De l’abbé Danziec dans Valeurs Actuelles :
Relier le phénomène Zemmour avec l’obligation vaccinale du personnel soignant et les sévères restrictions du Pape François contre la messe traditionnelle, relèverait-il du grand écart ? A travers ce rapprochement iconoclaste, on aurait tort cependant de voir une sorte de gymnastique intellectuelle de bas étage. Au contraire, ces trois sujets, qui occupent à des degrés divers l’actualité de ces dernières semaines, cristallisent les incohérences du progressisme. Comme trois panneaux d’un même ensemble, ce triptyque met en lumière l’insupportable arbitraire de la bien-pensance. A trop se couper du réel et du bon sens, certains parmi ceux qui détiennent du pouvoir – médiatique, exécutif ou ecclésial – prennent le risque de perdre la mesure, celle-là même qui est pourtant nécessaire au bon gouvernement des hommes et des choses.
Le point d’origine des espaces de paix et de sociabilité réside précisément dans l’unicité de poids et de mesure quant aux décisions de tous ordres qui peuvent être prises. Saint Thomas d’Aquin l’enseigne dans sa Somme de Théologie : la vertu de justice, parce qu’elle consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû, réclame équilibre et proportionnalité. Celui qui est fidèle mérite d’être béni, celui qui demande humblement pardon mérite une deuxième chance et celui qui désobéit mérite d’être corrigé. Point. Sous couvert de bons sentiments, user de deux poids deux mesures, à l’inverse, sème la confusion, abîme, frustre jusqu’à finalement contrarier les liens et les relations.
Black Face : interdit car blessant.
Zemmour gribouillé en Hitler : permis car rigolo.
Premier panneau : le « Z ». On ne peut que s’étonner, et le mot est faible, de voir l’éditorialiste phare de l’émission Face à l’info sur CNews contraint de faire ses valises sous la menace du CSA. Point (encore) candidat à l’élection présidentielle, Zemmour tiendrait néanmoins un discours trop politique. Comme le faisait remarquer ingénument Pascal Praud : « Si on commence à décompter le temps de paroles des journalistes de gauche sur France Inter, il n’y aura plus que les bulletins météo ». Parlons-en justement. Que les humoristes de France Inter, radio du service public et donc payés par nos impôts, ne soient pas toujours drôles, c’est déjà dommage. Que l’une d’elles, Charline Vanhoenacker, publie sur son compte Twitter une vidéo au goût douteux où, se mettant en scène devant une affiche de Zemmour placardée dans la rue elle gribouille sur ce dernier une moustache d’Hitler, c’est carrément le naufrage. Fort heureusement le ridicule ne tue plus, mais nous savons que des maladresses peuvent vous exclure ou vous poursuivre de façon variable. La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste le résumait fort bien : « Suivant que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour vous rendront blanc ou noir ». L’usage du Black Face faisait pousser des cris d’orfraies aux militants antiracistes. Ces derniers mettront-ils un genou en terre pour Eric Zemmour grimé en Führer ?
Avec les soignants comme avec les policiers dans BAC Nord : l’Etat sans pitié.
Deuxième panneau : les soignants réticents à la vaccination. Au-delà de la circonspection d’une partie des Français sur le pass sanitaire et l’obligation vaccinale, sujet qui en vient, hélas, à cliver des familles entières à la manière de l’affaire Dreyfus autrefois, force est de constater que les méthodes du Gouvernement peinent à convaincre. Après nous avoir encouragés à applaudir les soignants à 20h pendant de longs mois, voici ces derniers voués à l’exclusion sociale, privés de leur salaire, s’ils n’acceptent pas la vaccination. Aucune alternative. A l’image du dramatique, haletant et tout récent film de Cédric Jimenez BAC Nord, c’est le sentiment d’un Exécutif fort avec les faibles et faible avec les forts qui domine. Il y avait ceux qui ne sont rien. Il y a désormais ceux qui n’ont plus rien. Et tant pis pour le personnel soignant.
« Le propre de l’idéologie est de se radicaliser au rythme où le réel la désavoue. » Eric Zemmour
Troisième panneau : un rite crucifié. La mise au pilori par le Pape François de la messe de Saint Pie V interroge bien au-delà des rangs des intéressés. Il n’y a d’ailleurs qu’à lire les dernières sorties dans la presse de Nicolas Sarkozy ou d’Edouard Philippe. Dans les pages du dernier Figaro Magazine, l’ancien président de la République se confie : « Le catholicisme ne peut être réduit à une ONG » et de regretter : « Après Vatican II, l’Eglise a trop banalisé son rite ». Quant à l’ancien Premier Ministre d’Emmanuel Macron, il avouait à notre confrère Tugdual Denis dans La vérité sur Edouard Philippe (Robert Lafont) que la guitare à la messe n’avait jamais été son truc. « Je trouve qu’il y a depuis quelques années une forme de désinvolture liturgique qui me choque ». A dire vrai, après la déroutante période du Covid, dans un grave contexte de sécularisation généralisée et devant des enjeux apostoliques extrêmement préoccupants pour la fille aînée de l’Eglise, on peine à saisir les raisons de la décision du Pape François défaisant l’œuvre de paix liturgique du Pape Benoît. Dans un texte objectivement vexatoire, des paroissiens du bout du banc, fidèles à l’Eglise, appliqués et ne demandant pour la plupart que considération et encouragement, se trouvent frappés d’interdit. Pour un Pape qui nous avait habitués aux ponts et à l’ouverture, la situation confine au mauvais gag. Ce qui favorise le recueillement, produit des vocations et soutient de nombreuses familles est pointé du doigt et marqué au fer rouge quand les graves dérives doctrinales de tout un clergé allemand bénissant des couples homosexuels ne souffrent ni sanctions ni peines. Là aussi, les murs se dressent et les oukases se donnent à géométrie variable.
Le problème du progressisme se tire de sa fluidité. Sans principe, sans repère, sans fondement, il pratique le “en même temps” avec l’arbitraire pour seule cohérence. « Le propre de l’idéologie est de se radicaliser au rythme où le réel la désavoue. » écrit Zemmour dans son nouveau livre La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré). La sagesse qui plonge ses racines dans les dix commandements protège le raisonnement, la justice, les lois. Loin de les ouvrir sur un dédale, le décalogue leur offre un couloir sécurisé et garantit l’acuité de leurs décisions.