Docteur en droit et agrégé d’histoire du droit, le professeur Jean-Louis Harouel publie un ouvrage sur les droits de l'homme (Les Droits de l'homme contre le peuple, Desclée de Brouwer). Il est interrogé par Olivier Frèrejacques dans Présent du 8 juillet. Extrait :
"Autant un professeur de droit est conduit à valoriser les libertés publiques, autant il ne peut que constater que, dans leur version actuelle, les droits de l’homme annihilent nos libertés publiques – tout particulièrement la liberté d’expression – et ont un effet destructeur sur les nations occidentales. Considérée par l’historien américain Samuel Moyn comme notre dernière utopie – titre de son livre The last Utopia (2010) –, l’idéologie des droits de l’homme qui règne aujourd’hui est inspirée par une compassion cosmique indifférente aux Etats et aux nations. C’est là une conception des droits individuels profondément différente de celle des déclarations américaine et française de la fin du XVIIIe siècle, sur la base desquelles furent construites les libertés publiques des citoyens au sein des Etats-nations démocratiques. Ces deux conceptions très différentes sont d’ailleurs désignées dans la langue anglaise par des appellations distinctes : on parlait de rights of man pour les droits individuels reconnus aux citoyens en 1776 et 1789 ; et les droits de l’homme actuels sont appelés human rights, terme apparu seulement au milieu du XXe siècle. A cela répond en France la distinction entre, d’une part, les libertés publiques, centrées sur les seuls nationaux, et d’autre part, ce que l’on appelle les « droits fondamentaux » – terme introduit dans les années 1970 –, dont le principal ressort est l’obsession de la non-discrimination et dont les grands bénéficiaires sont les étrangers, systématiquement admis à tous les acquis et avantages des peuples européens.
Vous qualifiez les droits de l’homme de « religion séculière » alimentée par la gnose et le millénarisme. Qu’est-ce que cela signifie ?
Avec le recul de la foi chrétienne, la disposition religieuse de l’être humain s’est reportée – ainsi que l’ont montré Jules Monnerot et Raymond Aron – sur des religions séculières telles que le nazisme et le communisme. Aujourd’hui, c’est la religion des droits de l’homme. Dans tous les cas, les racines de ces religions de l’immanence plongent largement dans les grandes hérésies chrétiennes que furent la gnose et le millénarisme, avec leurs fantasmes respectifs de l’homme-Dieu et du paradis sur la terre. L’actuelle existence d’une religion des droits de l’homme a été mise en évidence par de nombreux auteurs tels Régis Debray, François Furet, Elie Wiesel ou le très grand juriste qu’a été le doyen Jean Carbonnier. Avatar de la religion de l’humanité, la religion des droits de l’homme a remplacé le communisme dans son rôle d’utopie de nature religieuse annonciatrice d’un avenir radieux censé instaurer le règne sans partage du bien sur la terre. […]"