Le journaliste Sylvain Mouillard n'a visiblement rien compris aux veilleurs :
"Ils arrivent par petites grappes, en silence. Prennent place derrière une banderole plaquée au sol, bardée des mots «respect», «amour», «paix», «non-violence».
Tous ont une bougie, qu’ils déposent soigneusement à leurs pieds.
Jeudi, 21 h 30 sur la place du marché, à Versailles. Les «Veilleurs» des
Yvelines se sont donné rendez-vous pour une nouvelle soirée
de méditation. Ce comité – l’un des plus actifs parmi les 150 du pays –
organise sa sixième «veillée» contre la loi sur le mariage pour
tous. Une foule de tous âges, blanche dans son immense majorité,
s’assied tranquillement en tailleur. Les plus prévoyants ont des sacs
plastique ou de vieux journaux pour s’isoler du sol humide. La plupart
sont catholiques pratiquants. Mais ils insistent : «Notre mouvement est apolitique et non confessionnel.»«Etre fragile». Depuis
mi-avril, ils se réunissent au même endroit, tous les jeudis. Au
programme : des chants scouts et militaires, des lectures de textes de
Ionesco, Saint-Exupéry… L’ambiance est studieuse. Il ne faut pas rester
debout, les ados qui parlent un peu trop fort sur les côtés se font
ramener à l’ordre. Les quelque 200 participants sont convaincus d’être
l’avant-garde éclairée de la «résistance». «Souvenez-vous de Jean Paul II, notre bon pape : n’ayons pas peur d’affirmer nos convictions»,
lance Pierre, un des organisateurs. Chaque intervention est saluée par
l’assistance, qui agite les mains en l’air en signe d’approbation.
Pendant deux heures, on entend sans discontinuer les mêmes récits. Ceux
d’une «démocratie bafouée» et d’une attaque contre «les fondements de notre civilisation». Il s’agit de défendre «l’ordre naturel» ainsi que «l’enfant», cet «être fragile». Régulièrement, un intervenant rappelle que le mariage, c’est «l’union entre un homme et une femme en vue de procréer». Surtout pas l’officialisation de l’amour de deux personnes de même sexe, «même si on n’a rien contre les homosexuels». «Il est inconcevable que des personnes stériles de fait puissent se marier et demander des enfants», résume Eric, grand gaillard de 56 ans.Au micro, Benoît mène la soirée. Il fustige le gouvernement, «ses mensonges» et «ses humiliations», avant de s’attarder sur les arrestations de dimanche soir aux Invalides, à l’issue du défilé de «la manif pour tous». «Il y a une suspicion que les débordements ont été provoqués par les forces de l’ordre», croit-il savoir. Le jeune homme fait un récit épique de la nuit qui a suivi. Il est question de manifestants, «les yeux rouges et remplis de larmes», assaillis par des «hordes de CRS», mais qui «se serrent très fort» et font face, «silencieux et paisibles». Tant et si bien qu’un CRS «hésite à les rejoindre et à allumer une bougie à son tour».
Points Godwin. Les Veilleurs
ont aussi leurs martyrs. Comme cet officier de réserve, formé à
Saint-Cyr, dont la lettre est lue pendant de longues minutes. Le
militaire témoigne de son arrestation «arbitraire». La foule acquiesce, atterrée. En deux heures de cérémonie, les points Godwin s’enchaînent. «Ce
qui se passe aujourd’hui est aussi grave que ce qui a été fait pendant
la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas pire d’obliger quelqu’un à
porter une étoile jaune que de priver un enfant d’un papa et d’une
maman», lance Benoît, le maître de cérémonie. On parle d’un «carcan totalitaire», de «rafles policières», d’une théorie du genre «révisionniste».«L’idéologie du genre», justement. Voilà le nouveau combat
des Veilleurs, qui peaufinent leurs éléments de langage pour les
semaines à venir. Contre ce «rouleau compresseur qui nie la différence des sexes», il faut se mobiliser. Les «défenseurs de la civilisation» manifesteront lundi devant l’Assemblée nationale contre le projet de loi Peillon sur la refondation de l’école. «On sait que la situation est difficile, reconnaît pourtant Eric. Il ne nous reste plus que l’espérance.» Amen."