Dans La Nef, Annie Laurent évoque le livre publié cette année par Mohamed Sifaoui sous le titre Hamas. Plongée au cœur du groupe terroriste :
[…] L’histoire des origines du Hamas, ses fondements idéologiques, son organisation interne (d’une extrême complexité, gage de son efficacité), sa stratégie et son avenir constituent l’essentiel de cet ouvrage qui fera date. L’enracinement de l’islamisme contemporain dans la doctrine des Frères musulmans, élaborée au début du XXe siècle par l’Égyptien Hassan El-Banna, et nonobstant la variété de ses dénominations actuelles, est une réalité bien connue. Mais – et on l’oublie souvent –, la restauration du « tout islam », promue par le frérisme pour résister à l’influence croissante de l’Europe au Proche-Orient consécutive à l’abrogation du califat par Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne, visait aussi le rejet du sionisme naissant. La création d’un État juif en Palestine serait « cause de désordre et de conflit », souligne le programme frériste. Pour El-Banna, la Palestine est une « terre d’islam », et elle l’est « pour toujours », « ce qui rend obligatoire le recours au djihad pour la délivrer du sionisme ». Telle est bien la consigne que le Hamas s’emploie à observer, comme le montre le Déluge d’El-Aqsa, nom de l’opération terroriste du 7 octobre 2023.
Cet antisionisme est présent dans la charte que le Hamas s’est donnée en 1987, moment où il acquérait l’autonomie d’un mouvement politique sans renoncer pour autant à sa matrice originelle. Mais il se double d’un « antisémitisme pathologique » reposant sur l’enseignement du Coran où les Juifs sont qualifiés de « pervers » (3, 110) et sur un récit de la tradition islamique où Mahomet conditionne la fin du monde au massacre de tous les Juifs. Cela explique pourquoi le Hamas n’accepte pas un règlement fondé sur la reconnaissance officielle de deux États, explique Sifaoui. « Il ne veut pas d’une solution pacifique mais d’une solution finale ». Le parti terroriste s’est d’ailleurs opposé aux accords d’Oslo conclus en 1993 entre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, chef de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Sur ce point, sa position rejoint celle du Hezbollah, le parti chiite allié de l’Iran, engagé depuis sa base au Liban dans un soutien politico-guerrier au Hamas. Dans un discours prononcé le 24 janvier 2024, son chef, Hassan Nasrallah, contestait toute légitimité à l’État hébreu.
« Israël est une entité préfabriquée. Israël c’est un peuple collé, constitué de personnes venues de partout à travers le monde […]. Le lien avec cette terre est basé sur la sécurité et ils considèrent que c’est la terre du lait et du miel […]. Quand ils perdront la sécurité, c’est terminé. Ce que nous voyons pour Israël ce sont ces sionistes qui ramassent leurs bagages et partent vers les aéroports, les ports et les frontières. »
La raison d’être du Hamas repose aussi sur la « légitimation religieuse », exprimée par l’islamisme. « Il nous est impossible de troquer l’islamité actuelle et future de la Palestine pour l’adoption de l’idée laïque », affirme sa charte. Un tel choix implique le rejet absolu de l’orientation plus ou moins sécularisée caractérisant les structures établies par l’OLP. Bien avant la naissance officielle du Hamas, son chef, Ahmed Yassine, avait élaboré un programme d’islamisation de Gaza. En vingt ans (1966-1986), le nombre de mosquées est passé de 70 à 150. À partir de 1973, Israël, qui occupait le territoire depuis 1967, autorisa la création de services sociaux et culturels ainsi que des instituts d’enseignement religieux fondés sur la pensée frériste. Les dirigeants israéliens, qui percevaient alors l’islamisme comme un « simple intégrisme » dépourvu de toute visée totalitaire et antidémocratique, y voyaient le moyen d’écarter la jeunesse palestinienne des milieux de la gauche. C’est aussi pour affaiblir l’OLP, rival du Hamas, que l’État hébreu laissait arriver à Gaza les aides financières arabes destinées aux islamistes. Le journaliste israélien Amir Tibon, rescapé du massacre du 7 octobre, insiste sur ce point dans le livre qu’il vient de publier sous le titre Les portes de Gaza.
Toutes ces mesures, expression du « grand aveuglement » d’Israël, explique Sifaoui, ont préparé l’islamisation systématique de Gaza programmée par le Hamas lorsque ce dernier en prit le contrôle en 2007, deux ans après son évacuation par les colons juifs et l’armée israélienne.
Quel serait le statut des non-musulmans dans une Palestine gouvernée par le Hamas ? La réponse est dans sa charte : « Il est du devoir des disciples des autres religions de s’abstenir de concurrencer l’islam dans sa souveraineté sur cette région car le jour de leur propre souveraineté serait celui des massacres, de la torture et de l’exode. » Les juifs et les chrétiens d’Israël sont évidemment confrontés à une « guerre existentielle ».
Enfin, selon Sifaoui, le lien établi par le Hamas entre patriotisme et religion dépasse les limites d’une démarche nationaliste pour s’élargir à un projet global visant à mobiliser le milliard et demi de musulmans dans le monde. « Il serait faux, et dangereusement naïf, de croire que l’action du Hamas ne se limite qu’au seul contexte palestinien », note-t-il, soulignant son influence croissante en Occident, non seulement dans les milieux musulmans « impactés par le conflit israélo-palestinien » mais aussi dans la gauche européenne « qui se laisse manipuler par le discours soi-disant “anticolonialiste” des dirigeants du Hamas ». Il s’agit donc d’un « choix stratégique » universel qui rend impensable toute correction du parti terroriste, estime aussi l’auteur, malgré l’illusion qu’il peut entretenir par des tactiques trompeuses telles que la dissimulation propre à l’islam.