Tribune d’Anne Coffinier sur Causeur, suite au rapport parlementaire concernant le financement public de l’enseignement privé sous contrat :
Haro sur l’école privée ! L’idée n’est pas nouvelle. Sauf que la donne n’est plus la même. D’un côté elle est plébiscitée par 75% des Français, qui la jugent meilleure que l’école publique (selon un sondage Odoxa/ BFM Business réalisé fin mars). De l’autre, elle est contestée dans ses financements et son ouverture sociale : 49% des sondés déclarent être favorables à une réduction ou une suppression de ses subventions publiques, ce qui est lourd de menaces.
Le retour de la guerre scolaire ?
L’urgence est donc, si l’on veut préserver l’avenir de l’école privée, d’accroitre sa transparence budgétaire et tarifaire. Plutôt que de faire de l’école privée un bouc-émissaire dont on cherche à entraver sans cesse la marche, l’heure ne serait-elle pas venue de refonder ses modalités de transparence, de contractualisation et d’évaluation pour qu’elle soit encore plus efficace et légitime?
Le rapport de la Cour des comptes de 2023 comme le récent rapport parlementaire Vannier-Weissberg sur l’école privée se concentrent sur l’enseignement privé sous contrat, sans jamais prendre en compte la dynamique qui existe entre école publique et école privée. Pourtant il est tout sauf anodin que l’Éducation nationale se voie confier la mission de contrôler les écoles privées. S’il est normal que l’Etat contrôle toute structure recevant des subventions publiques, la logique voudrait, en revanche, que ce ne soit pas l’Éducation nationale qui s’en charge. D’abord parce qu’elle perçoit les écoles privées comme des concurrentes dont elle cherche plus à endiguer l’essor qu’à en assurer la qualité. Ensuite parce que l’Éducation nationale est devenue objectivement moins performante que l’école privée, qu’elle est donc peu légitime à contrôler. La différence de performance pédagogique est tout aussi marquée : « Un élève du privé sort de troisième avec plus d’un an d’avance sur un camarade de même milieu social et avec les mêmes acquis en fin de CM2 mais qui a fait sa scolarité dans un collège public », démontre Paul Cahu, consultant pour la Banque mondiale, dans les Echos du 2 avril. Elle a en outre un moindre rapport qualité/ prix : un écolier d’une école privée primaire coûte aux finances publiques 3120 euros contre 6910 euros pour son homologue en école publique. Et un collégien du privé coûte 5544 euros aux finances publiques contre 10 409 pour son homologue du public.
Privé sous contrat : 75% de fonds publics
En matière de transparence budgétaire, il faut exiger des écoles publiques au moins autant que ce qu’on exige de leurs homologues privées, puisqu’elles sont financées à 100% par des fonds publics quand les écoles privées sous contrat le sont à 75%. L’État devrait sanctionner lourdement la non-publication si fréquente des comptes annuels des structures gérant les écoles privées. S’il est assez évident que les structures privées gèrent mieux leur budget que les structures publiques, cette transparence accrue permettrait toutefois de dissuader les appétits malsains de certains gestionnaires d’école privée en matière d’immobilier, de placements financiers ou de contrats de prestation. On verrait aussi que seulement 30% des écoles sous contrat pratiquent des tarifs progressifs. Mécaniquement, cette transparence conduirait à des pressions locales qui aboutiraient à plus de mixité sociale, sans qu’une inhumaine logique quantitative de quotas n’ait besoin d’être imposée.
Mais l’État devrait tout aussi urgemment imposer la publication du budget individuel de chaque école publique. Cette information est inexistante à ce jour. L’emballement improductif des dépenses publiques d’éducation a sans doute à voir avec cette exception française. Ces réformes seraient plus utiles que d’exiger des rapports détaillés sur l’utilisation globale des 10 milliards d’euros alloués chaque année au privé sous contrat. Rendre compte est primordial en démocratie. Encore faut-il que ce soit à une échelle qui parle aux citoyens.
L’innovation éducative bridée en France
Comme les modalités de transparence budgétaire, la gestion des contrats mérite aussi d’être refondée. La loi prévoit qu’une création d’école se fait sans contrat durant ses cinq premières années d’existence. Ensuite, elle peut demander un contrat (qui, rappelons-le, est conclu au niveau de la classe et non de l’établissement). C’est ce que le Code de l’éducation prévoit en théorie mais dans la réalité, très peu de nouveaux contrats sont octroyés. Des concepts vagues comme « le besoin scolaire reconnu » permettent à l’État de refuser le contrat sans motiver réellement son refus. Il n’y a pas de droit à contractualiser qui soit opposable. Son octroi est soumis au fait du prince et sans une intervention politique de haut niveau, il est presqu’impossible d’obtenir un contrat. Cette situation nuit à l’innovation éducative en France et à l’essor des écoles non confessionnelles. C’est par exemple le cas de l’école privée Diagonale, dont la qualité est louée au plus haut niveau de l’Etat mais qui échoue à obtenir un contrat.
Pour les établissements sous contrat en place, la situation n’est guère plus enviable. Ils dépendent du responsable du réseau auquel l’école appartient. C’est le SGEC ou le Fonds Social Juif Unifié par exemple qui se livrent à des tractations sans que les écoles elles-mêmes n’y puissent mais, alors que la loi prévoit que c’est au niveau de chaque établissement directement que les négociations devraient avoir lieu avec le rectorat. Côté État, le retrait du contrat est rarissime. Un établissement qui bénéficie de contrats ne les perd pas tant qu’il a le nombre requis d’élèves par classe, quelles que soient la qualité pédagogique, la sélection ou l’importance de l’entre soi social qu’il pratique. Autrement dit, l’écrasante majorité des contrats sont reconduits sans aucune évaluation de performance. C’est la prime à l’antériorité et à l’appartenance à un réseau d’écoles confessionnelles qui compte.
De l’air !
Pourquoi ne pas gérer plutôt les contrats selon une procédure d’appel d’offre tous les cinq ou 10 ans avec un cahier des charges public et des candidatures publiques ? Cela créerait une saine concurrence entre établissements privés. Cela suppose de mettre en place un vrai système d’évaluation de la qualité des établissements scolaires, qui n’existe pas actuellement en raison de l’effondrement du niveau du brevet et du bac. Pour veiller à la justice de l’évaluation, il faudrait aussi faire passer des tests nationaux de niveau en début et fin d’année, ou au moins en début et fin de cycles, et noter les établissements sur leur capacité à faire progresser leurs élèves par rapport à leur niveau de début d’une part, et au niveau scolaire absolu auquel ils les auront conduits d’autre part. Ces éléments seraient publiés, ainsi que les évaluations des parents, comme le fait l’OFSTED britannique. Ce dernier élément, peu habituel en France, permet de prendre en compte le niveau de satisfaction des parents dans l’évaluation de l’établissement, ce qui semble la moindre des choses, dans le cadre de la co-éducation prônée par les pouvoirs publics depuis des décennies.
Cette évolution permettrait aussi à notre système scolaire collectif de respirer, de s’adapter aux évolutions des besoins de la société et de la qualité des nouvelles initiatives éducatives. La faible évolution du paysage scolaire public ou financé par l’État est assez surprenante, alors que l’éducation – surtout à l’heure du numérique et de l’IA – devrait être un domaine privilégié de l’innovation. Il est temps de sortir de ces rentes de situation. Les nouvelles écoles créées, à condition qu’elles aient fait leurs preuves dans le cadre des évaluations réformées comme proposé, devraient jouir d’un droit opposable à passer sous contrat. Aujourd’hui, les écoles hors contrat sont bloquées dans ce statut défavorable, même quand elles aspirent à contractualiser avec l’Etat et en ont le niveau. C’est l’innovation qui est empêchée, en raison d’une entente malsaine entre une Éducation nationale, qui voit d’un mauvais œil la concurrence des écoles privées, et les baronnies des réseaux institués qui n’ont aucune envie d’ouvrir le jeu à d’autres établissements que les leurs.
Pour éviter un séparatisme social entre ceux de l’école publique et ceux de l’école privée, il est urgent d’instaurer des outils communs : des évaluations nationales communes et des obligations de transparence également communes. La feuille de route est tracée. C’est à présent une question de courage politique.
philippe paternot
haro sur l”école privée catho, quand quelque chose marche en france il veulent l’abattre