Du Colonel (e.r) François-Régis Legrier dans Conflits, à propos de l’opération Sentinelle, créée en 2015 dans le contexte des attentats :
[…] En 10 ans, cette opération a certes évolué, mais sans jamais être vraiment remise en question. La surveillance statique a été remplacée – non sans mal – par une surveillance dynamique proche du contrôle de zone, mode d’action bien connu des militaires. Les effectifs déployés ont été aussi réduits – là aussi non sans mal – au profit d’un dispositif plus souple limitant le déploiement à quelques milliers de soldats en temps normal, mais prévoyant un système d’alerte régulièrement testé avec succès à chaque grand événement.
Ces évolutions pour positives qu’elles soient ne doivent pas masquer le sujet de fond. Il se passe pour Sentinelle ce qui est advenu avec Vigipirate : le provisoire est devenu permanent, mais à une échelle plus importante. En effet, ce sont plusieurs milliers de soldats, principalement de l’armée de Terre, qui sont ainsi mobilisés pour des missions de surveillance et qui ne peuvent donc se consacrer à leur métier premier qui est de s’entraîner au combat en haute intensité. Or, les conflits en Ukraine et au Proche-Orient pour ne citer qu’eux nous rappellent quotidiennement l’urgence de disposer d’une armée réactive, équipée et entraînée sur ses matériels.
Tout en rappelant les effets bénéfiques de cette opération, il convient donc de la réévaluer à l’aune des enjeux actuels et de proposer d’autres pistes pour que le concours des armées à la protection du territoire national soit le plus efficient possible.
Effets bénéfiques de l’opération Sentinelle
L’opération Sentinelle a eu essentiellement trois effets bénéfiques.
Le premier est d’avoir eu un effet rassurant sur la population au moins dans un premier temps, effet conforté par la neutralisation d’un certain nombre de terroristes par des militaires de Sentinelle, notamment au Louvre en février 2017 et à Orly en mars de la même année.
Le deuxième fut la fin de la baisse continue des effectifs du ministère de la Défense. L’armée de Terre, principal contributeur de l’opération Sentinelle a « sauvé » ainsi 11 000 postes destinés à être supprimés et a pu conserver une force opérationnelle à 77 000 hommes au lieu de 66 000 comme prévu dans le Livre Blanc de 2013.
Le troisième effet est d’avoir permis l’acculturation des cadres de l’armée de Terre[4] aux problématiques du territoire national permettant de corriger un état d’esprit « OPEX centré » parfois oublieux de la finalité première d’une armée. Cette acculturation a d’ailleurs été à double sens en ce qu’elle a permis aux forces de sécurité de mieux connaître les armées et de développer une meilleure synergie opérationnelle entre forces de l’ordre et militaires.
Une opération en décalage avec le nouveau contexte stratégique
Néanmoins, ces effets bénéfiques ne suffisent pas à justifier le maintien de cette opération dans un contexte stratégique qui a basculé et qui nécessite de réajuster nos priorités. Parmi celles-ci, deux au moins se dégagent à court terme : la capacité à soutenir un conflit de haute intensité et la protection de nos territoires d’outre-mer.
Il semble que les leçons n’aient pas été suffisamment tirées des conflits se déroulant actuellement en Ukraine et au Proche-Orient. La période des opérations extérieures décidées et menées par les Occidentaux dans le cadre de la lutte antiterroriste avec des effectifs limités et des moyens de haute technologie est manifestement révolue. Le retour des opérations à grande échelle engageant plusieurs centaines de milliers d’hommes dans la durée doit faire prendre conscience de la nécessité de réorienter notre effort vers l’entraînement au combat en haute intensité et de mettre fin au morcellement des missions données à l’armée de terre qui menace la cohérence de sa préparation opérationnelle.
Si la France veut peser au Proche-Orient et sur le flanc est de l’Europe, elle doit retrouver une crédibilité qui passe par la masse et la cohérence, les deux étant indissociables. Cette crédibilité repose sur la capacité à projeter a minima une brigade équipée de tous ses matériels (environ 5 à 6 000 hommes) sur un point chaud et non pas une compagnie ou un bataillon qui donne l’illusion de…
Le premier jalon pour retrouver cette capacité est de concentrer les efforts et d’arrêter l’éparpillement des missions au premier rang desquelles Sentinelle. Le deuxième jalon est doctrinal : il consiste à redéfinir notre politique de dissuasion limitée aujourd’hui à l’emploi (ou plutôt le non-emploi) de l’arme nucléaire pour y inclure les forces conventionnelles et en faire un outil de politique étrangère crédible.
La préparation au combat en haute intensité n’est pas le seul enjeu des armées, la protection de nos territoires outre-mer soumis à des ingérences de plus en plus graves de certains de nos compétiteurs doit aussi redevenir une priorité et conduire à une augmentation significative des moyens terre, air, mer pour protéger nos territoires et nos zones économiques exclusives. Fidèle à leur « rôle social », les armées doivent aussi avoir les ressources nécessaires pour développer des unités qui ont fait leurs preuves : les régiments du service militaire adapté facilitant l’insertion professionnelle de plusieurs milliers de jeunes ultramarins chaque année.
Pistes de réflexion
La solution la plus simple serait de transférer Sentinelle aux forces de l’ordre dont c’est la mission première que d’assurer la sécurité sur le territoire national. Rappelons notamment que la gendarmerie est une force militaire dédiée à la protection du territoire national. Bénéficiant d’une réserve opérationnelle d’environ 50 000 hommes et femmes de très grande qualité, ayant des modes d’action similaires à ceux de l’armée de terre et bénéficiant d’une excellente connaissance du terrain, elle semble particulièrement bien indiquée pour reprendre à son compte cette mission.
Parallèlement à ce transfert, le rôle de l’armée de terre dans la protection du territoire national mérite d’être revu pour passer d’un stade de « supplétif » des forces de l’ordre à celui d’acteur à part entière dans le cadre de la défense opérationnelle du territoire, concept périmé depuis la fin de la guerre froide, mais qui, demain, pourrait revenir à l’ordre du jour si la situation intérieure venait à s’aggraver sous l’influence de puissances étrangères.
À cet égard, l’hypothèse d’un engagement de l’armée dans certains quartiers devenus « zones de non-droit » n’est pas si absurde que cela. La guerre hybride est un concept qui recouvre une réalité : celle de la porosité entre le grand banditisme, le trafic de drogue, et les ingérences étrangères pour déstabiliser notre pays. Reprendre en main des quartiers en passe d’être contrôlés par ces puissances étrangères et où les armes lourdes circulent en toute impunité est une mission à laquelle doivent se préparer les forces armées, car elle arrivera de toute façon tôt ou tard.
Biem
“plusieurs milliers de soldats, principalement de l’armée de Terre, qui sont ainsi mobilisés”…. Bof bof.
La France se faisant botter le cul en Afrique, ça fait autant de militaires libérés de leur tâche de police externe qui peuvent se consacrer à une tâche de police interne.
Janot
Faut demander à Macron, c’est lui le chef et il s’y connaît (non, je plaisante, vous l’avez compris)