Un article de Claves :
Aux origines : l’école uniquement privée !
La première remarque importante, s’agissant du statut de l’école publique ou libre en France, est que l’enseignement a d’abord uniquement été privé ! Au-delà des institutions domestiques qui existaient déjà dans l’antiquité (précepteurs, groupement d’élèves autour d’un maître), les premières écoles étaient monastiques, puis cathédrales, c’est à dire protégées (et financées) par un abbé ou un évêque. Bien sûr, Charlemagne, suivant le conseil de son ami Alcuin, avait eu la volonté d’encourager l’instruction : mais chacun sait qu’il n’est pas l’inventeur de l’école, encore moins celui de l’école publique. Et ainsi, les grands noms du monde intellectuel médiéval appartenaient à ces institutions religieuses et privées : Pierre Abélard, Anselme du Bec (saint Anselme), Yves de Chartres… avant l’apparition, au début du XIIIème siècle, des premières universités (Oxford, La Sorbonne, Bologne). Là encore, l’initiative et les financements étaient privés, même si l’ampleur du phénomène conduisit bientôt l’Etat à s’y intéresser, d’abord pour des raisons d’ordre public.
De la Révolution à la Troisième République
Ce n’est que lorsque la Révolution prit sur elle-même de mettre dehors religieux et congrégations, avec toutes les institutions ecclésiastiques, qu’elle se trouva par là-même chargée de réorganiser l’immense entreprise de la charité et de l’enseignement jusque là assumée par l’Eglise. Les débuts ne furent guère brillants, et la France du début du XIXème siècle, de la Terreur à l’Empire, connut une réelle régression du niveau d’instruction, malgré les tentatives de restructuration sous la Convention puis sous Bonaparte. L’enseignement public connut des atermoiements : le financement par les communes fut prévu puis révoqué, et la principale concurrence des écoles congréganistes vint un temps d’écoles dites « mutuelles », aux fonds entièrement privés.
Premier acte législatif marquant sous la monarchie de Juillet, la loi Guizot de 1833 permet à nouveau l’ouverture d’écoles privées, tout en prévoyant l’institution d’un enseignement public et gratuit pour les garçons d’âge primaire, dont la gestion et déléguée aux communes.
Adoptée après de vif débats sous le Second Empire, la loi Falloux (1850) entend favoriser la liberté de l’enseignement pour éviter la sclérose ou l’endoctrinement par une instruction publique monopolistique. Elle permet la liberté de l’enseignement secondaire et prévoit le financement des écoles libres jusqu’au dixième des dépenses annuelles de l’établissement. C’est encore dans ce cadre que les communes, départements et régions apportent leurs concours financiers aux écoles primaires, collèges et lycées privés.
Sous la Troisième République, à une époque où les effectifs de l’enseignement public et libre sont presque équivalents, Jules Ferry institue l’école primaire laïque, gratuite et obligatoire, excluant les représentants des cultes de toutes les instances de l’instruction publique. Peu à peu les congrégations sont chassées du monde de l’éducation, et bientôt même de France (lois de 1901 sur la liberté d’association, de 1904 interdisant l’enseignement à tout membre d’une congrégation, de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat).
La situation se détend relativement après la Première Guerre, et à la fin des années 1930, la moitié peu ou prou des élèves du secondaire sont encore élèves dans des écoles privées. La rapide croissance démographique des l’après-guerre pose le défi de la croissance : incapable de répondre à cette demande qui explose, l’enseignement catholique voit sa « part de marché » régresser autour de 20%. Sous la IVème République, une loi prévoit le versement d’une allocation à tous les élèves du primaire, permettant un financement plus équitable des écoles publiques ou privées, au pro-rata de leur nombre d’élèves.
La loi Debré et son interprétation
La loi qui fait actuellement encore le cadre de l’enseignement libre est dû à Michel Debré, premier locataire de Matignon sous la Vème République. Suite à une note rédigée par ce dernier début 1959 sous l’impulsion du président De Gaulle, un projet de loi de compromis fut présenté, rapidement combattu par les partisans de l’enseignement libre comme par les associations laïques. Imposée manu militari par De Gaulle au gouvernement et au parlement, la loi Debré propose aux écoles privées de souscrire avec l’Etat un contrat assurant la rémunération des enseignants, en contrepartie d’un contrôle administratif, pédagogique et financier. Le texte qui se voulait unificateur reconnaît à ces écoles un « caractère propre », défini de manière assez restrictive, mais dans lequel Debré voyait un « tout » qui inclut l’aspect confessionnel de l’enseignement, tout en précisant que doit être respectée la liberté de conscience de tous les enfants dont les parents souhaiteront l’inscription, sans distinction. Dans la mentalité de l’époque, reflétée par l’exposé des motifs qui sert de préambule au texte de loi, on distinguait (encore) clairement entre l’instruction, qui devait être harmonisée quel que soit le régime de l’école, et l’éducation, dont la légitime diversité pouvait être conservée et encouragée.
Le cadre de la loi Debré, jugé insatisfaisant dès le départ, et sujet à des interprétations parfois contraire, fut bientôt remis en cause. La fameuse « guerre scolaire » de 1984 était déjà contenue dans le « programme commun de la gauche » porté aux élections présidentielles de 1981 par François Mitterrand. En-deçà des désirs de la gauche radicale, qui souhaitait la nationalisation pure et simple de l’enseignement, la loi Savary de 1984 prévoyait la « fonctionnarisation » des professeurs du privé. Les réactions hostiles de part et d’autre conduisirent le président à retirer le projet de loi, entre-temps durci par l’Assemblée Nationale malgré le blocage du Sénat.
Par la suite, l’interprétation de la loi Debré fut encore le sujet de plusieurs débats, interrogeant profondément les catholiques sur le statut de leurs établissements privés, dans un contexte de crise de l’école publique et de développement de l’enseignement hors-contrat.
L’enseignement libre : mode de fonctionnement
Quel est aujourd’hui le véritable cadre de l’école sous contrat ?
Derrière chaque école catholique se trouve une institution de droit privée, appelée « OGEC » (Organisme de Gestion de l’enseignement Catholique), qui en assure la gestion financière et employé tous les personnels en-dehors des professeurs, parmi lesquels bien sûr le chef d’établissement. Ce dernier est directement nommé par l’autorité de tutelle (évêque ou congrégation religieuse), après concertation avec l’OGEC. Le cadre de son action est défini par les Statuts de l’Enseignement Catholique. Les professeurs, quant à eux, sont considérés depuis 2005 comme des agents publics de l’Etat, soumis à une double ligne hiérarchique publique (exercée par le rectorat par le biais des inspecteurs académiques) et privée (dans le cadre de l’établissement). Leur nomination est le résultat d’un accord entre les instances de l’Education Nationale et le chef d’établissement.
Le financement des écoles privées est donc seulement partiellement assuré par l’Etat, qui rémunère les professeurs titulaires (recrutés par concours) et contractuels. Les communes, départements et régions contribuent à hauteur de 10% aux autres dépenses des établissements, dont le reste des fonds est d’origine totalement privée (essentiellement les droits de scolarité payés par les familles). Sur le budget total d’une école privée, les fonds se répartissent ainsi en règle générale pour moitié entre l’origine publique et privée.
Enseignement catholique : que dit l’Eglise ?
Que dit l’Eglise ? À plusieurs reprises, les papes ont insisté sur la nécessité d’offrir aux enfants baptisés une éducation chrétienne : il s’agissait pour le pape Benoît de l’un des trois « principes non-négociables » à défendre de manière urgente dans les sociétés modernes[1]. Le Code de Droit Canonique affirme encore le droit et le devoir pour les parents, conjointement avec l’Eglise, d’éduquer leurs enfants en catholiques et de choisir les institutions et les moyens qui y pourvoiront au mieux. Il prévoit que « les parents confieront leurs enfants aux écoles où est donnée une éducation catholique »[2], que « l’Eglise a le droit de fonder et de diriger des écoles de toute discipline, genre et degré »[3], et que « l’Ordinaire du lieu [l’évêque] a le droit pour son diocèse de nommer ou d’approuver les maître qui enseignent la religion »[4]. Il appartient ainsi au droit de l’évêque de veiller sur les écoles catholiques de son territoire et de les visiter[5].