » ? Ainsi, en parallèle des autres revendications des « minorités dominées », c’est au nom de son identité discriminée que l’individu exige des institutions publiques une reconnaissance de légitimité. On assiste ainsi à une sorte de chassé-croisé : la sexualité qui avait été, dans un premier temps, privatisée et individualisée (critique du pouvoir normatif contrôlant la sexualité des individus) est devenue ensuite le vecteur d’une inscription dans le champ politique. Opération effectuée par la victimisation dont le drame du sida a été l’occasion.
A partir du moment où la notion de conjugalité homosexuelle a été reconnue, il était évident que cette nouvelle situation créait une situation discriminatoire entre les couples pouvant se marier et ceux ne le pouvant pas, discrimination que la loi Taubira a supprimée. Mais à son tour, celle-ci a créé une discrimination à l’intérieur des couples mariés, puisque certains peuvent accéder à la filiation et pas les autres. Face aux différentes formes d’infertilité (biologique mais aussi « sociale »), il convient donc d’ouvrir les moyens techniques à tous les couples quels qu’ils soient ; et même à tous les individus puisque les dimensions procréative et relationnelle de la sexualité ont préalablement été disjointes. Ainsi la logique se déploie inexorablement parce que, dans tout raisonnement, si on a validé les prémisses, on ne peut qu’arbitrairement et contradictoirement refuser la conclusion à laquelle elles conduisent.
En cette année où nous fêtons les cinquante ans de l’encyclique Humanae vitae sur la régulation des naissances du bienheureux Paul VI, il est urgent de revenir à la racine anthropologique et morale de notre situation politique et sociale. Soulignons que la prochaine étape du processus en cours est la pénalisation de toute présentation de la sexualité humaine à partir du lien constitutif entre les dimensions procréatrice et relationnelle, au titre de son caractère « homophobe ». Certes la liberté religieuse pourra être invoquée pour contrer l’attaque mais alors sera de facto validée la confessionnalisation d’une telle position. Or il s’agit là d’une question anthropologique accessible à la raison humaine et non pas l’objet de la seule approche religieuse. Ainsi nous voyons que « tout est lié » et que la loi Taubira, inscrite dans sa logique, peut être l’occasion d’une prise de conscience radicale, théorique et pratique. Ne laissons pas passer l’occasion !"